CE RIRE-LÀ

Dominique Taureau

Le rire est un plaisir à partager.

 Son rire était irrésistible ; personne n'y échappait : à l'entendre, nul ne pouvait s'empêcher d'éclater de rire. Ce tic si particulier lui conféra rapidement le rôle d'amuseur ; ses camarades de classe le sollicitaient très souvent ; et l'enfant rieur s'en servait auprès des filles, en abusait avec ses parents, le lançait au 14 juillet sur la place du marché. À chaque fois l'hilarité générale ! Ce rire-là possédait le don de faire rire, souvent jusqu'aux larmes, parfois jusqu'à l'épuisement nerveux.

 

Un jour où il était alité, il posa la question au médecin à son chevet : « - Docteur, quelle est ma devinette ? Si je vous dis : le comique accepte du rire ce que la médecine refuse à la maladie. Qu'est-ce que c'est ? » Sans lui laisser le temps de réfléchir il propulsa la réponse : « - Hé bien c'est la contagion docteur ! Oui la contagion docteur ! » Puis il dégaina son rire naturel si ravageur, si contaminateur. Le médecin binoclard, une sorte de professeur Tournesol, faillit s'étrangler de rire dans sa barbichette, ne cessant de répéter : « - Ah elle est bien bonne ! Oui oui bien bonne ! » Ses parents, écroulés de rire, ne s'en lassaient jamais. Connu dans la campagne pour sa réputation de savant, le médecin déclara partout où il consultait que ce rire-là était un remède miracle contre la tristesse, la peine et le chagrin. Dans la région la rumeur se répandit : ce rire-là pouvait même guérir…

La mairesse eut droit, elle aussi, à des secondes de gloire. Alors qu'elle se promenait dans les rues encombrées par la braderie annuelle, elle acheta une babiole au stand de la famille du rieur…Ah oui ! Elle ne fut pas déçue. « - Bonjour madame le maire, vous tombez bien. Connaissez-vous la différence entre un train et un politicien ?...Non !...Alors voilà ! Quand le train déraille, ça le stoppe » Au déclic du rire, l'attroupement qui s'était instinctivement aggloméré autour du stand se mit à exploser de rire comme un feu d'artifice. Cela fit grande sensation dans la brocante ; l'histoire désopilante se répandit comme une trainée de poudre dans les ruelles. Ce jour-là, enchantés d'un tel événement public, ses parents vendirent beaucoup, c'est-à-dire plus que les années précédentes.

Lui-même en fut impressionné ; il y avait déjà un bon bout de temps qu'il réfléchissait à cette alliance entre l'humour et son rire. Ce phénomène l'intriguait, le passionnait, l'envoutait ; car il entrevoyait le projet d'en tirer profit, une profession, un métier. Pourquoi pas ? Après tout ! Naquit alors chez l'adolescent le besoin impérieux de ne plus rire à plat sans raison ; rire pour rire ne lui convenait plus. À ce rire zygomatique, il lui voulut du sens ; pourquoi pas une blague préalable au déclenchement de son rire si communicatif ! Oui bien sûr ! Mèche artificielle de la pensée et détonateur naturel de la voix ! Une blague réfléchie avec de la signification qui flamberait jusqu'à l'explosion brute du réflexe ; une histoire satirique de préférence ou comique au minimum avant la détonation mécanique…

 

Quel alliage détonnant, l'esprit et la nature ! Et quelle double déflagration ! Une double influence sur les gens, l'humour par l'artifice de la pensée et la rigolade par les cordes vocales ; et à chaque fois l'effet assuré ! Le coup sûr ! Même avec des sketches creux ou ratés, il pouvait se rattraper : car son rire naturel si irrésistible était celui du dindon. Un véritable phénomène, une attraction de foire ! « - Mesdames et messieurs, venez entendre un rire extraordinaire ; le rire humain sensationnel du dindon ! Je vous promets d'en avoir pour vos sous…rires. » L'humoriste et ses gloussements de rire devinrent la célébrité et la fierté du village.

 

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