Carlotta

sophie-copinne

tentative de nouvelle érotique.

Carlotta a cinquante ans et elle danse. Toute petite déjà, Carlotta aimait rire, chanter, danser... Oui, danser surtout. Jusqu'à ses seize ans, elle a passé des heures en tutu, chaussée de pointes, les mercredis, les samedis. Elle aimait surtout les jours de gala, quand le rideau se levait et qu'elle savait ses parents dans la salle, impatients tout comme elle... Dix ans que le tango est entré dans sa vie. Quand elle est arrivée dans cette ville inconnue, elle a cherché et trouvé un cours à la maison de quartier du Chemin Vert; elle y a rencontré Patrick, son professeur, maintenant son danseur attitré. Depuis un peu plus d'un an, elle aime particulièrement les jours de milonga, les dimanches au café des artistes.

Après sa semaine de travail, le dimanche, en début d'après-midi, elle s'accorde le temps nécessaire pour se préparer. Elle prend son bain, lave ses cheveux qu'elle laisse ensuite sécher, masse son corps délicatement : rituel avant d'entrer dans la danse. Dans l'appartement flotte discrètement l'odeur d'huile d'Argan. Elle ouvre les tiroirs de sa commode pour en sortir dentelles et bas de soie. Puis choisit sa robe. Aujourd'hui, ce sera la rouge, celle qu'elle a achetée sur les conseils de sa fille Jeanne, dans une boutique parisienne, assortie à ses chaussures de danse. Le décolleté arrondi, la taille cintrée de la jupe de voile souligne sa féminité. Il ne lui reste plus qu'à se maquiller. Tout d'abord la poudre pour unifier son teint, un léger trait discret de khôl violet et du mascara noir. Elle prend le temps de dessiner le contour de ses lèvres et applique au pinceau l'intemporel rouge 999 de Dior. Puis, elle attache ses cheveux, laissant libre quelques-unes de ses mèches blondes ondulantes jusqu'à ses épaules. Pour terminer, trois gouttes de son parfum préféré sur ses poignets et à la naissance de son cou, Shalimar... Enfin prête ! Elle enfile ses escarpins, attrape sons sac – dans lequel elle a glissé ses autres chaussures – et son manteau. Il ne lui reste plus qu'à courir sur l'avenue de Laon, pour tenter d'attraper le tramway qui arrive à la station des Belges.

Elle est en retard et, quand elle arrive, la milonga a déjà commencé. Les couples sont formés, ils tanguent déjà, l'ambiance est en place. Elle l'aperçoit tout de suite, assis au bar. Dans son regard elle voit Javier Bardem. Elle s'assoit, défait son manteau, enlève ses escarpins, glisse ses pieds dans ses chaussures de danse. A peine terminé Patrick l'entraîne et la transporte sur la piste. Danseur trapu, il l'enserre, doux et puissant. Quel abrazo ! Elle tourbillonne, ses jambes et son corps s'échauffent. Elle le croise. Sans le chercher. Il est là depuis trois dimanches et elle rêve de tanguer avec lui. Mais pour l'instant, c'est cette femme qui l'accompagne, brune, mince aux yeux bleus, qu'il fait tourner. Belle, il lui manque ce petit rien, cette sensualité nécessaire au tango. Dehors, il pleut.

A ce moment, elle est dans les bras d'Augusto, ensuite ceux de Maurice. C'est un danseur élégant, Maurice, pantalon noir, chaussures de tanguero, aussi blanches que sa chemise, l'un des meilleurs cavaliers. Carlotta est fière d'avoir été choisie. Vient le temps d'une autre Cortina,  ces quelques secondes pour souffler et changer de partenaire. De loin, elle sent déjà son regard, ne voit que son sourire... Il s'approche et lui tend sa main. Trois semaines qu'elle attend ce moment !

C'est alors que le rythme change, ce sera la première valse du dimanche. Elle est crispée, il le sent, se rapproche encore un peu plus et lui murmure : « Laissez-vous aller, je vais vous guider. » Elle ne demande que cela Carlotta. Ce n'est pas une valse à trois temps comme à Vienne, c'est beaucoup plus intense la valse du tango. (Oui ! Monsieur! Faites-moi tourner !) Premier pas et la voilà qui danse dans ses bras, dans ses yeux, elle danse dans ses jambes, Gancho, Giro, Oco... Elle tourne, tourne dans son parfum, tourne la tête, son espace devient le sien. Ce ne sont plus deux corps qui dansent sur la piste, mais deux êtres qui ne font qu'un, comme cette valse.

