C'était hier où il fut poète -8-

ecriteuse

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Tu te dis que ce dernier livre sera ta dernière danse de mots avec ton père et que ça personne ne pourra  vous l'enlever s'est du « à jamais, à toujours, juré craché, croix de bois, croix de fer. » Si tu avais su, qu'il vivait ses derniers  mois, tu te serais dépêchée de lui faire son dernier manuscrit de poésies et personne n'aurait pu s'opposer  à sa publication. Mais on ne t'a pas mis dans la confidence. Son dernier mois de juin, ils sont tous partis danser, s'amuser. Tu es resté seule avec ton père, lui, toi derrière votre mur de non dit, comment pouvait-« il »organiser une fête blanche, comment pouvaient-« elles » danser. Père et fille, vous pensiez la même chose et il le lui dira timidement le lendemain matin, « Si tu avais été malade je ne serais pas allé danser… » Ton cœur s'est pincé et la colère est montée, tu voulais fuir ou crier à lui, à elles : « Toi invite ton père, fait de lui ton invité d'honneur pour une fois, à elles : que la musique joue pour lui, jouez hautbois résonnez musettes, une première fois, une dernière fois…fêtez-le. »Ton pauvre papa n'aura pas compris que ce jour là, tu dises non à tout, « Non je ne veux pas manger, non je ne veux pas que tu me sauves, je veux que tu vives. » Et tu es partie, un dernier geste de la main, un dernier regard, un souvenir d'enfance entre vous, un jour tu avais 10 ans, tu ne t'étais pas retournée, il en avait souffert.

Le temps des cerises

Dans la maison d'en face, ma voisine joue du piano. La mélodie se glisse par mes croisées entr'ouvertes. Quand il reviendra le temps des cerises. Quand ? Tu te souviens Laura. Non, tu ne te souviens de rien. Cela ne m'étonne pas. D'ailleurs de ton vrai nom tu t'appelais Huguette. Laura c'était moi qui t'avais baptisée ainsi. Du nom d'une chanson entendue au ciné "Laura doux visage à peine entrevu.. Et toi, Rappelle toi Barbara. Non toi non plus, tu ne rappelles de rien. J'étais allé à Brest dans l'espoir de te rencontrer. J'ai longtemps attendu rue de Siam, c'est Prévert qui m'avait donné l'adresse. Il pleuvait mais tu n'étais pas là. C'est Marie que j'ai rencontrée. Tu me diras, des Marie, ça ne manque pas, il y en par-ci, par-là, en veux tu en voila. Mais moi « ma Marie » ce n'était pas une " Marie couche toi là. C'était Marie-Ange, c'était Marie-Pierre, c'était Marie-José, toutes pleine de grâce T'en fais pas la Marie je reviendrai ; Je reviendrai te chercher et tu n'auras pas beaucoup changé. On aura du bonheur plein la vie. Je reviendrai, c'est promis, juré, craché, croix de fer, croix de bois, je reviendrai quand reviendra le temps des cerises. Je reviendrai un coquelicot à la boutonnière. Un gentil petit coquelicot mon âme. Déjà je te vois, je t'imagine, seule immobile, au milieu d'un champ de blé.  Roger Frey

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