Choux à la crème
Jean Marc Moreau
Il paraît que toutes les petites filles rêvent du jour de leur mariage. Qu'elles ont toutes quelque part en tête un conte de fée bien implanté, une sorte de puce électronique à retardement qui s'enclencherait dès le premier Disney et prendrait pleinement effet à l'adolescence jusqu'au moment d'extase ultime, quand vêtues d'une robe immaculée, elles regarderaient avec émotion leur prince charmant en prononçant le mot magique : Oui.
Si c'est le cas, je dois être une exception. Le mariage, je n'y ai jamais cru. Près de 70% des mariages se terminent en divorce, vous le saviez ça ? Ca lui en met un coup au mythe du conte de fée. D'ailleurs, on ne sait jamais trop bien ce qui se passe après qu'ils aient eu beaucoup d'enfants. Ca nous donne des Desperate Housewives version moyen âgeuse si vous voulez mon avis. Mes parents ont divorcé lorsque j'avais cinq ans. Et comme le dit Louis CK, j'ai très vite compris qu'il n'y a que le divorce qui dure pour toujours.
J'étais en train de ruminer ces réflexions tandis que ma cousine Marine et son fiancé Lucas s'embrassaient amoureusement sous le regard ému des 300 personnes rassemblées dans la cathédrale quand ma cousine Rébecca, assise à côté de moi, se mit à pleurer.
- Qu'est-ce que t'as ?
- Ils sont trop beau-au-au, hoqueta-t-elle en essuyant ses larmes.
- Je me demande ce qui a couté le plus cher, sa robe ou les trois mois de cours particulier de fitness qu'elle a prit pour rentrer dedans, observai-je, pensive.
- On dirait trop une princesse, s'extasia Rébecca en m'ignorant totalement, un sourire béat aux lèvres, les yeux remplis d'étoiles.
Ma mère, plus sensible à mon cynisme que ma cousine, me tança d'un regard sévère.
- Salomé !
La cérémonie terminée, les mariés traversèrent l'église et l'assemblée se leva petit à petit pour se diriger vers le domaine du Clouzelac où nous attendait le festin.
Toute la famille De Salvaing du Rusquec était présente. Mon grand-père, droit comme un i, énorme, majestueux, suivi de ma grand-mère dont le visage lifté était à moitié caché par un énorme chapeau ; les trois oncles Marc, Oscar et Charles, qui s'affairaient autour de la grande tante Emma, prenant grand soin d'elle, la dorlotant, approuvant chacune de ses remarques, espérant secrètement la voir clamser au plus vite afin de toucher une part de l'héritage ; ma ribambelle de cousins, âgés de 0,7 à 22 ans et dont les activités variaient entre vomir dans le chemisier hors de prix de leur mère, jouer à Flappy Birds sur leur Smartphone ou s'exploser discrètement des boutons d'acné impudents ; ma mère, belle, sévère, occupée à sermonner mon petit frère qui passait sa vie sur Facebook; ma sœur aînée Sophie, doyenne des cousines après Marine et visiblement elle aussi sous l'emprise envoutante de la cérémonie, qui s'agrippait à son petit ami Beaudouin du haut de ses Louboutins à 700 euros en se rêvant sans doute elle-même à la place de candidate au divorce l'été suivant. Je fus interrompue dans mon observation par Lucie, ma cousine préférée, née la même année que moi et pimpante comme à l'ordinaire.
- Yo la geek, dit-elle en me pinçant les fesses, t'as fini de tirer la gueule?
- Tiens voilà Miss monde ; je me demandais si t'allais venir.
- On est arrivé en retard, les parents s'engueulaient, répondit-elle. Bon, quoi de neuf ?
- Mais oui ma grande, quoi de neuf ?! S'incrusta sa mère Josiane, une MILF sur le déclin, comment vont les études ?
Un conseil à tous les adultes qui liront un jour ces lignes : arrêtez avec cette question. Depuis le moment où les enfants sont en âge d'aller à l'école jusqu'à ce qu'ils deviennent étudiants, les adultes pensent enfin avoir trouvé LE moyen d'établir un contact avec eux grâce à cette question qu'ils pensent sans doute être le kiff ultime. Mais laissez moi vous expliquez deux choses : d'une part, lorsqu'on nous la pose, il est assez probable qu'on y ait déjà répondu au moins une demi douzaine de fois; et d'autre part c'est généralement la dernière chose dont on a envie de parler. Car contrairement aux adultes, nous ne sommes pas encore parvenu à nous auto-convaincre de l'utilité de travailler à des horaires industriels du type 8h-17h pour quelque chose qui nous ennuie les trois-quart du temps dans le but avéré d'avoir le privilège de poursuivre cette même activité dans un bureau. J'allais néanmoins répondre à ma tante quand Lucie eut la grâce de le faire à ma place.
