"C'est l'histoire d'une vieille VHS"

lilii

Écrit sur un coin de table, à califourchon sur un coffre poussiéreux.

Il y a de la magie dans chaque grenier. C'est comme s'ils étaient des passages, des portes qui nous ramèneraient en arrière pour regonfler notre cœur tout sec, avec de la guimauve et que, tout d'un coup, apparaitrait dans nos mains, un vieux sabre de pirate et des cartes de pays imaginaires dans le baluchon.

Ces greniers, ma grand-mère les comparait à de grands cerveaux, maitrisés et follement artistiques, avec des parties bien rangées contre des endroits recroquevillés sur des cascades d'objets absurdes et improbables, des souvenirs mélangés avec le temps et l'espace et des piles de cartons qu'on oublie, l'inconscience des recoins.

Et puis, il y a cette loi impérissable teintée de sérendipité où dans chaque grenier,  inévitablement,  on trouve toujours ce que l'on ne cherchait pas.

Et cette cassette vidéo,  je ne la cherchais pas.

Ce fossile d'électronique, avec la bande qui s'emmêle et qui,  à l'usure, joue des notes stridentes, avec ses gros yeux blancs qui tournent et qui recrachent ce que l'on finit toujours par oublier. Je l'avais trouvé, dans un hasard de circonstances, tombée certainement depuis quelques années déjà, derrière cette commode antique. Elle y dormait, étouffée de toiles d'araignées douces et grisonnantes, presque disparue.

Je regardais cette cassette qui semblait vierge, sans étiquette, usée. J'étais incapable de dire si je l'avais déjà visionnée ou non.  

Lorsque le magnétoscope l'avala pour déglutir dans un bruit de quincaille, je retenais mon souffle, sur pause. L'image était tremblante, un peu brouillée et les couleurs délavées. Ces couleurs qu'aujourd'hui, des centaines de logiciels tentent de recréer pour un effet vintage. Aliénante logique humaine.

Le fond sonore, une cacophonie d'une fête de famille, où les harpies crient toujours plus fort que la musique.

Des enfants traversaient l'écran en riant, c'était moi, je crois, la petite fille qui s'esclaffait, des serpentins à la main.

En arrière-plan, on distinguait, ceux qui essaient toujours d'attirer l'attention de la caméra, jouant de clins d'œil ou d'apostrophes alcoolisées. Des couples âgés dansaient invariablement la valse et l'image devenait floue, les couleurs se mélangeant dans un tourbillon pastel.

Tout sentait le champagne et le lâcher prise. La famille imprégnée dans l'électronique, heureuse comme jamais elle ne serait plus. 

Les images donnaient le tournis et déterraient des larmes profondes qu'on s'était promis de ne plus jamais verser. La musique était criarde, avec des paroles absurdes qui riment franchement sur une chorégraphie minimaliste qui promettait l'ambiance.

Et, dans un coin de l'image, silencieux, observateur, il était là. Sage, comme un petit garçon qu'on aurait puni. Je sais qu'il n'a jamais été à l'aise dans cette fête où l'on faisait semblant de s'aimer.

Toujours est-il, qu'il était quand même venu ce jour-là, pour nous, je crois. Dans le coin de l'image, un verre de vin à moitié plein, il riait parfois tout seul quand il regardait les enfants se chamailler.

Quand il se rendait compte que l'œil de la caméra le jaugeait, il prenait sa serviette et la faisait tournoyer machinalement au dessus de sa tête, comme s'il s'amusait  follement. C'était sa technique de camouflage. Se fondre.

La bande sursautait comme un moteur qui allait tomber en rade, le mouvement saccadé semblait délaver davantage les couleurs. Puis, l'image se figea, en noir et blanc puis, la cassette coupa net. Plus rien. C'était fini. Mon droit à l'image terminé. La cassette m'abandonnait là, seule, avec mes souvenirs rafraichis.

Je repensais à lui, à ce qu'il fut pour nous. Aujourd'hui, plus rien n'existe, plus de famille, le silence est grand et les enfants ont grandis. Les couleurs ont changées, certains dansent encore la valse, peut-être pour toujours.

Et avec lui, sont parties mes couleurs d'enfance et, mes souvenirs, avec ce clown généreux qui avaient  des conneries pleins les poches, ont bien jaunis.

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