Chapitre 6.

sisyphe

Je me suis réveillé...parce qu'il le fallait bien. Ils auraient pas pu me laisser crever, tout somnolant, peinard en quelque sorte. J'étais pas entretenu pour rien, fallait que je serve. Ici, rien n'est gratuit. Faut mettre sa peau sur la table, ça fait toujours une mise de départ. Et puis on se retrouve à devoir payer bien plus finalement...

J'ai pas eu à attendre bien longtemps. Le directeur avait prit la peine de me regarder pieuter à mon chevet...bienveillant le camarade. Béringue, Jean Marc Béringue. Et il y tenait à sa majuscule lui. Dés le réveil il me tenait le crachoir, fallait payer maintenant. Empaqueté, sous vide dans son costume, il se tenait bien droit faute de mieux, à me regarder...paternel...bon bougre. Il lissait sa moustache grisonnante du bout des doigts, délicats, pour me mettre en confiance. Son monocle lui faisait un faciès d'un autre siècle mais il l'a vite rangé, apercevant que je m'étais complètement éveillé. Paternel comme gars, ça se voyait bien. Alors, le sourire étant de mise, il s'est occupé de me foutre directement dans le bain...en ébullition sa foutue baignoire.

-Bertignasse!...Alors fils, sortit du brouillard?...Bien, très bien! Désormais vous voilà presque prêt à prendre du service!-

Prendre du service, j'y comprenais foutre rien...

-Nestor m'a parlé de vous, il vous à pour ainsi dire, recommandé. Vous vous souvenez de Nestor pas vrai? Recouvrez vos esprits fils, il y a ici tout pour cela et quand vous irez mieux, vous pourrez vous joindre aux autres patients. Je vous laisse, un directeur a tout de même beaucoup à faire vous en conviendrez.-

Et puis il est parti, emportant avec lui son râtelier tout souriant, insupportable...Alors comme ça, Nestor m'avait «recommandé». Et le père supérieur, il avait bien détaché chacune des syllabes. Re-co-man-dé...Rien que ça, je le savais pas que je jouissais de quoi que ce soit de recommandable...Un coup à remercier Nestor, il m'avait mis au service d'un nouveau supérieur, pris au piège de la hiérarchie, repris au piège...Il devait bien découvrir ses quenottes le bon dieu en me voyant m'enfuir de la sorte, foutu destin. Je lui en voulais pas tant que ça au Nestor, j'imaginais bien que c'était là le choix le plus raisonnable à faire, le mensonge le mieux choisit pour m'éviter l'internement à durée indéterminée...Sacré contrat de travail...

Les draps m'engloutissaient et se refermaient sur moi, inexorablement. Comme des assauts meurtriers de vagues gigantesques, je subissais les couvertures qui revenaient sur moi alors que je ne cessais de les écarter, de tenter de le faire. Tout se refermait sur moi, comme la main de l'infirmière sur mon bras, brutale la bougresse. Mes pieds battaient le vent, frappaient l'air et le meurtrissaient de cent milles ruades. Elle devait s'écarter la nurse, distance de sécurité obligatoire! Déjà elle se disait que j'étais encore un patient pas comme les autres, c'était les normaux qui deviendrait marginaux ici si ça continuait...C'est qu'on avait beau être à l'asile, fallait pas pousser tout de même...Elle renâclait à la tache, soufflait, braillait, appelait de l'aide, il lui fallait des qualifiés pour ce genre de boulot, du costaud. Et puis, rien de tout ça. C'était Nestor qui passait par là, allant aux nouvelles chez le patron. Il s'est bien rendu compte lui que ça risquait de compromettre ses plans si on me réputait turbulent. Le charme du détenu sans doute, toujours est-il qu'il réussit à convaincre l'infirmière de sceller son clapet et de m'administrer une piqûre dont je ne me souviens que l'aiguille. Immense, brillante et de milles feux! Elle était sortie du fourreau rien que pour mes belles veines cette épée. Excalibur version sédative, elle m'envoya vérifier je ne sais quoi au pays des rêves comateux, sans saveur ni plaisir. Mais le plaisir de dormir hein...Pourvu qu'on dorme et qu'on la ferme...

Je n'ai jamais su avec quelle drogue elle m'avait pollué les veines, mais quel voyage! Un rêve qui vous secouait aux tripes, au plus profond. Je m'en souviens encore, en chute libre au creux d'un volcan que je me voyais, seulement le volcan c'était ma tête. La lave, ma cervelle. Et ça fondait, ça fondait...Elle m'avait foutu le feu à la caboche avec sa piquouse. Et le rêve se prolongeait, je partais de mon crâne pour atterrir dans un champ, cerné par des allemands et des français en même temps. -C'est pas moi, j'y suis moi dans votre satané camp!- que j'y gueulais aux deux partis dans l'espoir d'emporter la sympathie d'un. Et puis alors, le déluge, des trombes d'acier qui me trouaient de chaque côté, de la souffrance jusque dans le sommeil, jusque dans l'inconscient, qu'on ne s'y ennuie plus! Tel sont les progrès de la belle médecine. On torture, on fait souffrir jusque dans les derniers retranchements pour voir où se trouve la dernière limite, la dernière barricade, jusqu'où je peux me réfugier avant l'infarctus? C'est ça qui motive. C'était quand même pas encore finit, il a duré longtemps mon coma intentionnel, comme meurtri dans ma chair je me sentais au réveil.