- Maman, je te l'ai déjà dit ! Salomé a obtenu une bourse de UCLA pour y faire une année d'étude, avec un stage dans une start up de la Silicon Valley !
- Oh mon Dieu s'exclama Josiane, félicitations ! C'est en lien avec les ordinateurs là ? Ajouta-t-elle, hésitante, comme si elle parlait de quelque chose de vaguement toxique ou d'une maladie contagieuse. Je décidai de la faire fuir pour de bon.
- Oui tante Josiane, il s'agit plus précisément d'un programme pour approfondir ma maitrise du codage et spécifiquement de Java en vue développer des applications offline adaptables sur tous type de device.
- Aaah… murmura-t-elle, désormais totalement dégoutée, battant en retraite vers ma mère.
Paf, débarrassée.
- Haha, tu l'as fait exprès avoue, rigola Lucie. N'empêche je n'avais pas eu l'occasion de te féliciter en personne, c'est énorme.
- Ouais. Enfin tu sais, start up c'est surtout un nom sexy pour désigner une Petite Entreprise Susceptible de se Planter Au Bout de Six mois. Mais bon j'avoue, c'est quand même génial, conclu-je dans un sourire.
Ah, j'ai oublié de le préciser : je suis une geek. World of Warcraft n'a aucun secret pour moi, je possède une connaissance dithyrambique de la culture manga et des japanimes, j'ai commencé à apprendre l'elfique de Tolkien lors de ma première lecture du Seigneur des Anneaux à sept ans et je suis une inconditionnelle absolue du Joueur du Grenier.
- Toujours pas de robe hein ? Sourit Lucie tandis que nous nous dirigions vers le restaurant.
Et je ne porte jamais. JAMAIS. De robe.
- La tienne est pas mal dans le genre moule-croupe.
- Merci, c'est Gucci. Tu devrais essayer je suis sûre que tu serais canon.
Lucie, elle, est mon exact opposé. Ultra féminine, sociable, organisatrice en chef de toutes les fêtes de son Bureau Des Etudiants, elle a toujours été la personnalité la plus populaire à trois kilomètres à la ronde depuis la petite section maternelle jusqu'à son école de commerce au nom acronymé. Malgré tous mes efforts, je n'ai jamais compris quel miracle de la nature a fait que nous nous entendons aussi bien.
- Bon, c'est la dèche côté mecs, les seuls morceaux intéressants sont de notre côté de la famille et je ne suis pas suffisamment morte de faim pour me plonger dans les délices de l'inceste. C'était quand ta dernière fois?
- Il y a six mois, le champion de France de Call of Duty à la Japan Expo.
- Et ?
- Il sentait la soupe miso.
- Ok. Bon, au moins on va pouvoir se goinfrer. C'est mon cheat day aujourd'hui ! Dit-elle en tâtant son ventre parfaitement plat.
Bouches qui mastiquent, avalent, postillonnent, rires gras, doigts gras, essuyage, décortiquage, picolage, rots discrets, discussions chiantes dérivant sur blagues vaseuses : le repas est là pour rappeler aux Salvaing du Rusquec leur place parmi les mortels –toute proportion gardée, le mortel de base mangeant rarement du caviar par kilos. Les oncles ne cessent de resservir à boire à la grande tante Emma -stratégie plutôt intelligente-, les cousins continuent leurs activités selon le même modèle, simplement intercalé de vague grignotages régurgités quelques minutes après pour les plus jeunes d'entre eux ; la rigueur sophistiquée de la cérémonie a laissé place à un joyeux tintamarre culinaire. Alors que je viens de me servir un verre de vin, Lucie me donne un léger coup de pied sous la table et me fait signe de regarder derrière moi. Je me retourne brusquement, dérogeant à toutes les règles sacrées du matage discret, et renverse mon verre de vin sur un serveur qui s'apprêtait à en poser une bouteille sur la table. Je lève la tête. Le vois. Ah. Wow. Gkljghlkjh. Son smoking lui va comme un gant mais je sens qu'il serait beaucoup plus à l'aise torse nu sous une salopette pleine de cambouis. Il a une beauté brute, presque rustre, qui dénote avec les têtes de boys band bronzées des beaux gosses Du Rusquec. Il doit être un peu plus âgé que moi, 23, 24 ans. Une mâchoire carrée, des yeux verts…
- Il n'y a pas de mal.
