Ce que voulais dire « être un homme »
seabird
Je me suis toujours demandée ce que voulais dire « être un homme ».
Je n’entends pas se sentir dans le corps d’un homme et sortir avec des potes. Je parle de l’amour, aimer et être aimé par une femme. La séduire, l’inviter à dîner, voir ses yeux briller et se réveiller le matin à côté d’elle, parmi ses cheveux longs et parfumés. J’ai toujours vu le corps d’une femme comme un sublime compromis de perfection, d’élégance et de sensualité incomparable. J’aime les hommes et leur façon de nous protéger, de nous faire l’amour et de nous accorder des attentions uniques quand ils sont amoureux de nous et comment ils se sentent justement, lors qu’ils ressentent cette puissante envie d’être avec nous, de nous découvrir et de créer ensemble une magie qui est propre à l’amour d’un couple…
J’avais un puissant désir de le savoir, de le vivre sur ma peau. J’ai voulu rencontrer une femme, un esprit libre et curieux comme moi, plutôt sophistiquée, élégante, avec des goûts raffinés et simples à la fois. J’ai voulu me plonger dans un regard qui reflétait le mien. Ainsi, j’ai fait sa connaissance.
C’était un soir de printemps, le vent soufflait un air tiède et prometteur d’un été long. Je sentais mes joues picoter d’un frisson léger et mes cheveux se balader sur mon cou avec insistance. Je n’avais jamais remarqué leur mouvement impertinent et constant. C’était comme si des « sens » nouveaux, enfouis en moi, se manifestaient pour la première fois. À la sortie du métro Mabillon, j’ai grimpé les escaliers deux par deux. Mes jambes tremblaient, je n’arrivais pas à monter une marche à la fois tout en gardant mon calme. Deux secondes d’examen attentif de la foule en haut des marches suffirent à me faire comprendre qu’elle n’était pas là. Je ne l’avais pourtant jamais rencontré. Etait-ce la sensation que les visages des quelques filles qui attendaient leur rendez-vous à cet endroit la étaient trop insouciants, ou leurs regards allait-il trop directement vers celui de celui ou celle qu’elles connaissaient et qui venait à leur rencontre ? Un frissonnement dans le dos me parcouru, elle allait arriver… Le bruit des voitures se mêlait au rire des gens et je n’arrivais à capter aucune des conversations des gens qui attendaient autour de moi. J’avais la tête vide. Une touche délicate venait de se poser sur mon épaule. Je me suis retournée et je l’ai vue. Etait elle comme je l’imaginais ou pas ? Difficile à dire. J’ai su que c’était elle par son regard intelligent. Nous nous sommes saluées comme des copines de vieille date, en nous faisans la bise, et avons commencé à marcher en direction du quartier Saint Germain. J’avais réservé une table pour deux dans mon restaurant italien préféré, décoré comme un salon de début XX siècle, avec une grande bibliothèque en bois et un piano noir au milieu de la salle. Les cartes des menus ouvertes entre nos mains marquaient un premier moment de silence. J’ai levé la tête. Elle ne regardait pas la carte, ses yeux étaient fixés sur moi. « Je prends ton plat préféré ». Elle a quand même voulu choisir le vin, un rouge de Bourgogne, sa région d’origine. Pendant le repas, elle me racontait de son enfance, une vie dure marquée par l’abandon de sa mère et l’amour d’une grande mère qui l’avait levée. Sa beauté se découvrait peu à peu, par un langage recherché et une certaine souffrance qui lui avait fait voilé les yeux d’une tristesse sensuelle. Elle était simple et fraîche, rayonnante comme une fleur de printemps. Je me suis imaginée combien d’hommes auraient voulu être à ma place et entendre sa voix douce qui se mélangeait au notes du piano. Elle avait reconnu la musique d’une chanson que l’artiste était en train de jouer et s’étais mise à chanter tout bas les paroles. J’étais flattée par son envie de vivre. J’ai réglé l’addition, comme convient à un homme galant, et je l’ai remercié pour sa compagnie agréable, en espérant la revoir bientôt. La semaine d’après, pendant un après-midi ensoleillé, elle avait pris sa journée pour en profiter et aller bouquiner dans un jardin. J’étais au bureau quand j’ai reçu un texto de sa part avec un extrait d’une poésie de Victor Hugo sur le printemps. J’ai répondu par une autre citation, jusqu’à arriver aux poésies d’amour de l’écrivain. Elle était en train de me séduire, ou plutôt de séduire mon intellect. Semaine après semaine, de nouvelles découvertes nous faisaient nous promener la même longueur d’onde.
Quand elle m’a invité à dîner chez elle, j’étais touchée par la décoration sobre et raffiné de son appartement, par la délicatesse du repas qu’elle avait préparé avec soins, par le choix de la musique et l’atmosphère qu’elle avait spécialement créée pour moi. Je lui ai laissé me servir du vin, en remarquant la façon dont elle ouvrait la bouteille et m’offrait le verre. Les doigts de ses mains étaient fins et gracieux, son parfum délicat et le chemisier oriental qu’elle portait sentait encore l’encens des pays lointains où elle l’avait acheté. Je lui ai demandé de lire une des poésies qu’elle avait choisies pour moi, quand elle bouquinait dans un jardin de Paris. Elle est devenue toute rouge, puis, après mon insistance, elle a ouvert le livre de Victor Hugo et a commencé à réciter pour moi avec une voix toute basse et tremblante. J’étais charmée par sa réserve et la finesse de ses traits lorsqu’elle se concentrait sur la lecture. J’ai voulu lui rendre hommage par un geste de courtoisie que les hommes pratiquaient dans le passé: je lui ai pris la main droite pour un baisemain, en la touchant à peine. Elle s’est arrêtée pour un instant, comme en train de réfléchir, puis s’est retournée vers moi et son regard m’a traversé le cœur. Je me suis senti petite et fragile comme un homme qui succombe au charme d’une femme, incapable de comprendre quelle beauté, extérieure ou intérieure, m’avait ensorcelée. Je l’ai embrassé, j’ai senti ses lèvres tendres sur les miennes, une sensation mixte de fraîcheur et de chaleur que je n’avais jamais ressenties. Sa peau douce et pale était la peau de toutes les femmes que j’avais connues dans ma vie mais que je n’avais jamais touchées. Je lui ai fait l’amour avec la passion d’une femme qui ne sait plus si elle est femme ou homme ou simplement un être qui se laisse aller à l’émotion unique de l’amour. Quand je lui ai avoué le lendemain que c’était ma première fois, elle était surprise. C’est là où j’ai compris que l’amour ne s’apprend pas. Que l’amour n’a pas besoin de rôles spécifiques, d’ethnies, de conventions, de statuts, de tout ce qui est très loin de l’amour. Enfin, je peux affirmer avoir connu le privilège d’avoir été aimé par une femme, par sa délicatesse, son intelligence, son charme, sa finesse. Qualités qui comblent la vie d’un homme et la complètent. C’est ça la chance des hommes…