Chapitre 3.

sisyphe

Chapitre 3

Plus de concierge, plus de quais, plus de béton, plus de briques, plus rien. On avait quitté la minable gare de ma ville sans nom, cette fois c'était fait, je partais vraiment. Du moins, je le croyais. Il n'y avait plus rien que nous tous, des fuyards aux raisons et horizons divers. Plus que nous, le tunnel de ferraille et les rails. En dépit de la taule qui nous séparait du dehors, ça faisait un vacarme pas possible toute cette masse en mouvement. C'est le siècle du mouvement dans lequel on vit ! Faut s'y habituer comme faut s'habituer au bruit qui l'accompagne. C'est que ça bêle tout les troupeaux du monde en mouvement perpétuel vers le boulot, la rame de métro, la soupe ou la guillotine quotidienne. Et quand on sera devenu plus que des flux de portefeuilles dociles et que ce sera irrémédiable, on nous foutra la paix avec les humanismes malvenus. En attendant, je devais quand même me trouver une place. C'est pas facile de savoir où on va poser son délicat derrière. Le choix nous fait tourner la tête, ça nous enivre. On tient peut être bien l'alcool, surtout le mauvais mais le luxe alors, on est pas habitué. Surtout que tout est à demi occupé. On verra jamais deux inconnus spontanément assis l'un à côté de l'autre. Ça pourrait faire des liens entre eux et ça, faut éviter. Un peu plus, ça pourrait devenir amis et là, on pourrait plus rien pour eux. On est jamais aussi bien qu'assis vers la fenêtre, les bagages comme passager. Ça fait une barrière de plus pour l'importun qui voudrait nous coloniser et la fenêtre c'est toujours un beau hublot pour admirer les profondeurs que l'on traverse. Parce que tout ici bas n'est que profondeurs, abysses opaques, nuits sans lune et le beau drame, c'est qu'au dessus, c'est pas mieux. J'ai persévéré, j'ai creusé la galerie qui filait à toute allure et puis, j'ai débouché sur un bon gisement, le bon wagon. Un superbe filon, de l'or dans les cheveux, les rubans, les bagues, les lacets, un râtelier en or aurait pas été choquant, fallait pas y venir avec des antécédents cleptomanes. Mais même sans ça, j'y foutais la trouille à ces gens là. Ça débordait d’opulence, magnifique ! Un Versailles qui brillait dans chacun de mes yeux. Il y avait là les bon messieurs abonnés à vie aux premières classes, haut de forme vissé sur le crâne, la canne ornée de beaux symboles, les armoiries toutes lustrées et justement sorties des armoires pour l'occasion. Il leur en fallait peu pour juger bon de se valoriser. Leur femmes roses et grasses, là aussi l'opulence en débordait. Toutes pomponnées de rouge, de rose, sur les joues, la bouche ou les ongles. Sur ces tableaux là, le peintre s'était lâché.

J'étais une belle tâche moi, au milieu de toute cette pureté. Ça impressionnait tout ça alors je me suis mis sur la pointe des pieds, mes vieilles savates craquelées qui rompaient à chaque pas, j'ai rejoins la dernière place libre, près d'une autre de ces dames du monde, qui se cramponnait au siècle dernier, à sa mode et à ses valeurs. J'avais pas de mal à l'imaginer déverser sa bile sur toutes les révolutions possibles et imaginables, louant sans cesse les honnêtes soumis des usines de son mari qui se tuent aux tâches et remercient de ça. Sa bile infâme, elle en sortait comme par ses yeux quand elle les a posé sur moi. C'était du mépris le plus corrosif qui soit. Pas que ça me vexe ou quoi que ce soit, pensez vous, on est habitué dans notre condition. Mais elle braquait sa lampe torche droit sur ma face, intimant ses congénères de la suivre. C'était de la belle chasse ça ! On traquait l'animal jusque dans son coin, à dix contre un, pour pouvoir se vanter du courage qu'il a fallu avoir. J'étais comme un puceron sur les belles roses à leurs boutonnières, un ignoble moucheron sur leurs épaules cirées, lustrées par les décorations factices qui y trônaient. Pour se donner de l'apparence dans leur société d'illusions. Quand je respirais leur air tout parfumé, c'était le bourdonnement de la mouche qu'ils entendaient. Même aveugles, je les aurais irrité par ma seule présence. Mais moi, j'étais tenace et puis, tant qu'à faire, plutôt que moucheron, je serais punaise. C'est du noble par excellence ça les punaises. Ça pue quand on les écrase. C'était bien un modèle pour nous les miséreux parce que nous, on avait beau nous foutre sous les bottes diverses et innombrables des puissants, on en finissait pas de ne s'en faire que plus discret. C'était bon de se sentir ainsi considéré. A défaut d'estime, on avait au moins quelque chose à mon égard. J'aurais bien apprécié si j'étais pas occupé à vouloir que justement on me foute la paix. Du coup, moi aussi ils m'irritaient. Tous, correctement vautrés, des porcs à costumes et cravates, des truies barbouillées du rouge à lèvre et qui sortaient leur petite mangeoire de leur sacs pour y replonger la tête. Alors elles en ressortaient pomponnées, ravies comme jamais, sûres de leur charme grotesque, porcin et divin.