Elle oublie les autres. Elle virevolte. Les tours. Les cercles. La piste lui donne le vertige et elle aime ça. Elle ne compte plus le temps. Elle est avec lui, tout contre lui. Elle le respire. Elle le transpire. Changement de rythme, nouvelle cortina, elle reste dans ses bras. Elle est aimantée tout contre lui. C'est un morceau de bandonéon, plus lent, plus classique. Les battements de son cœur sont la seule musique qu'elle entend, il est seul maître de la danse. Le tempo change mais cette fois, il recule d'un pas, lui prend sa main et l'embrasse. Le voilà déjà dans les bras d'une autre femme. Elle, un autre danseur la soustrait pour enchaîner le prochain tango.

Deux corps qui s'abandonnent, s'emboîtent, la passion de l'abrazo qui lie et délie. Quand on ne connaît pas les milongas, on peut les confondre à des lieux de libertinage, mais non, c'est la passion de la danse, du tango. Ce lieu où femmes et hommes viennent partager leurs souffles, leurs parfums, leurs pas, leurs bras. Carlotta tournoie, danse, tangue, les regards sont sur elle. Elle ferme les yeux, elle se sent bien, elle se sent belle. Elle n'est pas restée assise à une seule des cortinas, convoitée car elle danse à merveille. La musique s'arrête, tout le monde se salue. Du regard elle fait le tour de la salle et ne le voit plus. Il est déjà parti. Elle s'assoit, triste, renfile ses escarpins, range ses autres chaussures qui l'ont fait danser tout l'après-midi, remet son manteau et repart tranquillement. Se souvenir de cet après-midi, récupérer, reprendre son souffle en allant chercher le tramway. La pluie s'est arrêtée de tomber, l'air est frais, son corps encore brûlant.

Elle rentre seule. Devant la porte de son immeuble, elle sort ses clés et au fond de sa poche, trouve un papier plié. Elle l'ouvre, l'encre est noire et le trait épais. Elle ne reconnaît pas l'écriture mais elle sait que c'est lui : « Rendez-vous demain vingt heures, Hôtel de la Paix, rue Buirette, donnez votre prénom à la réception, je vous y attendrai. » Elle ouvre la porte, monte les escaliers, tout en s'imaginant ce rendez-vous. Demain, en arrivant au travail, elle demandera à quitter une heure plus tôt. Elle sait déjà quelle robe elle choisira... Et ce sera le même parfum. Une question trotte, comment connaît-il son prénom ?Le lendemain, vingt heures, elle pousse la porte de l'hôtel.

Elle avance et se présente au réceptionniste : « Bonsoir, je suis attendue... Carlotta. » Discret, il compose le numéro de la chambre 206. Après avoir raccroché, il l'invite à s'assoir dans le petit salon. Elle choisit un fauteuil confortable face à l'ascenseur. Attente, puis les portes s'ouvrent. Il sort, s'avance vers elle avec la même élégance qu'hier. Il s'approche, se penche, lui attrape sa main droite où il dépose un baiser, et, sans un mot, par une simple pression au creux de sa paume, l'invite à se lever pour le rejoindre. Son cœur bat fort. Son souffle est plus court. Emois d'un premier rendez-vous. Il passe son bras autour de sa taille, elle oublie le regard des autres.

Seuls dans l'ascenseur, il lui bande les yeux avec un foulard de soie. Le contact de ce voile la fait frissonner, envie et crainte sont, à cet instant, mêlés. Excitant, follement excitant ! Sur le trajet de l'hôtel elle avait tout imaginé... Et la voilà qui se laisse guider par cet homme, dont elle ne sait rien. Le couloir est calme, il ralentit, s'arrête, elle entend la porte s'ouvrir. Ils entrent. Il jette son sac au sol, enlève son manteau. Elle aime déjà. Il la plaque contre la porte qu'il referme. Il l'embrasse, assoiffé, affamé, mordant. Ses baisers l'enflamment, son ventre papillonne, ses jambes vacillent.

Puis doucement, avec délicatesse et élégance, il égraine un à un ses vêtements comme des petits cailloux blancs qui tracent le chemin jusqu'au lit où il la couche, les yeux toujours bandés. Ses baisers sont plus doux, ses lèvres entrouvertes s'offrent à sa langue et elle se laisse dévorer. La fièvre l'envahit, elle implore le plaisir sous ses mains expertes, elle s'abandonne. A son tour elle pose ses mains sur son torse, découvre la douceur de sa chemise, trouve les boutons, les enlève un à un, la ceinture, fermeture de son jean. Elle voyage au gré de son envie, son dos, ses fesses, ses cuisses, puis, l'objet de son désir, son sexe, saillant et tendu sous son boxer.

Elle ôte enfin la dernière barrière pour mettre sa bouche sur ce vît qui attend les caresses de sa langue agile, souple, rigide. Elle monte, descend, s'arrête un instant, reprend. Sa bouche se referme, le happe et le pompe, de plus en plus dur. Soudain, elle sent la force de ses bras qui la retournent, et à cet instant, il lui enlève le bandeau. Leurs regards se croisent pour la première fois depuis qu'ils sont montés dans cet ascenseur. La voilà à quatre pattes, ses mains puissantes et douces sur ses hanches, elle sent sa quête, il la trouve enfin et son sexe la pénètre lentement, son désir s'écoule jusqu'en haut de ses cuisses. Il est derrière elle, elle entend ses gémissements, elle crie, elle le sent, c'est enivrant, fort, puissant.

