Chambres d'hôtes

cerise-david

J’ai jeté un dernier regard sur le sol vide du salon. La poussière flottée dans l’air, et les stores laissaient filtrer les quelques rayons d’un soleil d’automne. J’ai hésité, une dernière fois, une fois de plus, encore une fois… et j’ai doucement refermé la porte, sur nous, notre appartement, ton départ. J’ai attrapé le carton solitaire qui contenait tes dernières affaires, j’ai sifflé Froggy et j’ai descendu les étages. Doucement, en m’accrochant à la rampe, solidement. J’avais les jambes tremblantes, le regard perdu et la gorge sèche. J’étais pas au meilleure de ma forme mais ça irait mieux demain… hier sera bientôt loin. J’ai ouvert le couvercle de la benne à ordures et l’ai nourrit une dernière fois. Dépasser de sa gueule une chemise rose, un cadeau que tu avais laissé avec le reste. Autre chose t’attendait. J’ai mis du temps à faire mes cartons, du temps à me réveiller, à sortir de ma torpeur. Je ne sais même plus. Quand es-tu parti ? Quelques mois, plusieurs jours, un an ? Je sais juste qu’elle était brune, charnue, pulpeuse. Que tu te sentais en vie lorsqu’elle glissait sa langue dans ta bouche, lorsqu’elle te prenait dans la sienne. Je sais juste que je ne t’ai jamais revu, je sais juste qu’elle s’appelle Estelle. Je sais juste que tu ne m’aimes plus. De nous il ne reste qu’un triste solitaire noué à mon poignet. Souvent il reflète l’eau de mes yeux lorsque de ma main je chasse une énième pensée pour toi. Comme à cet instant, alors qu’une larme vient perler sur mes joues. Assis à mes pieds, ton bouledogue penche la tête, d’un air sérieux. Lui aussi tu l’as oublié. Tant mieux, je l’ai toujours aimé ce clebs. Il bave, rote, pète et dort sur mes pieds. J’ouvre la portière de ma Clio, il saute. Je tourne la clef, j’ai le cou mouillé. Je renifle et quitte le parking. Je prends l’autoroute, monte le son de la radio pour couvrir les ronflements de la tache noire. Sur le dos, les quatre pattes en l’air, il offre un sourire sur mes lèvres. Je roule vite, le soleil est haut dans le ciel. Il chauffe ma peau blanchie. Enfermée et malmenée. Je suis les panneaux, quitte le flux intense d’Agen et m’enfonce à travers les champs… je tourne à droite et arrête enfin le GPS. Nous y voilà. Le camion des déménageurs est déjà là ; on ouvre ma portière. Un brun torse nu me lance un sourire et m’annonce fier comme un paon que tout a été déchargé avec délicatesse. On verra bien. Je replace mes verres noirs sur mon nez rougit. Et les mains sur les hanches affrontent ma future mansarde. Il y a beaucoup de boulot mais peu importe, je suis loin. De toi, de mon ancien moi, des autres, ceux qui rient. Froggy a déjà déterrer plusieurs plans de primevères et décapité une dizaine de narcisses. Tu as raison petite tâche, elles sont trop prétentieuses. Je fais le tour de ma modeste demeure avec lui sur les talons. Un vrai pot de colle, comme toi avant. Le brun de tout à l’heure me laisse sa carte ; il n’habite vraiment pas loin, il ne faut vraiment pas que j’hésite si besoin, y’a vraiment aucun problème. Je réponds simplement qu’il n’y a vraiment aucune chance que je l’appelle parce que tout va vraiment très bien aller. Air dépité. Froggy pisse sur les rosiers. Tout va bien se passer. Je monte à l’étage, tout a effectivement été déposé selon mes consignes avec grand soin. Quelques heures, litres d’huile de coude et plusieurs quintes de toux plus tard, la plupart des cartons sont vides. Mon micro-onde est branché et mon lit prêt. Froggy se réveille doucement et vient réclamer le reste de mon sandwich. J’ouvre l’écran d’ordinateur et consulte mails, réseaux sociaux et autres informations en tout genre. L’électricité, l’eau, le câble et le net m’attendent depuis trois semaines. Trois semaines que je fais les cent pas dans un appartement miteux. J’ai refusé de partir. Peur de perdre, perdre quoi ? Me perdre moi. Ce soir, je suis perdue pour perdue. Mais ça va déjà mieux. Une clope écrasée dans un pot de yahourt et je me détends enfin. Je m’allonge alors que mon Iphone indique une heure trente quatre. Je respire doucement et m’endors bercé par les ronflements d’un adorable petit chien.