Bien sur, ça me mettait en rogne tout ça. Fallait que je me fasse les dents sur quelque chose pour éviter de les mordre. On met pas décemment un renard dans un poulailler, même si c'est lui qui est rentré. J'étais du genre prédateur en si charmante compagnie. De toute façon, on a pas le choix avec ceux là. Et puis fallait que je me méfie. En y restant trop longtemps avec eux, ils auraient encore trouvé le moyen de reprocher de leur manquer de respect à eux, cette engeance de la providence qui nous dispensait la pitance dans nos gamelles, gracieusement. Ah les saints ! Pour éviter de me compromettre à manquer de respect à ces martyrs j'ai préféré baisser les yeux, ça j'étais habitué, et puis hacher à petits coups, torturer délicieusement une vieille feuille de journal qui renâclait à sortir de mes poches. C'est toujours la même scène. Nous autres, c'est toujours avec les mains qu'on s'occupe. En travail comme pour les affaires du derrière, la hantise du pauvre, c'est d'être manchot. On a roulé un peu comme ça, dans l'hypocrisie du silence. On bourlinguait tranquillement pourvu qu'on s'oubliait. Les mots dans ces cas là c'est superflu. Comme souvent tout compte fait. On a pas besoin d'épuiser le dictionnaire pour se rendre compte qu'il y a bien rien à tirer des hommes. Les gisements de la pensée sont vides et ça ne fait qu'empirer. Mais on a trouvé les énergies de demain, on travaillera deux fois plus la soumission et l'endurance. Ça permettra de compenser et puis, à terme, ce sera un mal pour un bien. Moins de pensée, c'était trop coûteux à produire et puis ça nous polluais la vie! Alors on nous sortira du grand chapeau politique les énergies renouvelables, les moteurs de la société de demain et puis d'aujourd'hui un peu aussi. La soumission et l'endurance à celle ci. Que j'en était fier moi de ma civilisation..! Mais tout paumé que j'étais dans mes considérations, je l'ai pas vu entrer le contrôleur. Il était arrivé le sauveur de ces dames, bien sur que moi j'avais oublié assez volontairement de prendre un billet. Depuis le boulot que je pointais plus, j'allais pas m'y remettre.

« Billets s'il vous plaît monsieur. » Ça tonnait comme une sentence terrible, un foutu coup de marteau sur le bois du bureau, sur le haut de mon crâne et ça me résonnait dans tout le reste du corps. Je m'étais pas attendu à cette question là, j'avais pas révisé assez, j'étais tout ébranlé. Putain, pourtant ça sentait le traquenard à plein nez, pas besoin d'avoir les sens en éveil, c'était tout indiqué. Toute la bonne société qui présidait dans le compartiment, c'était que des panneaux de danger et autres signaux. J'avais été bien trop con de me croire à la hauteur pour rivaliser, m'asseoir à la même table et puis manger avec leurs propres couverts qui plus est. Maintenant, la finance envoyait un mandaté pour me rattraper. Ça finit toujours par vous rattraper les problèmes d'argent, vous pouvez bien vous enfuir dans une ville inconnue même de vous, il l'a connaît déjà. Alors les ruelles, les raccourcis, à oublier. On peut pas s'enfuir de ça. C'est dans notre condition. Et quand paraîtra qu'on aura trouvé dans le génome humain une prédestination financière pour chacune vermine de notre espèce, ça ne m’étonnera pas. C'était finit l’accalmie. On s'enfuie jamais sous des soleils qui durent, très tôt les impôts recommencent à pleuvoir, les paiements, les créanciers, tout ça forme alors de superbes averses, grandioses et les coups de tonnerre qui sortent des talons cirés des huissiers quand ça résonne sur le pas de votre porte. On a beau dire mais quand on a écrit l'Apocalypse, son auteur devait avoir de sacrés dettes pour voir de si belles visions. Tout est question de créance. Il parait aussi qu'à la fin on aura encore à rendre compte de tout cette fois. Tant qu'à faire autant finir vite, on aura à rendre compte de moins et puis on se prendra moins de trique tout là haut par saint Pierre.