Mince, il parle ! J'étais tellement occupée à jauger ses biceps que j'en ai oublié de m'excuser. Du coup je rougis, je balbutie, j'ai l'air complètement con.
- Ah euh… non mais je…enfin.. désolée !
Il est déjà parti sans m'écouter, haussant les épaules d'un air blasé en maugréant quelque chose comme « pourris gâtés ». Lucie est morte de rire. Voilà, je viens de griller toutes les chances que je n'avais sans doute pas avec ce bel animal.
Durant le reste du repas, je cherche l'occasion de recroiser son regard, prépare dans ma tête cinquante accroches différentes, visualise déjà parfaitement la situation : je m'excuserais, désolée, touchante, il réaliserait que je ne suis pas une snob mal éduquée, s'excuserait à son tour de s'être agacé, découvrirait avec ravissement mon humour espiègle, m'emmènerait dans une botte de foin qui trainerait par là, il serait bizarrement vêtu d'une salopette crado et… bon, il faut que je me calme. Lucie vient à la rescousse.
- Hey, geeko, si tu attends que ça te tombe du ciel tu peux attendre toute ta vie.
- Ah oui ? Et tu veux que je fasse quoi ?
- Va lui parler en cuisine.
- En cuisine ?
- Bah oui. Ca montre que tu as de l'initiative. Et puis si tu te tapes la honte, au moins personne ne sera là pour le voir, ajoute-t-elle en gloussant.
- Petite dinde.
- Et fier de l'être. Maintenant bouge toi !
Nous en sommes à la pause fromage avant le dessert, une phase pré-digestive qui s'illustre par une atmosphère léthargique touchant un à un chacun des convives. Les discussions se calment quelque peu, les enfants se plongent dans des mini siestes, quelques personnes s'efforcent de mâcher mollement des tranches de fromage en attendant le dessert. Bon. Je me lève et me dirige vers la cuisine à contrecœur. Je pressens la catastrophe. Maintenant que je m'apprête à réellement passer à l'acte, le plan élaboré durant le déjeuner me paraît soudain une joyeuse fantaisie complètement loufoque. Je finis par arriver à la porte de la cuisine. Il est en train de s'activer avec le reste du personnel pour préparer le dessert, des montagnes de choux à la crème. Impossible de le déranger à ce moment. Je m'apprête à m'en aller quand j'entends sa voix murmurer à son collègue de manière dédaigneuse :
- Ces gosses de bourges, elles se croient vraiment tout permis.
Je me retourne aussitôt.
- Hey, je suis vraiment désolée pour tout à l'heure, mais ce n'est pas une raison pour faire des généralités.
Blanc dans la cuisine. Tout le monde me regarde. Il prend la parole.
- Ben voyons, je trouve ça un peu facile de s'excuser trois heures après juste parce que tu t'estimes insultée. Vous voyez les gars, le cas typique : fille à papa pourrie gâtée qui allège sa conscience auprès des servants avant de retourner se goinfrer.
Et voilà. Comme prévu, tout part en vrille. Mais là, il commence vraiment à m'énerver.
- Figure toi que j'étais venu spécialement pour m'excuser ! Maintenant ce n'est pas de ma faute si t'es un pauvre plouc incapable de voir quand quelqu'un est sincère !
Je m'en vais aussitôt sans regarder derrière moi, tremblant encore de fureur.
Je reviens à la table et m'assied sans dire un mot face à Lucie.
- Alors ?
- Laisse tomber. C'est un gros con.
Lucie me fait les gros yeux.
- Non mais sérieux c'est…
- Effectivement, j'ai sans doute agi comme un gros con…
Ah, c'était pour ça les gros yeux. Il est derrière moi, toujours beau, toujours grand, souriant.
- … mais je suis désolé pour ce qui s'est passé, j'accepte sincèrement tes excuses et te présente les miennes. C'est juste qu'on se fait tellement mal traiter quand on fait ce genre de services…
- Pas de problème, c'est normal. Je suppose. Enfin je sais pas. Euh… Je m'appelle Salomé au fait, finis-je par dire brusquement en lui tendant la main.