J'ai sortit la tête hors de mon brouillard, comme un têtard qui vérifierait le danger. A la surface de mon eau il y avait Nestor, lui aussi le sourire bienveillant...sale habitude ici. Compréhensif, il m'a laissé le temps de m’égoutter complètement, d'abandonner les dernières sueurs froides qui s'en allaient garnir le fond d'un matelas vorace qui m'engloutissait sans cesse. Me relevant avec peine, pris dans ce foutu sable mouvant où mes mains se perdaient quand je m'en servais, je plantais mes yeux dans les siens.

-Parait-il, tu m'as recommandé auprès du directeur?

-Tu peux t'abstenir de me dire merci.-ça me déconcertait ça, on a laissé un ange passer entre nous, puis deux, et une cohorte toute entière s'en est allée rejoindre de le Père, le Fils et puis tous ses esprits.

-Non vraiment, ce n'est rien camarade.- et toujours le sourire aux lèvres il me disait ça...

-C'est pas des fois dans tes plans de bien vouloir m'en expliciter la raison? J'ai rien demandé moi! J'ai peut être une tête à vouloir à tous prix être le larbin de quelqu'un?

Ça, ça le désarçonnait le Nestor. Ça lui était pas passé par la tête la question du larbin.

-Mais de quoi tu causes, de qui tu veux être le larbin?

-Tu m'as pas recommandé pour qu'on me libère sur le champ j'imagine...

-Non, c'est sur, mais figure toi- et il y allait pas de main morte sur la fierté-figure toi que le directeur, je l'ai dans la poche, les deux poches si je veux. Lui et moi, on est comme qui dirait amis, on en a une relation. Ça lui manquait un type à qui faire de la conversation autant qu'il veut. Et puis, je suis arrivé ici, un peu comme un messie tu vois. Alors qu'il devait faire sa visite habituelle au nouvel arrivant, il s'est vite rendu compte qu'il avait pas en face de lui le demeuré lambda. Du coup, on s'est lié d'amitié. Pas la même que Rimochon, lui c'est le vrai larbin.

-Mais alors, pourquoi m'avoir recommandé? Tu veux partager les gains...?

-Et bien...C'est à dire que tout comme le directeur, je m'ennuie aussi moi ici. C'est pas le tout de faire le gueuleton de temps en temps, de partager la parlotte avec un supérieur, on a aussi besoin d'un quelqu'un plus ressemblant.

Là c'est sur, j'en revenais pas. D'abord il se tapait sur la poitrine, mugissant de fierté à me conter comme il amadoue si bien les directeurs et puis il me choisit comme animal de compagnie...Après tout, ça me dépaysait pas tant que ça, j'avais jamais rien fait moi. C'était toujours les autres pour moi. J'avais pas besoin de connaissances où d'amis moi. Je savais pas comment on en faisait. Mais puisque ça m'était tombé sur le coin du nez...Les amis faut pas croire, ça devient vite une malédiction. J'en étais convaincu, j'y tenais dur comme fer. Qu'on leur offre des couteaux et c'est dans le dos qu'on les reçoit et vite en plus. Si tôt qu'ils nous ont trahis ils nous sourient, l'air de rien, une rangée de dents innocentes et pas hypocrites non! On le sait bien que c'est dans le contrat, bien en évidence. Et puis on l'accepte. Qu'ils soient fourbes, tant pis, il en faut des amis, ça ferait mal vu en société. Il en faut de la relation humaine, sociale, sinon on est vite encore plus mal considéré et alors pour survivre, quelle plaie...Le solitaire ne plaît que très peu. Mais ça viendra peut être, quand on reverra des clichés superbes de Nagasaki, on comprendra peut être que le lien social quand on a l'atome...Une belle connerie.

Je me suis rétablis, progressivement. Mon petit coup de folie m'avait quand même sapé quelques forces vitales enfouies ça et là dans mon fort intérieur. Insoupçonnables. Comme si je ne les avais jamais sollicités de toute ma vie et que, vexées, elles s'en étaient allées. J'avais alors plus goût à rien, même fuir, j'avais plus les forces. Rien d'autre que le lit minable de rétablissement ou je suintais de toute ma peine, de toute ma vie. Voilà tout ce que je désirais, y rester, pour de bon. Dans le lit comme dans la vie, y rester. En somme, tout m'abandonnais.

Il s'affairait bien pourtant Nestor, pour me faire revenir aux vivants, comme si ils me manquaient et réciproquement. Alors il me promenait, au bout de sa laisse de l'amitié. L'amitié par intérêts, foutu Aristote. Avec le directeur aussi, on en faisait des longues promenades, on prenait le café pour le quatre heures puis une collation, privilège rien que pour nous, sur les dix-huit heures. La tambouille, c'était pas pour nous bien souvent. On s'en allait par des chemins dérobés, pour se cacher, que la convoitise des autres ne nous rattrape pas. On la semait dans les dédales de l'établissement jusqu'au bureau du directeur. Une vaste pièce, meublée avec tout ce qu'il faut et puis, il y avait là une table, ronde, avec tout ce qu'il faut aussi. On mangeait grassement avec notre roi Arthur à nous. Et, lorsque quelques vieux relents nous parvenaient jusqu'aux naseaux, on s'ébrouait de bonheur, le bonheur de savoir la misère à quelques pas, et de ne pas y être.

