Chicéric
petisaintleu
Je m'étonne encore que les cavaliers qui nous tombèrent dessus ne nous trucident pas. À quoi ressemblions-nous avec nos accoutrements, sortis du musée du Costume, des Pieds Nickelés intemporels ?
Impossible de dire combien de temps dura le voyage. Pour paraître moins anachroniques, aucun de nous ne portait de montre. Je n'avais aucune idée où nous allions.
À la mort de son père Clotaire Ier, Chilpéric, le cadet, reçut en héritage la Neustrie, le berceau des Mérovingiens, avec Soissons pour capitale. Si la loi salique écarta les femmes du trône, la primogéniture ne faisait pas encore partie du mode de succession. N'allez pas vous imaginer un roi en son palais. Il possédait Tournai, Cambrai ou Noyon ; pas impossible que nous nous dirigeâmes vers une de ces villes.
Comment décrire la cité vers laquelle on nous conduisit ? Elle possédait des origines romaines, preuve en étaient les ruines d'une arène. J'étais donc certain que nous ne nous trouvions pas dans la capitale neustrienne qui n'était qu'un ancien oppidum.
Dire que j'appréhendais la rencontre avec Chilpéric – c'était mon intuition qui m'y guidait – est un euphémisme. Ce n'est pas son étiquette qui m'impressionnait – je ne lis Point de Vue et Images du Monde que dans les salles d'attentes médicales – Sa réputation le précédait. Grégoire de Tours ne le surnomma-t-il pas « le Néron et l'Hérode de notre temps » ?
On nous sortit sans ménagement du char à bœufs. Un éclaireur dut prévenir le monarque de notre arrivée. Il nous attendait dans ce qui devait être la salle du conseil. Rien du physique ou de l'habillement ne le distinguait a priori d'un homme du peuple. Je savais toutefois que nous ne devions en aucune manière le sous-estimer. La religion catholique cherchait encore, par la voie de son Église, à devenir l'alliée de la dynastie qu'elle ne deviendra vraiment que sous les Carolingiens.
Les rois fainéants ne régneraient – terme impropre – que plus tard. Chilpéric possédait une légitimité incontestée par deux moteurs. Le prénom possédait encore un caractère magique. Il signifie, d'après les études de doctes étymologistes « qui peut aider ». Cette appellation, il la déclina en s'emparant, à la mort de son père, aidé d'antrustions, des guerriers d'élite, du trésor de la villa Brennacum. Il s'assura alors une fidélité sans faille de ses leudes assermentés qui, à la moindre défaillance, purent prendre le chemin de l'Aquitaine ou de la Burgondie.
On nous jeta sans ménagement à ses pieds, nous évitant ainsi de trop nous interroger quant à la manière de le saluer. Son visage ne ressemblait en rien à la figure altière que nous prîmes comme référence pour notre transfert. Une face grêlée par la petite vérole et un nez violet, déformé par l'alcool s'opposaient à des yeux qui, d'un bleu profond, pétillaient d'intelligence. Le biographe tourangeau le décrit d'ailleurs, au-delà de sa cruauté, comme cultivé. Il reçut des notions de grec et d'hébreu, grâce aux Juifs de sa cour.
Une voix, dont la salle, presque vide, se faisait l'écho s'adressa à Henri. Il dégageait sans doute plus de noblesse que moi ou Arthur :
« Avant que mes hommes ne s'occupent de votre sort ; je veux savoir la raison pour laquelle vous avez massacré mon fidèle Berthranm et ses alliés ? Êtes-vous des émissaires de mon neveu Childebert ? »
Sigebert, roi d'Austrasie, décéda en 575 et son fils, précédemment nommé, vingt ans plus tard. Il était le beau-frère de Galswinthe, l'épouse de Chilpéric que celui-ci fit étrangler par un serviteur. Vous suivez ? J'avoue pour ma part que, lorsque je me lançai dans la découverte de cette lignée, je me perdis comme dans le huit-cent-vingt neuvième d'une de ces telenovelas brésiliennes ; santa Barbare, le retour.
On continue ? Après le supposé assassinat de son épouse, Chilpéric se trouva en indélicatesse avec son frère Sigebert, l'époux de Brunehaut, elle-même la sœur de Galswinthe.
Malgré les tentatives du troisième frère, Gontran, roi de Burgondie, de calmer le jeu, Sigebert passa à trépas sous les coups d'un scramasaxe empoisonné. À n'en pas douter, l'ordre venait du cadet. Et Brunehaut mit en œuvre sa vengeance, la faide. En 584, Chilpéric, au retour d'une partie de chasse à Chelles, tomba sous les coups d'un poignard armé par la reine austrasienne. À moins, histoire de compliquer la légende des siècles, que Frédégonde, l'épouse de Chilpéric, n'en profita de se venger de l'accusation d'adultère qui évinçait de la succession son fils Clotaire.
Reprenons, avant que vous n'en perdiez votre royal Mérovingien, à nos affaires. Henri, le visage déconfit, restait muet. Sur Napoléon, il pouvait en écrire une encyclopédie. Dagobert, Théodebald ou Caribert, c'était de l'Alaman pour lui. La déglutition devenait chez moi une seconde nature. Déglutir, c'est mourir un peu ; de peur.