- Florent, répond-il en me regardant droit dans les yeux et réduisant ainsi mon cœur à un état comparable au St Félicien fondant mollement sur la table.
- Je vous apporte le dessert, poursuit-il en me faisant un clin d'œil et s'échappant aussitôt.
Je me retourne vers Lucie qui me regarde comme si je venais de gagner au loto, mon cœur reprenant doucement vie, et finis par m'écrouler dans mon siège.
- AAAAAH. Je crois que je peux mourir maintenant.
Lucie se racle la gorge.
- Euh… si tu peux attendre un peu avant de mourir, je t'assure que le dessert en vaut la peine, dit Florent qui se tient derrière moi, un sourire amusé aux lèvres. Je voulais juste vous demander si vous préfériez du coulis de framboise ou d'abricot ?
- Euh.. Framb… abricot, balbutie-je. Mais là faut vraiment que t'arrêtes de faire ça.
- Framboise pour moi répond Lucie hilare, manquant de s'étouffer.
Il s'en va, pour de bon cette fois. J'ai l'impression d'être Pierre Richard dans La Chèvre. Un vrai boulet.
- Nan mais paye ta honte quoi.
- Mais non arrête, je suis sûre qu'il a trouvé ça super mignon. Essaye de l'inviter au bal ! Les serveurs sont libres après le repas.
Outre le fait que mon style de danse s'apparente sans doute plus à celui de Baloo que de Rihanna, il semble que mon beau chevalier rustre ait disparu des radars. J'aperçois un de ses collègue et m'approche de lui.
- Excuse moi, tu ne sais pas où est Florent par hasard ?
- Florent ? Je suis pas sûr…. Je crois qu'il avait un match de Rugby…
Et voilà. Encore un de foutu, comme dirait le duc d'Auge. Je regarde autour de moi. Lucie enflamme la piste de danse, mon grand père taquine ma grand mère, mes trois oncles se sont endormis sous l'effet de l'alcool tandis que la grand tante Emma s'est mise à danser comme une folle. Je mange un choux en maudissant ma poisse et m'en vais crier ma rage aux toilettes. A mon retour, mon sang se glace. Florent danse avec Lucie. Florent danse avec Lucie. Florent danse avec Lucie. J'aurais du le voir venir. C'était évident, comment ai-je même pu croire qu'il était intéressé par moi alors qu'elle était dans les parages. Quelle idiote je fais.
Mais alors que la danse s'arrête, il quitte Lucie pour venir vers moi.
- Tu danses ?
- Euh, je… t'avais pas un match de euh…mais… bah… ouais.
Je me sens soudain en confiance dans ses bras, à l'abri, protégée. J'en profite pour discrètement tâter ses épaules et ses triceps, c'est plutôt agréable. Heureusement car il danse comme un pied.
- Et sinon, tu habites dans le coin ?
- Non, je vis à Paris. Mais cela dit je suis bien un plouc, à la base je viens d'un bled du nom de Plounéour Lanvern, en Bretagne.
- Wah, un vrai plouc breton ! Et moi qui croyais que ça n'existait que dans les contes et légendes pour enfant.
- Et bah non.
- Et tu ne travailles que dans les mariages ?
- Non, je fais ça pour payer mes études. Je suis à l'école Alain Ducasse pour devenir Chef pâtissier. J'aime la crème. Et toi ?
- Moi je suis dans une relation passionnelle avec des lignes de codes et des jeux vidéos.
- A tes souhaits
- Haha t'inquiète, personne n'y comprend rien.
Je ne sais pas pendant combien de temps je reste pendue à son cou, parlant de tout et de rien. Quand nous finissons par nous interrompre, il fait nuit. Je jette un regard autour de moi. Mes grands parents sommeillent sur leurs chaises, ainsi que les trois oncles, achevés par l'alcool, tandis que la grande tante Emma continue à danser comme une démenée sur la piste en compagnie de Lucie. Les enfants s'endorment ou se mettent à pleurer, ma mère a finit par se faire corrompre par mon frère et perd ses nerfs à Flappy Birds.
- Je vais devoir y aller, me dit Florent.
- Déjà ?
- Il est presque trois heures du matin dit-il en souriant. Tu m'accompagnes ?
Nous traversons le domaine en direction du parking. La nuit est calme et les lumières de la fête déjà loin derrière nous. Alors que nous passons près d'un arbre, il s'arrête. Bonjour le cliché. Je sens mon cœur battre et pour alléger l'atmosphère, je décide de tout gâcher comme d'habitude.