Je ne sais vraiment pas rester toute seule, alors après trois jours de solitude j’ai retourné mon presse-papier en quête de la carte de visite du beau brun… sous l’air consterné de Froggy. Ce chien est trop intelligent, il voit bien dans mes mauvaises habitudes quand ça ne va pas. C’est dans ces moments là, qu’il se fait encore plus collant. A tel point qu’il a fixé le beau brun, qui s’appelle Charles, toute la soirée… et qu’il a tenté de chaparder notre chinois. La soirée fut tout de même agréable… et le vin blanc sucré m’aidera à ôter mes vêtements sans trop me poser de questions. Une aide tout aussi discrète que les mains habiles de Charles. Froggy se contente de nous regarder, blottie dans l’embrasure de ma porte de chambre. Au réveil, j’ai mal à la tête. Quand à Charles, il est parti laissant un petit mot. « Au plaisir, de te redonner un coup de main ». Le café est chaud, des croissants sont posés sur la table et Froggy, les pattes noires de terre, tient dans sa gueule quelques primevères méticuleusement arrachées. J’ai jamais rappelé Charles. Je crois que j’avais juste besoin d’oublier ta peau, ton odeur. Les mois d’hiver sont passés, le printemps à fleuri à nouveau les narcisses, les rosiers ont continués leurs ascensions sur la façade de ma mansarde. Les jours chauds d’été m’ont redonnés le sourire, ont caramélisés ma peau, dorés mes cheveux. Mes amis sont tours à tours venus me rendre visite. Et la vie à repris un cours normal, mon cœur est resté dans un état stationnaire. Pas d’émoi, de sur-moi ou d’autres idées farfelues. Il n’y a pas eu d’autres Charles. Je n’en avais pas envie. Je me suis simplement occupée de moi. Le reste à suivi… de longues balades le long du canal d’Agen m’ont inspirés, j’ai peint . J’ai aménagé le rez-de-chaussée, repeint la façade et comme prévu, un an après mon arrivée, j’ai planté mon piquet « Chambres d’hôtes ». Un rêve de gosse qui enfin me permettrait de partager et découvrir. J’ai embauché une jeunette avec des piercings partout, mais très sérieuse. Et puis, Froggy était toujours collé à ses pieds. Bon signe ! il ne fait d’habitude confiance à personne ! Ma bibliothèque comptait 2000 ouvrages, et le jardin était à présent magnifique… ravagé parfois par les excès de la tornade Froggy qui, décidément, n’aimait pas les primevères.