« Si vous n'en avez pas monsieur, autant vous dire qu'il va falloir vous préparer à me suivre...»

Elle était jolie sa nuance. Autant qu'elle était inutile. Il était en bonne compagnie ce bon fonctionnaire, ça le gênait de m'empoigner par la peau du cou pour m'intimer de foutre le camp au plus vite. Ça n'aurait pas été très correct faut dire. Et pourtant, ils n'attendaient que ça mes bourgeois. Comme d'habitude, aux premières loges et sans se mouiller. Privilégiés sans s'y frotter. Ils m'épiaient et leurs yeux viraient de bord à chaque mouvement. Tantôt moi, tantôt l'autre. Ça n'attendait que ça, la première goutte de sang, le premier verbe sortit du fourreau. Une fois cela fait, il n'y aurait plus qu'à gueuler, vociférer dans tout les sens, profiter de l'occasion pour sortir du costume, du carcan. Pour la moindre goutte de sang sur le pavé voisin on aurait déchiré les costumes du dimanche, on se serait répandu en gueulantes enflammées, pourvu que ça saigne et qu'on nous laisse regarder tranquilles! Ah ça se voyait qu'ils en jouissaient tous ces bonshommes et ces bonne femmes, ravis de retrouver leur paix, leur voyage muet sans le malaise d'un pouilleux à leurs côtés. Et puis, il y en a qui a explosé, il s'est levé, malhabile sur sa canne pourtant ornée d'or.

« Ah mais foutez le dehors monsieur! C'est une honte que de se servir sans payer votre ticket! Je l'ai moi monsieur! Parfaitement!...Et puis je l'ai payé! Chose que vous ne pourrez jamais faire! Foutez le moi dehors bon sang! »

Pour l'avoir, il l'avait. Et puis pas que ça. Il avait surtout la bile qui lui remontait aux lèvres depuis l'estomac, depuis le plus profond de ses tripes, là que ça pue le plus, là qu'il rumine sans cesse ses pensées en guenilles qui tournent sans cesse dans sa machine à laver de cerveau. Aujourd'hui, c'est le jour de l'essorage, que je me suis dis. Et c'est sur moi que tout tombait. Alors ce fut un concert d’aboiements des chiens et de leurs femelles, empressés qu'on n’emmène voir ailleurs si le voyage est plus facile à pied. Moi j'ai suivi, sans trop résister. Je parlais pas, inutile. Le grand type qui voulait mon billet au départ était presque sympathique. Lui il m'en donnait aussi des claques, mais des gentilles, dans le dos, comme un camarade. On s’arrêtât dans la prochaine gare comme l'avait prédit la voix du microphone. Sacré prophète. Mais elle avait beau prophétiser, je savais pas où qu'on était. Alors, le grand contrôleur a retiré son béret, comme pour le respect. Après tout, on avait du être frères lui et moi, du tout où il était encore dans sa misère. Parce qu'il n'y a qu'un miséreux pour traiter correctement un autre miséreux. Et puis, il avait beau s'en être sortit, je devais lui en rappeler moi des choses, et pas des belles! Enfin, on arriva. Les portes s'ouvraient sur une nuit noire, sans lait, sans sucre, corsée. Ça m'a pas surprit, moi je ne fais que ça, traverser des nuits sans sommeil. Il m'a foutu gentiment dehors, encore plus gentiment quand il a vu où qu'on était arrêté. Faut dire que moi, la cambrousse, j'ai jamais pu la piffer. La ville c'était beau ça, avec ces grands bâtiments qui vous encadrent, quand voir un bout du soleil devient exceptionnel. La ville il n'y a que ça de vrai pour sur, ça c'est de la prison civilisée. Tandis que votre cambrousse, il n'y a que trop de libertés, partout du bourbier dans lequel se vautrer, ça ne vaut rien. En dernier conseil, il m'a dit de continuer tout droit et j'allais arriver dans un village normalement. Un village, c'était Paris moi que je voulais. Mais j'avais bien compris que pour le rêve comme pour le reste, fallait prendre son mal en pis et puis dire au bon Dieu qu'on avait été bien gentil tout l'année des fois que...Alors j'ai continué, les savates qui s'enfonçaient dans la boue à chaque pas et puis les bruits partout, devant derrière...Partout! J'étais cerné, dés l'instant que j'avais foutu un arpion dans le train je l'avais été mais c'était que là que je saisissais. Fait comme un rat, et un rat des villes, pas foutu de me démerder en plein champs. J'aurais beau les appeler mes frères des champs, ils auraient pas rappliqué. La solidarité ça marche que quand au bout, il y a à gagner. Ça puait la vache, tellement qu'on arrivait à en souhaiter qu'elles meurent toutes. Qu'elles en crèvent les vaches! Et puis crevées, elles nous feront que du bien, à pourrir sous le soleil ou sous ma lune, j'en conchiais de cette odeur de vie mourante. Encore maintenant je m'en détache pas, la bouse, c'est ça qui est leur symbole. Le retour au naturel, la belle connerie. J'ai eu beau brûler mes torchons et mes guenilles, ça venait du dedans, de moi. Un pied dans la merde et j'en étais tout constitué. Pour de bon.

