Casanovette va !

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Sur l’oreiller froissé on voyait encore le creux qu’avait laissé sa tête. Son départ en pleine nuit, sans bruit pour ne pas m’éveiller, m’avait levé le cœur. Des amours passagères je croyais avoir fait le tour et pourtant une fois de plus, le café en solitaire me guettait au petit matin, dans la cuisine sombre, les orteils gelés. Au moins pourrais-je le boire puisque j’étais chez moi. Le pire était de partir au milieu d’une nuit moelleuse, humide et chaude que j’aurais par paresse aimé renouveler, le ventre vide, la bouche sèche sans baiser : «Désolé, ma p’tite chérie, demain je me lève tôt, il faut que je dorme et tu me tentes trop, ça ne t’ennuies pas de partir ? » Parfois, ils ajoutaient, et c’était écœurant : « Je t’appelle bientôt, c’était très agréable ». Ces mots fades et vexants me transformaient en passe-temps. De passe-temps à temps perdu, il n’y a  qu’un mot.


Dans ces dîners bobos où la séduction est de règle ne serait-ce que pour faire honneur à la maîtresse de maison, je reflétais la lumière vacillante des bougies éparses sur la nappe noire. Mais le malentendu venait toujours de ce qu’au fond de moi, je vacillais bien plus que la flamme tremblante. Je me montrais attentive, incisive, je lançais des réparties toujours à l’orée du sarcasme à l’intention de ceux dont j’avais pressenti la conquête improbable. Avec les plus fragiles, les plus tendres, j’osai la flatterie à dose toujours insoupçonnable mais, surtout, je gardais  de la douceur et l’air de m’abandonner dans les grands crus de bourgogne comme une femme défaite s’avance avec langueur dans le fleuve bouillonnant. Il arrivait que les échanges débordent de l’étroit couloir de nage de mes connaissances si un de ces convives faisait preuve de brillance, alors je répondais sur des sujets proches tout en correspondances ou bien j’admettais, souriante, mon ignorance complète et le monsieur flatté comblait avec tendresse ce manque avoué. De bécasse incongrue, je devenais charmante, voire intelligente car il m’est apparu bien des fois que l’aveu d’une faiblesse séduit plus un homme que la fanfaronnade.


Parfois les épouses étaient là, autour de la même table, confondant de Villepin avec le chevalier d’Eon, essayant  tout de même en faisant appel au dernier édito de « ELLE » d’avoir un avis sec sur le moindre des évènements. Je me souviens d’un soir, avant la dissolution de l’assemblée nationale par Chirac au début de son calamiteux premier mandat, où elles voulaient toutes avoir une relation sexuelle avec ce Dominique dont la classe, devenue depuis superfétatoire, leur dégoulinait dessus jusque dans leurs dentelles. Il ne me restait plus qu’à me taire et à tendre le poignet à un de ces messieurs heureux d’avoir l’augure de plaire à l’une au moins des femelles affamées. Les messieurs accompagnés profitaient d’une de mes intrusions dans la cuisine, avec comme faux prétexte un plat à rapporter, pour m’y suivre et glisser dans mon cou, le souffle chargé de quelques moyens mnémotechniques, le numéro de téléphone de leur prestigieux bureau.


L’heure arrivait de passer au salon et de s’y infliger le goût obligatoire et dérangeant d’un délicieux café italien. L’air de ne pas y prendre garde, je tendais, juste avant, mon verre à mon voisin pour prolonger ce doux brouillard rouge qui m’empêchait de voir avec qui je finirais la nuit.


Au fond des canapés entourant la table basse chargée de chandeliers, de la collection avancée de faux œufs de Fabergé et du service à café dont le décor en anamorphose révélait à lui seul l’air ébahi du crétin sorti de sa coquille, les choses sérieuses pouvaient recommencer. Souvent les dames se connaissaient et commettaient l’erreur de toutes s’assoir ensemble pour pouvoir mieux gloser sur la dernière cocue ou sur le prof de philo qui saquait si injustement Justine et Victorien tous deux en terminale à Saint Jean de la Croix. Je profitais de ces instants pénibles où l’ennui et le vin auraient pu m’endormir pour décroiser les jambes, ouvrir le bouton de mon corsage et les recroiser bien vite en prenant néanmoins le temps et le soin de faire murmurer mes bas.
Chez une amie qui n’était jamais dupe, la salle de bain était située à l’étage du duplex, on aurait dit que l’architecte avait tout préparé. Un soir j’y attendis le plus beau des convives. Mon petit jeu de cache-cache accueillit ce joueur qui me plut bien moins après qu’il m’eut enlacée avec plus de brutalité que de fougue, brusquerie due certainement à l’envie de faire vite, sa femme était en bas, plutôt qu’à l’empressement dont je l’avais cru capable.


Quand ces dîners avaient lieu hors période scolaire, tous les espoirs de conquérir enfin un camarade d’humour et d’amours indicibles s’ouvraient à mon corps consentant. Ces dames étaient en vacances. Selon le trimestre scolaire, elles occupaient leur temps sur la côte ouest à barbouiller de bleu lavande un vieil arrosoir troué ou à acheter pour un prix obscène l’exact plaid en mohair convenant  au merveilleux vieux sofa du palier. L’hiver, elles se retrouvaient au restaurant d’altitude et se pétaient la tronche, exposée plein soleil, au vin chaud et sucré en attendant jusqu’à l’approche de la fermeture des pistes le retour des enfants déjà grands pour leurs âges, ceux de leurs mamans. Le moment favorable, mon moment favori était l’avant dernière semaine d’août. Les messieurs seuls dans ce Paris collant de fin d’été devenaient plus avides et ne se tenaient plus, il leur restait peu de jours pour consommer ailleurs, « ELLE » préparant la rentrée dès la fin de ce mois. Les dîners sur les berges de l’île de la Jatte ou sur les bords de Seine étaient en tête à tête, mais pour peu que dans la nuit un orage, hors du lit, vint à faire tomber la chaleur, je me retrouvais seule à six heures du matin, transie de froid et le cœur à la glace devant un café Grand-Mère fumant autant que moi.

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