Plusieurs couples d’anglais et de Hollandais, amoureux de la région et du vélo se sont succédés. Tous ont promis de revenir l’année suivante. Ma jeunette, Eléonore, me comblait, véritable fée du logis et excellente pâtissière. Je pus m’octroyer quelques jours de vacances sur la côte basque. Je me perdis toute une nuit dans le Casino de Biarritz, bu avec excès et me retrouva à partager la chambre de l’auberge de jeunesse d’un jeune blond. Je ne me rappelle ni son nom, ni la couleur de ses yeux. Je repris la route, penaude et encore engourdie de ma nuit noire. A mon retour, un jeune militaire avait loué une des chambres. Il venait à Agen pour y sauter en parachute durant ses permissions, un de ses amis tenait le club de parachutisme. J’ai toujours eu une grande admiration et un profond respect pour ses hommes qui n’ont peur de rien. Je suis envahit d’un malaise simplement en faisant de la balançoire alors sauter d’un avion… avec l’espoir que ma toile se dépliera… Plutôt mourir ! Jeune homme charmant, bien bâti. C’est comme çà que Eléonore me le décrivit. Ce n’est que deux jours plus tard, que nous fîmes connaissance. Enfin, que Froggy décida que ce nouvel hôte était une curiosité assez intéressante pour le suivre jusque dans les toilettes de sa chambre. Gênée je décidai de lui offrir une journée et une nuit à mes frais. Il refusa, en riant. Je crois que Froggy lui avait tapé dans l’œil, puisque le lendemain il l’emmena courir à ses côtés. Notre tâche noire fût ravie à en croire sa langue tombante à leur retour. Nous prîmes le déjeuner tous ensemble profitant du soleil d’avril et de la terrasse en bois que je venais de faire aménager. Notre hôte me félicita pour mon gout certain et proposa à Eléonore de l’emmener sauter en parachute l’après-midi même. Je ne pus réprimer une certaine jalousie, mais elle était beaucoup plus jeune et séduisante que moi. Et puis, avec mes cheveux mal coupés et mes babouches trop grandes, j’aurais fait peur à un épouvantail ! Je crois qu’elle passa la nuit dans son lit, car elle était déjà en cuisine lorsque je me levai. J’esquissais un sourire, j’étais contente pour elle. Je suis toujours heureuse du bonheur des gens qui m’entourent. Je crois que c’est mon plus gros défaut, m’assurer que tout va bien pour les autres avant d’être sure que je vais bien moi-même. Le militaire est reparti… laissant Eléonore à ses pâtisseries.

Je l’ai bien vu, qu’il lui plaisait, et cet âne qui me drague à moi. Moi je m’en fous des mecs. Elle me fait peine quand même, elle sort jamais. Elle a toujours de la peinture dans les cheveux ou de la terre sous les ongles. Moi je la trouve jolie, et puis, elle a même plu à Charles… Je vois bien qu’elle est malheureuse… elle dit que non, que ça va. Mais je suis sure qu’il lui ferait du bien l’autre âne. L’autre nuit on à pas mal discuter, c’est un mec bien. Enfin, il ne m’a pas sauté dessus. Il veut me présenter un copain, il va revenir. Il voulait lui piquer son chien, il est un peu fou… mais je crois qu’il serait bien pour elle… demain, je l’emmène chez la coiffeuse et je dois bien avoir une paire d’escarpins… Si Froggy ne s’est pas fait les dents dessus.

Le lendemain, Eléonore a décidé de me « féminiser ». Les hommes ils ne veulent pas d’une Jane qui cultive la terre. Je voyais bien le grain de malice dans ses yeux, j’ai laissé faire pour lui faire plaisir. Je n’étais pas à l’aise dans le fauteuil de la coiffeuse mais l’air de jazz qui passait à la radio m’a doucement emmené ailleurs, les mains de l’apprenti, qui me massait, ont finis par m’endormir… Doucement, les mèches ont recouvertes le sol… c’était un carré court, ma toison bouclée avait disparu. Plus de mèches hirsutes pour cacher mes yeux… De retour au gîte, Froggy a lâché un jappement. Ce froussard ne m’a même pas reconnu… il est parti arraché des primevères. Nous avons éclaté de rire avec Eléonore, puis elle a sorti un paquet, mal ficelé… Avec des sapins de Noël. C’était tout ce qui restait pour emballer m’a telle dit. Pressée j’ai déchiré l’emballage et découvert une paire d’escarpins en velours noir. Le talon droit et fin était rouge. Un sourire s’est dessiné sur mon visage… avant, j’adorais ce genre de pompe. Je l’ai tendrement remercié. Cet amour de gamine sans qui tout ce bonheur n’aurait été possible. Une série de Klaxon a alors retentit dans la cour. Je me suis précipité dehors. Deux voitures étaient garées dans la cour, des allemandes. Cinq mecs attendaient sagement que Froggy finisse de les renifler. Notre charmant militaire a lancé qu’ils s’étaient perdus avec une bande de copain. J’ai répondu que par chance nos chambres étaient libres. Il a croisé mon regard et j’ai senti une vieille brulure dans l’estomac ; j’ai baissé les yeux et demandé à la troupe de me suivre… Il s’est approché, m’a toisé et sourit. Je crois qu’il a dit que ma nouvelle coupe me rendait très jolie… ou un truc dans le genre. J’ai cru que ma poitrine allait exploser, des flammes vertes emplissaient ses yeux. Et du rouge est venu coloré mes joues… après, on a fait un grand repas, dans l’herbe. On a beaucoup bu, et dans la nuit on a longuement marché jusqu’à un lac. Je crois que je fus la première à me jeter à l’eau. Je me sentais tellement bien…. Et cet air de jazz est revenu me trotter dans la tête. Eléonore embrassait un des garçons, je les fixer…