Je me lançai dans mon exposé, bravant les foudres du prétendu descendant des Troyens :
« Votre Majesté, nous ne sommes que de modestes sujets de votre Grandeur – j'eus un peu l'imbécile sensation de m'adresser à l'empereur de Chine ; je comptais sur mon traducteur automatique pour que je m'adresse avec le vocabulaire adéquat – et nous avions une information des plus implorantes à vous transmettre. »
À vrai dire, je n'avais aucune idée au moment où je m'exprimai. Je croisai les doigts, présumant de ma culture et de mon sens de la répartie, pour l'embrouiller. Je repris :
« Votre majesté, Berthranm vous était proche. Jamais vous ne vous plaignîtes de son intégrité et de sa fidélité. Alors, je vous le demande avec humilité. Posez vos yeux sur moi et voyez la ressemblance. Votre très dévoué était frère d'un jumeau que je suis.
Comme vous le voyez par nos vêtements qui peuvent vous apparaître outranciers, nous revenons d'un lointain voyage. Nous sommes des marchands. Alors que nous allions faire commerce de l'ambre chez les Slaves, ce peuple qui vit encore dans l'ignorance de Notre Seigneur, nous fûmes enlevés. Pendant des mois, qui nous parurent des siècles, on nous conduit jusqu'au royaume qui borde les confins de l'univers. Je suppose que mon frère, me croyant disparu pour toujours et par pudeur, n'osa évoquer mon existence, fou de douleur. »
Croyez-le si vous voulez. C'est en portant une main dans une poche que j'y découvris, oublié, un bracelet de ces larmes pétrifiées des dieux. Un cadeau que je devais faire pour ma nièce, en pleine poussée de ses dents de lait. Je m'empressai de les offrir au potentat qui s'empressa de le ranger dans une cassette.
« Continuez. Parlez-moi de ce royaume.
— Avec grand plaisir. Vous verrez que nos découvertes sont édifiantes. Nous nous ferons un honneur de vous apporter toutes les informations utiles à la grandeur de votre règne. »
Il me suffit alors de réciter dans ces grandes lignes le voyage de Marco Polo. Le roi fit venir un scribe pour prendre des notes. Il découvrit par mes paroles l'Arménie, la Géorgie, la Perse puis le vieil itinéraire de la route de la soie qui s'enfonce dans les montagnes d'Asie centrale. Après les déserts qui entourent le Lob Nor, nous atteignîmes Ganzhou, première ville chinoise. Mû par son regard qui pétillait de curiosité, je devins mythomane. Je fus présenté à l'empereur Gongdi de la dynastie des Wei de l'Ouest, nous découvrîmes des palais aux tuiles d'or, des grottes hantées de dragons, des peuples sauvages au corps d'ébène qui vivaient nus.
Je ne sais pas, si par la suite il envoya des explorateurs pour se ruer vers ces richesses. Les historiens n'en conservent aucune trace. Ce n'est qu'un siècle plus tard, sous la houlette de Gaozong, que des hordes d'étrangers convergèrent vers l'empire du Milieu pour commercer.
Chilpéric se montra très affable par la suite. J'aurais pu venir le faire manger dans ma main. Il préféra nous inviter à son dîner. Nous n'étions pas à la cour du Roi Soleil. Une simple planche, posée sur des tréteaux, qui furent retirés à la fin du repas, servit à la cène. Pas d'assiette, une simple plaque ronde sur laquelle posait une tranche de pain, voisine d'écuelles dans lesquelles on nous servit des soupes et des purées. À défaut de fourchette, nous mangeâmes à la bonne franquette, avec les doigts, nous les essuyant à la nappe prévue à cet effet.
Arthur, resté muet jusque-là, échaudé par le vin de grenache et par l'hydromel, nous sortit un de ses talents que nous ignorions, un tour de bonimenteur.
Je profitai de ce relâchement pour, entre deux rots et autres échappements gastriques, me renseigner sur mon homozygote séculaire. J'étais convaincu que nous touchions au fondement de nos épreuves. Je n'aurai pas une seconde chance de connaître les raisons qui nous y poussèrent.
Je profitai de l'intérêt que me portait Chilpéric pour prétexter que ces longues années d'errance, qui m'avaient éloigné de mon alter ego, me tenaient dans l'ignorance des raisons qui avaient décimé sa famille.
Grâce à lui, j'obtins enfin la réponse. Sa belle-famille, dont la mère avait la réputation de rester fidèle au paganisme et de pratiquer la magie n'admettait pas l'enlèvement par Berthram de Méroflède, leur fille. Elle était promise, de par sa beauté, à épouser Grimoald, un paysan mal dégrossi qui se fit soldat. Par sa bravoure, il obtint des terres et toute la famille s'imaginait vivre à ses dépens. Quand il apprit les épousailles de sa dulcinée et ne supportant pas qu'elle puisse aimer d'amour, il porta sa vengeance sur les frères de Mérodèfle en les faisant empoisonner.
Les corps retrouvés sans vie devaient donc être la conséquence de la colère de la marâtre. Il m'apprit toutefois qu'il y avait un survivant. Il avait envoyé le benjamin, Sigoald, dans un monastère pour qu'il aille parfaire son éducation.
Je possédais suffisamment d'informations. Je profitai que nous soyons tous trois réunis dans l'étable qui serait notre chambre à coucher pour reprendre la direction du monde actuel.
Très drôle les Pieds nickelés en costume ! J'ai aimé suivre la telenovela de Chilpéric...
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Très bien écrit. Un travail de recherches impressionnant. Bravo ! Je me suis laissée emporter
· Il y a environ 10 ans ·veroniquethery