Rencontre d'un homme, faire l'amour avec lui, se découvrir sans se voir, sans se parler, juste se découvrir par les sens, se toucher, se sentir, palper et ressentir la musique des corps.... Troublée, émue, fébrile... Brut de sensations. Puis, quand leurs regards se croisent dans le miroir, lâcher. A cet instant, ils ne font qu'un, les va et vient, le mélange des parfums, des souffles. Leurs corps se tendent, ils se respirent, se touchent, se goûtent, partout, dedans, dehors, plaisir. Encore ! Ensemble ! Crescendo ! Jouissance ! Baiser jusqu'à l'épuisement ! Ils tombent sur le lit, leurs cœurs battent, vite, très vite, il l'enlace et la serre très fort. Ils se regardent, sourient, ne disent rien, les mots sont vains, les étincelles dans leurs yeux suffisent...

Ensemble, ils s'endorment. Dans la nuit, une légère brise la réveille. Il a ouvert le balcon pour y fumer une cigarette. Elle voit son corps enveloppé d'un peignoir, se dessiner dans les rayons d'argent de la lune. Elle est sereine, aucune envie de bouger.. Quelques minutes plus tard, elle sent de nouveau son corps près d'elle, et se rendort.

Au petit matin, elle se lève et trouve un mot posé près de son téléphone : " Merci ! Ne vous occupez de rien, profitez du petit déjeuner, il est excellent. Voici mon numéro de téléphone, je serais ravi de vous revoir. Je vous embrasse. Philippe. "

8h00 ! Elle appelle la librairie, laisse un message sur le répondeur pour avertir Aurore qu'elle sera absente aujourd'hui. Elle ne passera pas par la salle de bains, ne prendra pas le petit déjeuner. C'est le moment de partir. Elle reprend le même chemin, à l'envers, retrouve ses dentelles, sa robe, le foulard, son premier souvenir, les enfile un à un, arrive devant cette porte, le couloir, l'ascenseur, la réception ( ce matin, c'est une jeune fille qui la salue et qui lui souhaite une belle journée ).

La voilà dehors, il fait frais malgré le soleil, un matin d'automne. C'est aussi enivrant que troublant. Elle remonte doucement la Place d'Erlon pour aller chercher le tramway à la gare. Elle sent encore son odeur, son souffle. Les plaisirs résonnent dans sa tête. Son corps vibre des souvenirs. La rame de tram est là, juste le temps pour elle de l'attraper. Elle s'assoit et ouvre son portable, écrit un SMS : " que du plaisir, merci, à bientôt, Carlotta ! ", elle entre le numéro et tape sur la touche envoi.

Arrivée devant son immeuble, un petit Gling ! " J'ai beaucoup aimé... Dimanche si vous voulez bien, je passe vous chercher pour aller ensemble à la Milonga. " Elle sourit tout en ouvrant la porte, prend un bain, toujours plongée dans ses souvenirs. Elle rejoint sa chambre, éteint son portable, goûte encore à ce moment de bien-être avant de s'endormir. 

  • c'est super lagrande copine. Vraiment super et superbe. D'une délicatesse absolue. J'aurais presque pu l'écrire ainsi sauf la danse je n'y connais rien. Un vrai velours vos mots de désir. Bravo et même coup de coeur.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • Bonsoir Elisabetha, quel commentaire, j'en rougis... Je suis heureuse que cette histoire vous ai plue. C'est en lisant le texte de Julia, rouge désir, que je l'ai poster. Je l'ai écrit il y a déjà un moment et je n'avais pas osé le montrer en entier. Merci !

      · Il y a presque 9 ans ·
      Image

      sophie-copinne

    • j'étais très heureuse de mettre ce commentaire. J'apprécie et je connais le bonheur d'être félicitée par d'autres qui se reconnaissent en vous. Encore bravo!

      · Il y a presque 9 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha


  • Rhôôôô après Julia ! Sophie se lâche aussi !.... très réussi :-)

    · Il y a presque 9 ans ·
    12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

    Maud Garnier

    • Il était en réserve et j'avoue que c'est la lecture rouge désir de Julia qui m'a fait franchir le pas en le publiant ici.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Image

      sophie-copinne

    • Merci Maud !

      · Il y a presque 9 ans ·
      Image

      sophie-copinne

    • ;-)

      · Il y a presque 9 ans ·
      12804620 457105317821526 4543995067844604319 n chantal

      Maud Garnier

Signaler ce texte