Au cours de nos escapades, on traînait nos pattes jusqu'à la grille, jusqu'à la frontière. On y toisait le douanier chargé de refouler les dingos et de laisser passer avec suspicions les familles et leurs cabas. Les familles justement, elles affluaient par vagues régulières les jours de visite. Le samedi et le dimanche. Alors c'était un assaut...Il y avait les anxieux, ceux qui se souciaient en permanence, qui demandaient des précisions par centaines, par milliers, jamais fatigués qu'on leur réponde. Ils y comprenaient pourtant rien au charabia médical qu'il leur déversait le père Béringue. Et pourtant, ils ouvraient grand leurs oreilles et leur bouche pour mieux capter l'information, ils hochaient de la tête en permanence et déclamaient pour «aider le docteur» qu'ils disaient qu'ils avaient chez eux un bon remède de grand mère, qu'on pouvait l'apporter dans la semaine ou même encore qu'une chapelle dans l'établissement aurait été d'un secours incommensurable pour nos malades. Moi, je la vomissais leur idée mais fallait pas que je me sente concerner. On est véritablement malade quand on se considère comme tel. Et puis, il y avait l'autre genre. Les inquiets , anxieux eux aussi, mais d'autres choses. Ils promenaient sur les murs des regards de dégoût qui s'accentuaient au fur et à mesure qu'ils pénétraient notre univers. Ils allaient vite s'enquérir de la situation de leur malade, leur fardeau, savoir si c'était un poids à perpétuité ou si l'honneur familial pouvait être sauf. Avec un peu de chance, on pourrait le recycler à l'armée ou justement faire valoir un antique fait d'armes pour expliquer la folie. Ils déclaraient ça sur le ton de la confidence, sûrs d'eux mêmes, comme si c'était l'eau chaude qu'ils venaient de trouver. Mais des dingues dans l'armée, est-ce vraiment bien nouveau...? Pour moi en tout cas, jamais de visites mais j'étais pas non plus un vrai malade. Ce devait être normal alors. Ni dieu, ni maître et ni famille, tant qu'à faire.

Elles étaient rythmées par la vie de Béringue nos promenades. Il se plaignait sans jamais discontinuer.

-Voyez vous chers amis -qu'il nous disait, cordial comme jamais- Il faut bien que je dispose de gens comme vous, des gens d'intelligence que la providence à placé sur mon chemin. Car, si vous êtes ici, vous ne le devez pas à quelque dégénérescence bien sur que non! C'est le grand plan qui veut ça!-

Et il parlait de son grand plan avec des gestes formidable, des envolées notoires et ridicules comme on en voit que chez les croyants. Des croyants, il y en a partout, tellement il y a de conneries auxquelles se vouer.

-Nestor, Bertignasse!-comme à deux chiens qui se seraient trop éloigné de son droit chemin-C'est le siècle qui exige tout ça. Qu'avons nous juste derrière nous? Elle est encore à nos trousses la guerre, et comme elle nous sert! Voyez vous, il y a dans la guerre un générateur de folie mais, cet état qu'on nomme folie et pour lequel on parque toutes ces brebis, on se trompe dessus! Si les guerres sont si marquantes pour leurs âmes, c'est qu'on y voit le vrai visage de l'homme! Finit des sociétés et du progrès, tout n'a qu'un seul but et c'est sa propre destruction! C'est parce qu'ils s'y découvrent sous leurs vrais jours que ces gens sont devenus fous comme on dit. Ils sont juste  devenus vrais. Alors, que peut on faire, les soigner? On ne soigne pas un loup de sa condition de loup voyons. On les domestique, tout au plus. Voyez mes enfants, mon métier se situe entre le berger et...le précepteur si on veut.-

On le suivait, docilement notre bon professeur. Et quelques fois, il nous emmenait en excursion, une ballade dans la ville, noire dans la nuit. Les temps étaient propices, on jouissait alors d'un mois d’août qui avait dépeuplé les cités de leurs larbins pour les envoyer crever au soleil, rôtir sur les plages. On y croisait du monde pourtant à Rapine. C'était plus grand que ce que j'avais cru, plus tentaculaire. Mais fallait s'y attendre. La misère ça gagne tout, ça s'étend tant que ça peu, à l'infini.

  • Quand on a que l'atome, à offrir en partage (air connu)... Très bonne suite, du fond, du sens, de la bonne came, depuis le début ! Bravo Sisyphe !

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    leo

  • C'est captivant et ça fait réfléchir... vivement le prochain chapitre :-)

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    3d0

  • " Les amis faut pas croire, ça devient vite une " bénédiction quand ils ont la plume irrésistiblement canaille!

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    Jiwelle

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