C'était l'hiver

lavilaine

C’était l’hiver.

Je fredonne cette chanson avec mes larmes et mes regrets. Mes sourires et mes rires, aussi, même si cela peut paraître paradoxal. C’était l’hiver quand tu es parti, à l’aube d’un âge où personne ne devrait quitter sa vie. Tu étais jeune, tu étais belle, belle dans la maturité naissante de l’adulescence, de cet espace temporel à mi-chemin entre l’adolescence et le reste de sa vie. La plus belle image que j’ai de toi, c’est quand tu ôtes ta casquette qui dissimulait ton petit crâne chauve, doux comme une coquille d’œuf. Avec la chimio, tu as perdu tes cheveux. Tu trouves ça terriblement grave, pour une fille. Tu es essayé la perruque et puis finalement, tu l’as foutu dans un coin, par terre. Parce que ça fait faux, parce que ce n’est pas toi, parce que ce n’est pas ta faute. Alors tu arbores timidement puis fièrement ton petit crâne chauve dans les rues, preuve infinie de ton combat. De ton combat contre la mort, pour la vie. Je trouve ça impossible de mourir à 20 ans. Je suis sûre que cela ne peut pas se produire. Pas dans mon monde. Pas dans ton monde. Mais combien elle sera douloureuse, la vérité, lorsque je vais découvrir combien mon monde à moi était étroit et limité… Combien mon monde était rempli d’innocence et de candeur. Et combien je vais m’en vouloir d’avoir pu jouer avec la vie, à regarder passer le train, un genou à terre et l’autre prêt à me propulser, avec la même comptine « 4, 3, 2, 1, j’y vais ! ». Et je vais où ? Mais sous le train, pardi. J’ai juste peur d’avoir mal. Je ne veux pas avoir mal, je veux juste mourir, en finir de cette vie que je ne supporte plus de vivre. Mais un matin, je vois tes larmes. Je me rappelle, c’était un matin où je partais au lycée, un matin où je n’avais envie de rien, hormis l’envie de vivre dans mon lit, seule avec ma solitude et un livre. Tu as un cancer. Je pensais que cancer, c’était juste un signe astrologique. Que cela ne pouvait pas t’arriver à toi. Les gens autour de moi parlaient parfois du cancer, mais c’était vague, c’était flou, c’était lointain, ce n’était jamais dans mon quotidien, surtout. Et moi, j’oublie complètement cette folle histoire de me jeter sous un train. J’ai 15 ans, je ne sais pas ce qu’est la vie, finalement. La mienne a peu d’importance, peut-être, mais je n’imaginais pas que tu puisses risquer la tienne. Tout s’emmêle. Les pinceaux s’emmêlent. Comme tes cheveux que bientôt tu perdras. Elles sont drôles, les expressions de la vie. Ton p’tit crâne d’œuf. En riant, tu me parles de tes poils. Ils sont tombés aussi. Je savais pour les cheveux, évidemment, puisque je te vois. Puisque j’ai pu toucher ton crâne de ma main hésitante. J’ai raffolé de cette douceur. Tu me dis que c’est cool, qu’il faut positiver, que tu ne t’épiles plus et que même, tu ne te ruines plus en coiffeur. C’est étrange, la vie. Quand il faut positiver ainsi. J’aime tes sourires, tes fous-rires. Je te dis que tu es ma sœur, tu me dis que j’ai déjà deux sœurs, n’est ce pas suffisant ? Non. Je rêve d’une sœur comme toi, avec qui je partage des rires et jamais des disputes, avec qui je refais le monde et avec qui je découvre la vie. Et puis il y a les jours noirs, fastes, terribles. Où tu hurles au monde ta colère, où je peine à te suivre mais qu’importe, je te suis quand même. Je sais que tu ne peux pas mourir, tu es une battante, tu l’as promis, en plus. Tu ne peux pas partir. J’en suis convaincue et cette certitude là me fait sourire. Tu es ma force. Je n’ai jamais aimé personne aussi fort que je t’aime toi. Evidemment, j’aime mes parents, mes sœurs. Mais toi je t’aime différemment. Je t’aime parce que tu es en moi. Et puis c’est le matin, c’est l’hiver, un de ces sales matins où le vent souffle fort, où le ciel est sombre, où la vie s’arrête quand on sonne à la porte d’entrée, qu’il est à peine 5 heures du matin et que je sais. Je dors mais je ne dors plus, je sais. Quelqu’un vient te dire « elle est partie ». Elle, pour parler de toi, ma p’tite sœur. Au grand cœur. Je suis pleine de fureur, de colère, je t’en veux, je suis très fâchée (qu’il est infiniment petit, ce mot !), tu es partie. Tu t’es laissé mourir. Je ne peux pas le croire. Pas toi. Mourir, c’était impossible, dans la conception de mon monde. Mon monde, je ne veux et ne peux le concevoir sans toi. Je ne pense qu’à moi : comment vais-je survivre sans toi. Je ne te pardonne pas. Et puis il y a cet instant étrange, où je te vois dans une petite boite, tu es toute pâle, toute triste. Moi, je ne me souviens plus. Je pleure. Je ne veux rien bénir, je suis en colère contre toi et contre Dieu. Et puis il y a cette rose blanche, que je jette sur la petite boite. Tu es dans la terre. Je n’entends plus rien. Je me suis isolée, ailleurs, dans le lointain. Je repense à ce train qui passe et repasse, à cette vie dont je ne voulais plus, à ton absence, à ma colère, je me dis que toi non plus tu n’avais pas le droit de partir. Je parle de ton départ, je ne parviens pas à parler de ta mort. Partir et mourir, c’est pourtant si différent. Je n’ai jamais dit à personne que tu étais morte. Pour moi, tu es partie. Ailleurs. Je l’ai compris des années après. Il n’y avait pas de pardon à offrir, je ne t’en voulais pas, ma colère était la mienne, contre moi, pas contre toi. Personne ne devrait jamais mourir, à 20 ans, à l’aube des promesses de la vie. Mais toi, qui ne voulais jamais rien faire comme les autres, tu l’as fait. Et moi, moi… Je t’attends toujours, dans la promesse d’un jour sans retour.

Signaler ce texte