J'ai couru. A travers les rideaux d'ombres qui me tombaient sur les yeux à chaque foulée, je les fendais comme dans du beurre. Un beurre sacrément noir, on aurait dit du vieux savon. Sacrément rance, tout était rance et les blés me lacéraient les gambettes, foutue course contre rien. Et en plus, j'allais à la rencontre du tas de fumier que je voulais fuir. Plus je courrais et plus je m'en rapprochais. Mais ça tournait dans ma caboche, tout s'était mis à tourner, j'étais en plein délire ou alors c'était que moi qui était lucide. Fallait être fou, vraiment dingo pour prôner de la cambrousse à tout bout de champ, pour s'estimer heureux atterrir là. Elle me brûlait ma tête, comme jamais. Tout me revenait d'un coup, tout! Je pouvais pas les voir mais je les sentais, toutes ces moissons qui poussaient autours de moi, celles que je piétinais, tout ça qui allait partir tôt ou tard pour les assiettes. Je vous rends un service hé con! Tout ça pousse sur du bon terreau hein! Pas mieux que le fumier naturel hein...? Foutaises! Tout ça pousse sur des plus ou moins cons que nous! C'est rien que du cadavre partout! Allez-y, mangez-en du bon grain de la terre, on y entendrait les vers qui bouffent nos vieux dans votre mastication! D'un cadavre à l'autre j'allais, dans ma tête, un vrai défilé. D' Allemagne, jusqu'ici, c'était une sacrée cohorte, tous en rang, disciplinés comme toujours dans l'armée. Elle m’assiégeait cette armée, moi je rendais les armes et puis, je me suis retrouvé devant une pancarte bizarre. « Rapine » que c'était écrit. C'était ça le nom du village. Mon délire n'en finissait pas, j'ai couru les rues en gueulant aux portes, j'en pouvais plus.

« Marquez vos portes du sceau de l'agneau, les troufions périront comme à l’accoutumée! Foutez tous le camp, si c'est pas les allemands, c'est l’État qui arrive! Et pas la Providence! Foutez le camp! »

Bien sur, les gars de Rapine, ils étaient pas familiers avec mon genre d'énergumènes, quand les fenêtres se fermèrent sur mes délires, ce furent les portes qui s'ouvrirent, et une flopée de camarades, tous plus brutes les uns que les autres, la vraie fraternité. Un triomphe criant pour tout mon barouf. Ils m'empoignèrent tous, pour un peu j'aurais eu des palmes sur mon chemin et un âne comme pour rentrer à Jérusalem. Mais la Jérusalem qu'ils m'avaient prévue ressemblait fort à un asile ou à une taule.

  • Un talent incontestable.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • Une sacrée maîtrise qui fait penser à un ancien. Mais quand même,la grande classe que de savoir marier actualité et histoire, je suis ébahi de voir ta capacité à étirer le récit dans des pérégrinations intérieures qui résonnent avec ce qui entoure. Bravo et je guette la suite.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Grande hâte de continuer ton récit ! Toujours très bien maîtrisé et bien écrit ! J'aime ce monologue, ce voyage piétiné par l'opprobre des biens pensants munis d'un ticket pour baver ! Le héros aurait dû avoir un ticket, pour gueuler dans la bourgade... à te lire !

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

Signaler ce texte