Choucroute garnie
le-fox
Personnages par ordre d’apparition :
Rachid (Epicier marocain)
Pierre (La quarantaine, propre sur lui, inquiet et ahuri)
Gérard (Vieux fonctionnaire assez lèche-cul)
Julie (Prostituée vulgaire, d’un roux flamboyant)
Aïcha (Femme de Rachid, gueularde)
Grangier (Inspecteur de police caricatural)
Alfred (Croque-morts)
Dans une petite épicerie arabe, vers huit heures du soir, l’hiver. Elle est disposée à l’ancienne : d’un côté, l’épicerie, avec un comptoir et une caisse enregistreuse, de l’autre, un bar et une table, quelques chaises. Trois porte : celle du dehors, (profil, côté épicerie) celle de la chambre froide (face, fond épicerie), et celle du « privé » (face, fond bistro). Rachid, seul dans la boutique, derrière son comptoir, boit du vin blanc. Il cachera la bouteille précipitamment à l’entrée de Pierre.
RACHID : Et à monsieur, que puis-je servir ?
PIERRE : Ce qui vous fera plaisir, ça m’est égal.
RACHID : Vous pourriez me donner une vague indication, quand même. Une piste.
PIERRE : Non, non, vraiment, je m’en fous. D’ailleurs, je n’ai pas très faim. Je suis encore tout barbouillé.
RACHID : Ah. Eh bien… une petite boîte de cassoulet ?
PIERRE : Surtout pas ! Surtout pas, les haricots me donnent des gaz. Et comme on est en novembre, je vais avoir froid, et je vais dormir avec la tête sous les draps. Je risque l’asphyxie.
RACHID : Bon. Une tranche de jambon ? C’est du vrai à la coupe, hein, pas de celui qui transpire dans la cellophane.
PIERRE : Du jambon ! Vous n’y pensez pas. Pas de jambon, pas de jambon ! Je le digère très mal ! Sans compter les risques de ténia.
RACHID : Le ténia ? Dans mon jambon ? Dites-donc…
PIERRE : Je sais de quoi je parle. Et puis je me méfie. Je suis d’un naturel méfiant. Je suis né méfiant.
RACHID : Ah. Evidemment, on ne se refait pas.
PIERRE : Il faut être méfiant. On n’est jamais assez méfiant. Tenez, l’autre jour, si je ne m’étais pas méfié, je serais mort.
RACHID : Oh !
PIERRE : Si, si. Mort, ou estropié à vie. Quelqu’un m’a fait comme ça : attention à la marche. Il n’y avait pas de marche. C’était tout plat. Alors si je ne m’étais pas méfié, j’enjambais un endroit sans marche. Et je me cassais la gueule.
RACHID : Vous êtes sûr d’avoir entendu attention à la marche ? Parce que des fois, on croit entendre un truc, et c’est pas ça.
PIERRE : (perplexe) Maintenant que vous me le dites… Non, je ne suis pas sûr.
RACHID : Ou alors, il a voulu dire : attention à la marche à pied. Gare aux varices. Un type qui faisait de la réclame pour des voitures, probable. Ces gens-là sont capables de tout.
PIERRE : Oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui...
RACHID : Ah ! Ah ! Ah ! Vous voyez.
PIERRE : Oui, bon. Alors, qu’est-ce que vous me proposez ? Je n’ai pas que ça à faire, moi. Vous avez vu l’heure ?
RACHID : Non, pourquoi ?
PIERRE : Renseignez-vous, mon vieux. Il est tard. Vous devriez fermer.
RACHID : Fermer ? Sachez que la paresse et la pauvreté sont deux sœurs jumelles. Je peux vous proposer une boîte de choucroute. Par exemple.
PIERRE : Je ne sais pas ce que je vous ai fait, mais vous m’en voulez. Jamais, vous m’entendez, plus jamais je ne toucherai à un plat de choucroute de ma vie. Je hais la choucroute. Ma femme faisait tout le temps de la choucroute.
RACHID : Elle est Alsacienne ?
PIERRE : Pas du tout. Elle était, et j’insiste sur l’imparfait de l’indicatif, elle était d’origine italienne. Et parfaitement incapable de faire cuire des nouilles. Un jour, elle a découvert la choucroute en boîte. On a plus mangé que ça. Et froide, en plus, parce qu’elle avait peur de la brûler en la faisant chauffer, et qu’ensuite, il aurait fallu récurer la casserole. Alors pendant dix ans, j’ai mangé de la choucroute froide matin, midi et soir. Mais depuis aujourd’hui, c’est terminé.
RACHID : Ah bon ? Elle ne vous fait plus de choucroute. Comme ça.
PIERRE : Plus de danger.
RACHID : C’est bizarre, d’arrêter, comme ça, une habitude de dix ans. Moi, je ne pourrais pas.
PIERRE : Oh, j’ai été obligé de la tuer. Sinon, elle continuait.
RACHID : Condoléances.
PIERRE : Merci.
RACHID : (il ressort la bouteille de blanc de derrière son tiroir-caisse, et deux verres) Quand même, ça a dû vous faire un drôle de choc.
PIERRE : Drôle, pas vraiment. Santé (ils trinquent). Un choc normal.
RACHID : C’est arrivé brutalement, bien sûr.
