C'est un long roman

Mathilde En Soir

Dédié à C.

 

               J'ai vécu dans un roman, entre les lignes d'un papier chiffonné et chaud. Un stylo-plume est venu me chatouiller le bout du nez pour me créer. On m'a fait don d'un nom, d'un prénom, d'un corps. On m'a offert un esprit quasi-autonome et parfois éclairé. Par la suite, les lettres se sont épousées et ont tissé un lien logique entre elles pour former un ensemble cohérent. J'ai reçu un objectif à atteindre. Je n'ai pas décidé de qui j'étais, il suffisait qu'un créateur anonyme intervienne. Je combattais l'obscurantisme, les préjugés, les moqueries. Je fus créé ainsi, comme un personnage lointain et contre mon gré moralisateur. Blanc, doux, tendre, avec une pointe d'humour acerbe.

   

               Cependant un jour, le gentil héros rencontre ses vrais ennemis. En guise d'armures, ils portent des noms abstraits. Maladie. Injustice. Crise. En guise d'heaumes, ils arborent des prénoms étranges. Haine. Complexes. Désespoir. Et le stylo-plume a disparu peu à peu. Son ombre laissait place à un beau soleil blanc. Je n'étais plus un pourfendeur des idées reçues, un combattant belliqueux, un amant désiré. Car le désir, je ne le ressentais plus pour toutes les lectrices. Elles commençaient à se faire plus farouches, plus incomplètes, plus humaines. Elles qui retiraient leurs jolies vêtements de princesse, de fée, que sais-je, se retiraient simplement. Et mon épée se faisait moins incandescente, plus transparente. Je commençais à douter de tout mon être, mon sourire le plus éclatant devenait des plus forcés. Amer est bien celui qui voit les siens partir sans qu'il puisse s'y faire. Mes jolis traits à l'encre et à la craie s'effritaient petit à petit, jusqu'à ce qu'arrive la troublante nécessité de porter un masque, qui se voulait aussi beau que mon visage.

    

              Quand viennent les beaux jours, je m'efforce de pleurer pour que tombe le désarroi qu'a installé en moi les jours d'hiver. C'est une tâche plus difficile que la précédente, qui ne récompense pas toujours le prix du sang et des larmes versés. Le stylo-plume couvert de dorures est revenu, mais il écrit moins longtemps. Sa présence m'est toujours familière, mais il se veut différent, plus humble. Une goutte noire est tombée sur ma joue alors que je changeais de masque. Je n'avais jamais vu cette couleur, ni même imaginé que cela existait, moi qui ne connaissait que le bleu de la mer. L'humour s'est vu parfois grinçant, le jeu cynique. Les temps changent, et pour la première fois, on m'a demandé d'être ce que je voulais. Je ne savais pas quoi répondre. Alors, une voix douce et tendre a susurré par-delà le stylo-plume, des mots d'espoir et de bonheur, me demandant d'être un homme.

 

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