CHANT DOLOR, jour du crêpe

Isabelle Revenu

Un crêpe pour la huit !


Mon cuistot, qui est loin d'être un perdreau de l'année, est mort. Il s'est pendu dans le saloir à jambon en se taillant les veines. Lui qui disait toujours qu'il n'en avait pas.

Marre des tire-au-flanc, de se faire peler le jonc et d'écumer les jours. De patiner dans la choucroute et d'avoir la tête comme une pastèque.

Il voulait simplement le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière. 


Un crêpe pour la quinze !


Mon cuistot tout menu s'est noyé dans une pinte de mauvais sang. Ras le bol à soupe d'être pris pour une bonne pâte, de se faire griller la priorité par les priorités des autres. De se cailler le lait pour des gourmets à la petite semaine.

Des mal embouchés à la Reine.

Des merles grivois et moqueurs. 


Un crêpe pour la cinq !


Mon cuistot qui a trois lardons, brouillant les cartes un beau matin, s'est fait la belle dans le séchoir à pruneau au calibre douze. Gardant ses lentilles pour mieux voir la mort le surprendre et ne pas en perdre une miette.

Assez des hypocritiques, des épistolaires lunaires et des chercheurs de poils sur les oeufs.

Les sauciers l'ont retrouvé marinant dans son jus.

Confit de douleur.


Un crêpe pour la sept !


Mon cuistot qui a déjà la tête comme une passoire s'est tiré une balle dans son coeur de pigeon. Etouffé, enserré dans son tablier comme une sardine un jour de fête votive.

Basta l'huile sur le feu, l'eau dans le gaz et la pression qui monte. 


Un crêpe pour la onze ! 


Mon cuistot a tourné le dos au monde des allumés étincelants. Il s'est fait harakiri dans la réserve à chocolat en se fendant la poire en deux. Laissant le meilleur pour la faim et une miette pour la soif.

Ras la cafetière de passer pour un bleu. Et de cette cuisine molle et séculaire.

Moléculaire.

Tentaculaire.


Un crêpe pour la Une des journaux !


Mon cuistot, pourtant un dur à cuire, s'est fait la malle des Indes. Il a épicé partout et rit au curry. Nerveusement.  Se laissant absorbet au citron, il est devenu flou.

Finie la tarte en pion. Terminé la crème des hommes.

Il bout de colère, ses vapeurs et meurt, sublimé par les confrères et consoeurs à table lors de l'enterrement.


La vie, une addition salée pour une sale farce ... 

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