PIERRE : Oui ! Oui, plutôt.
RACHID : Quand je dis brutalement, je pense aux coups de matraque, de gourdin, vous voyez ?
PIERRE : Ah, oui, non. C’est en nous mettant à table, à midi.
RACHID : Y avait-il de la choucroute ?
PIERRE : Naturellement. Ne posez pas de question idiote.
RACHID : Excusez-moi.
PIERRE : Oui. Bon. Alors donc, il y avait de la choucroute.
RACHID : Froide ?
PIERRE : Evidemment ! Si vous m’interrompez tout le temps, je ne vais plus savoir où j’en suis.
RACHID : Je vous prie de m'excuser.
PIERRE : Oui. Ah ben ça y est, je ne sais plus où j’en suis.
RACHID : A table, avec une choucroute devant vous.
PIERRE : Comment vous pouvez dire des horreurs pareilles ?
RACHID : C’est vous, qui racontez, c’est pas moi.
PIERRE : Exact. Or donc, imaginez-vous qu’il y a six mois, j’avais mandaté un Breton pour qu’il me procure, dans le Périgord, un entonnoir et un pilon pour gaver les oies. Ce Breton a remis ces objets à un Provençal, qui les a fait transiter moitié par la porte d’Italie, moitié par la porte de Pantin, pour plus de sûreté.
RACHID : Le pilon, pour l’assommer, je vois bien. Mais je m’explique mal l’utilité de l’entonnoir.
PIERRE : Qui vous parle d’assommer quelqu’un ?
RACHID : Ben pour la tuer, il a bien fallu faire quelque chose. Il n’y a pas d’arme à feu (il compte sur ses doigts), pas d’arme blanche, pas de poison… Reste l’instrument contondant. Donc, le pilon.
PIERRE : Vous manquez totalement d’imagination. Vous feriez un bien petit assassin.
RACHID : (vexé) C’est pas vous qui avez inventé le sourire kabyle, que je sache.
PIERRE : C’est salissant, et peu esthétique. Alors que la choucroute, vous allez voir. Je lui pince le nez…
RACHID : A la choucroute ?
PIERRE : Ne dites pas d’idioties. A ma femme. Je lui pince le nez, et hop l’entonnoir au fond de la gorge, et hop toute la portion de choucroute dans l’entonnoir. J’ai pilonné jusqu’à ce qu’elle s’étouffe ! Qu’elle devienne violette ! Après, j’ai ouvert une boîte de sardines, et je l’ai mangée toute entière. J’ai passé un après-midi épouvantable, je ne digère pas les sardines.
RACHID : Vous ne digérez pas grand chose, vous.
PIERRE : Non. Je suis d’un naturel délicat. Méfiant, et délicat.
RACHID : Et qu’est-ce que vous allez faire, maintenant ?
PIERRE : Je vais sûrement vomir
RACHID : Pas avec les sardines. Avec le cadavre.
PIERRE : Ah, le… ben, le foutre à la Seine.
RACHID : Oh oh.
PIERRE : Quoi, oh oh ?
RACHID : Pour un type méfiant, vous êtes bien imprudent.
PIERRE : Et en quoi, s’il vous plaît ?
RACHID : Admettons – je dis bien admettons – que votre femme soit morte. Pas de problème. Maintenant, admettons qu’elle ne le soit pas tout à fait. L’eau glacée la réveille, elle nage, rentre à la maison, et vous êtes reparti pour dix ans de choucroute. Sans compter qu’elle risque d'éprouver pour vous un vague ressentiment, légèrement teinté d'amertume. En prime.
PIERRE : Funeste perspective.
RACHID : N’est-ce pas ? Alors que si vous la collez deux ou trois jours au frigo…
PIERRE : Mon frigo est trop petit. Et si je la découpe en morceaux, la mort accidentelle par indigestion sera moins crédible.
RACHID : Mais j’ai une chambre froide très accueillante. Où avez-vous rangé le… macchabée ?
PIERRE : Dans le coffre de ma voiture.
RACHID : Parfait. Allez le chercher.
PIERRE : Merci. Vraiment, merci.
RACHID : De rien. Vous, c’était la choucroute. Moi, c’est le couscous. J’en ai marre, du couscous…
PIERRE : Ah ? C’est bon, pourtant. Dommage que ça se digère si mal.
où sont les autres??? Déjà morts? Du porc chez un épicier arabe qui boit, faut oser. C'est une bonne histoire. j'ai ri merci! Amicalement vôtre
· Il y a environ 11 ans ·vividecateri
Même réponse qu'à Lyse : les autres ne sont pas encore là !
· Il y a environ 11 ans ·Faire rire étant le but recherché, tant mieux si ça a marché.
Merci, et à bientôt ?
le-fox
On attendra leur passage... Bien amicalement vôtre
· Il y a environ 11 ans ·vividecateri
Je crie au scandale ! au bernage, à la supercherie ! Point d'inspecteur, point de prostituée, point d'Alfred ! Ya tromperie sur la marchandise ! mais je kiffe ! et je note
· Il y a environ 11 ans ·lyselotte
Eh, ho ! "Scène 1" ! Tu veux quand même pas que je balance tout mon petit monde d'un coup, non ?
· Il y a environ 11 ans ·(OK, OK, remboursez les invitations...
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