Carte postale de Koh Samui
camaroso
Une pluie diluvienne s’est abattue comme un rideau sur la plage fantôme.
Des touristes dépités sont assis sur les terrasses privatives de leur bungalow. D’autres se rassemblent au bar et boivent les bières locales au délicieux goût caramélisé.
Les heures défilent sous la pluie battante et l’humidité traverse les peaux blanches déjà fragilisées par l’hiver laissé en France, ou ailleurs.
La pluie martèle violemment les tôles ondulées dans un vacarme assourdissant.
C’est ainsi que quelques êtres fatigués, en quête de légèreté, venus là pour changer d’air, se trouvent emprisonnés sous le même ciel agressif, à Koh Samui.
- C’est une queue de cyclone ! Disent les insulaires qui craignent que le flux de touristes se déportent sur l’autre côte au climat plus favorable.
Pendant ce temps, l'eau entoure les bungalows qui forment un village lacustre. Des parapluies aux couleurs vives glissent entre les cocotiers comme autant de fleurs lancées dans un courant.
La bibliothèque de l’hôtel a été dévalisée. Un roman policier en particulier circule de mains en mains.
Les autopsies n’ont plus de secret pour chacun des lecteurs français, après la lecture du roman imaginé par un médecin légiste méticuleux. Chacun peut aussi désormais circuler les yeux fermés dans le quartier parisien du Sentier, après avoir suivi les traces d’un tueur très spécial qui découpe ses victimes avec de grands ciseaux de couturier.
Qui sera la prochaine victime du tueur qui arpente la rue de Cléry? L’homme est là, tapi derrière une porte cochère. Il dissimule avec soin les ciseaux sur lesquels tous les policiers de Paris se cassent les dents.
Des passantes pressées au sortir des ateliers se dirigent vers la station de métro Bonne Nouvelle. Le tueur écoute avec fascination les talons qui cliquètent sur les trottoirs avec une certaine arrogance.
L’homme les regarde une à une. L’une des femmes qui défilent devant lui, ne s’engouffrera pas sous terre ce soir là.
Il la suivra, il l’abordera et l’attirera d’une manière ou d’une autre dans un recoin sombre de Paris. Il passera la nuit avec elle.
Après de longs préliminaires dont il a la recette, les ciseaux finiront par glisser avec délicatesse sous le velours de la peau fraiche et tendre de la furtive amante.
A ce stade, je finis par lâcher le livre pour aller boire un verre. Les nuages bas plombent l’horizon et la lune presque pleine ne parvient pas à transpercer la pénombre qui a enveloppé l’ile.
Triste spectacle !
Je me remémore les photos du site de voyage sur lequel j’ai réservé mon billet une semaine plus tôt.
La veille, entre deux averses, j’ai quand même acheté les cartes postales couvertes de soleil que l’on trouve toujours dans ces endroits.
J’ai griffonné quelques mots et je les ai jetés dans la boîte à lettres. Même si les phrases sont un peu mécaniques et que la tradition est désuète, les cartes font toujours plaisir.
- Quelques mots de Koh Samui…
- Total dépaysement dans cette petite île thaïlandaise…
- Le voyage est long mais ça le vaut bien…
- A toi je peux le dire, il ne fait que pleuvoir…
- Bisous… je vous embrasse… Amicalement… Bien affectueusement …
Certains colleront l'image sur la porte du réfrigérateur avec l’aimant de New York ou des Antilles. Les plus sentimentaux la rangeront peut être dans une boîte, tandis que d’autres la jetteront à la poubelle.
- Regarde, une carte postale de Dom…
- Viens vite, Dom nous a écrit…
- Ah Enfin des nouvelles …
- Trop gentille cette Dom, elle nous envoie toujours un signe…
La pluie cesse, j’en profite pour quitter le bar, et je retourne pister le tueur en série. Il est toujours là, tapi dans un recoin de la rue de Cléry.