- Ooouh, le baiser sous l'arbre hein ?
Il me regarde, surprit.
- Non, j'avais envie de pisser au fait. Ca te dérange de t'éloigner ?
- Ah… ok…
Mince, c'est vraiment un plouc au fait. Mais alors que je commence à faire quelque pas, il me prend avec force et me fait pivoter pour m'amener face à lui.
- Idiote.
Lorsqu'il pose ses lèvres sur les miennes avec délicatesse, je sens les derniers remparts de ma défense céder comme une digue sous la pression tumultueuse de l'eau sauvage. Et voilà que je me mets à penser en mode poésie romantique à l'eau de rose wow… mais après tout je m'en fiche, c'est beau, c'est vrai, j'ai envie d'y croire. Je m'abandonne complètement à ses lèvres, lui caresse le visage et finis par le prendre dans mes bras. Nous restons blottis l'un contre l'autre durant de longues secondes, puis je reviens doucement à mes esprits, il ne s'agit pas non plus de passer pour une folle possessive qui tombe amoureuse au bout d'une soirée.
- Bon le plouc, c'était chouette, mais il est temps que tu t'en aille avant de réaliser à quel point tout ça est bien trop cheezy.
Il me regarde comme si j'étais un objet bizarre et rigolo, puis finit par sourire.
- Ca marche. Ciao.
Il monte dans sa 306 pourrie et s'en va. En revenant vers la piste de danse, descendant doucement de mon nuage, je réalise que je n'ai ni son numéro de téléphone ni son nom de famille.
Je passe les jours suivant à tenter de retrouver sa trace. J'appelle le traiteur qui n'a pas son contact car apparemment, il remplaçait quelqu'un à la dernière minute. Je ratisse Facebook en long et en large sans plus de succès. Je passe des heures au téléphone avec Lucie pour partager ma détresse et elle se demande si c'est bien sa cousine blaséo-sceptique qu'elle a au bout du fil. Cette situation me rend malade.
Mais au bout d'une semaine, ayant épuisé toutes mes forces sans aucun résultat, je reviens à mes sens et me fais une raison. De toute façon, ça n'aurait aboutit à rien une telle relation. Un chef pâtissier et une codeuse. N'importe quoi. Et puis dans trois mois, je suis à LA. Ces pensées me tranquillisent et me permettent d'occuper de manière constructive un inutile cours de gestion, discipline obscure dont je n'ai jamais réussi à comprendre en quoi elle pourrait me servir en tant que développeur- encore un des mystères du système éducatif. Alors que je m'apprête à m'endormir, la porte s'ouvre avec fracas, interrompant le monologue soporifique de monsieur Meignant. Mon cœur s'arrête. Florent est là, un paquet à la main. Meignant s'interrompt, lui même soulagé de voir une interruption à son calvaire.
- Vous désirez quelque chose ?
- Bonjour, j'ai un colis pour Mademoiselle Salomé !
Tous les regards se tournent vers moi. Mon visage doit être l'équivalent d'une tomate très mûre.
Il grimpe les escaliers deux à deux, dépose le colis devant moi.
- Et voilà, dit-il dans un sourire avant de redescendre comme si de rien n'était. Avant que je n'aie pu comprendre quoi que ce soit, il est reparti .
J'ouvre le paquet : des choux à la crème. Il veut que je devienne grosse ou quoi. Et une carte de visite, au dos de laquelle se trouve son numéro de téléphone. J'ai l'impression que mon cœur va sortir de ma poitrine à la manière de celui du loup de Tex Avery. Ca fait mal, mais c'est tellement bon.
* * *
EPILOGUE
J'ai passé trois mois de rêve avec Florent avant de m'envoler pour les Etats Unis. Nous ne nous sommes jamais recontacté par la suite. Pendant un an, j'ai pensé à lui tous les jours. Dans la foulée de mon stage, j'ai été embauchée par Microsoft où j'ai un travail de rêve depuis maintenant deux ans. Il m'est souvent arrivé de penser à Florent, sans jamais franchir le pas de le contacter.
Et puis la semaine dernière, j'ai reçu une boite de choux à la crème avec une carte au dos de laquelle était écrit à la main: « Plouc breton s'installe à San Francisco pour ouvrir pâtisserie frenchy. Petite bourgeoise geek cordialement invitée. »
Je ne crois toujours pas au mariage. Mais je ne pense plus qu'il n'y ait que le divorce qui dure pour l'éternité.