-          C’est pas beau d’être jalouse.

J’ai jamais pu répondre, parce que ses lèvres se sont posées doucement sur les miennes… il a reculé, a attendit la gifle sans doute. Et j’ai fait un pas vers lui… cette nuit, c’est pas le vin qui m’aura dénudé. Le reste du week-end est passé à une allure folle et le dimanche soir, ma voiture avait disparue. Sur le bar avait été laissé la page déchirée d’un petit carnet :

« Voici mes clefs, on s’est serré un peu dans ta Clio mais ainsi je suis sure que tu te sentiras obliger de me la ramener. Je t’attends vendredi après-midi. Voici l’adresse. Pas de numéro, pas de négociation. Embrasse Eléonore de notre part à tous, remercie là pour les gâteaux. J’ai passé un week-end fabuleux. »

Je crois que j’ai jamais autant attendu un week-end, de toute cette putain d’existence. Vendredi midi est arrivé, lentement. Alors, j’ai jeté mes bottes sous l’escalier, enfilé un Levi’s propre, la paire d’escarpins et un marcel noir…. J’ai refermé la porte d’entrée… fais quelques pas. Suis revenue en arrière, j’ai rouvert, sifflé Froggy, attendu que monsieur daigne se mettre au trot. Mon sac à main était dans la voiture, fâcheuse manie qui pour une fois ne m’obligea pas à rouvrir la maison. J’ai roulé vite, signé ma contravention sous l’œil morne de l’agent qui avait enregistré son record de la journée, 147 km/h sur autoroute. J’ai écouté sagement ses remontrances, pris mon air d’enfant sage. J’avais trente-cinq minutes de retard… Froggy menaçait d’uriner sur les sièges en cuir à tout moment ! Quand je me suis garé sur le parking désert, j’ai jeté un coup d’œil à ma montre pour enfin prendre conscience que j’avais plus d’une heure d’avance, nous avions changé d’heure cette nuit. L’horloge du tableau de bord était celle d’hiver. Je crois que jamais je n’avais été aussi impatiente. Impatiente d’embrasser le bonheur à pleine bouche. Je crois que j’avais enfin pris conscience, que moi aussi j’y avais droit.

 

Quand j’ai passé la grille du régiment, je l’ai cherché du regard. Mon pote me tapa alors dans les côtes et me demanda si j’avais de la merde dans les yeux. Elle était là, adossée à ma voiture, radieuse. La clope au bec ; elle qui jurait sans cesse d’arrêter. Elle a levé les yeux. Pour une fois, son visage affrontait la vie. La première fois que je l’avais rencontré, elle n’avait même pas osé croiser mon regard. Elle passe sa vie les yeux rivés au sol, à s’excuser lorsqu’elle se cogne aux poteaux. Aujourd’hui je crois même qu’elle aurait pu sauter en parachute… je crois que je la rends heureuse… elle a écrasé son mégot du bout de ses escarpins et à couru dans mes bras. Froggy n’a pas tardé à nous rejoindre, après avoir méticuleusement arrosé les jantes de ma voiture.

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