Chronique d'un tournage à petit budget

Elsa Saint Hilaire

Les tribulations d'un tournage à petit budget.

Imaginez que votre nièce, unique et préférée, vous appelle pour que vous lui rendiez un petit service : « Tatie, est-ce que toi et tonton vous seriez libres jeudi en huit pour de la figu sur un tournage ? J'ai besoin de plusieurs figurants et j'ai pensé à vous ... »


Vous compulsez rapidement votre agenda et constatez que votre après-midi est déjà noirci de rendez-vous. « C'est le matin ou l'après-midi, chérie et où ?».


« Le matin, tatie, 8h30, sur Montreuil » Le sourire qui avait fleuri rapidement sur vos lèvres à l'annonce du timing, se voile à la perspective du parcours du combattant motorisé en banlieue parisienne un jour de semaine. Mais, étant donné l'acquiescement bienveillant de l'époux, le ton suppliant de la nièce préférée, sa situation financière et professionnelle précaire, la réponse affirmative fuse de votre bouche avec juste ce qu'il faut d'enthousiasme pour donner le change.

 

Voilà, c'est dit et... c'est à partir de là que les choses deviennent plus compliquées !

 

« Tatie, j'aurais besoin aussi de votre voiture » (nous roulons depuis quatorze ans dans un cabriolet qui fleure ses 200 000 bornes mais qui reste présentable).

« Il me faudrait des photos récentes de tonton rapidement pour le producteur et la réalisatrice » (je réalise subitement que les photos récentes de mon cher et tendre, le montrent en maillot de bain avec des palmes d'apnée bleues en guise d'oreilles de lapin... va falloir que je remonte un peu plus loin dans mes archives photos).


« Tonton a bien un costume clair de demi-saison, beige par exemple ? » (Moue dubitative au téléphone... bleu marine peut-être, mais beige ? Et des costards, mon artiste de mari leur préfère depuis des lustres des blousons...)


« Bleu marine, ça irait ? »


« Non, ça passe mal à l'image, gris clair et sans rayures, c'est possible ? » (Pas de gris clair... JP (l'artiste) après vérification n'a qu'un costume récent bleu marine)


« Bon, on trouvera, ne t'inquiète pas, chérie... et moi ? »


« Comme tu veux, tatie, mais des tons un peu éteints » (Ok, va pour les tons éteints... Je sens à quel point ma prestation sera inoubliable...)


« Tu sais, tatie, c'est payé ! » (En réalité, je ne m'étais pas même posé la question, mais puisqu'elle semble insister, je demande combien ?)


« 100 euros, la demi-journée » (Qu'est-ce qui me prend de rigoler subitement ? Il y a des tas de gens qui aimeraient gagner 100 euros en quatre heures de boulot... suis naze...Et pour corser le tout, j'en rajoute et lui demande si la voiture également sera payée ?)

 

Affaire conclue... Le compte à rebours commence...

 

Le jour « j » du tournage est arrivé.

Insupportable sonnerie du réveille-matin à 6h45. Douche, shampoing, brushing avec en toile de fond, les bâillements de mon époux. Il a emprunté une veste à mon frère qui fait deux tailles (en largeur) de plus que lui et (au cas où) un blouson sport beige qu'il aime particulièrement. Plus têtu...

Le café rapidement avalé, nous voilà à bord de la voiture qu'il n'a même pas pris la peine de passer sous les rouleaux et qui arbore de magnifiques traînées de boue sur le flanc droit. La circulation est telle que prévue... figée dans les embouteillages. Un plan Mappy remplace à merveille le GPS que nous n'avons pas. Miracle ! A 8h35 nous trouvons une place de parking à une dizaine de mètres du point de rendez-vous. On repère vite l'équipe qui au fond d'une courette s'agite autour de thermos de café et d'un imbroglio de caméras, appareils de sons, trépieds, rallonges en tous genres. Après avoir signé en double exemplaire les documents blindés en matière de droit à l'image, renonciation à tout droit sur les éventuelles cessions, nous nous acheminons enfin sur le lieu du tournage.

On me demande de garer le cabriolet sur une voie réservée aux vélos, juste à un croisement particulièrement dangereux. (Oui, j'ai oublié de préciser qu'il s'agit du tournage d'une vidéo pour la prévention routière). Le producteur (35-40, blouson aviateur et 52 de pointure, croyez-moi, j'ai l'œil)  me donne un papier à glisser sur le tableau de bord. Il s'agit d'une autorisation signée par la préfecture et  pour m'ôter tout doute dans l'esprit, il me précise, grand seigneur, que si je récolte un PV, la production me remboursera... En réalité ce n'est pas le PV qui m'inquiète, mais plutôt l'endroit où je dois laisser la voiture, car je constate que la rue est étroite, non barrée et que des camionnettes l'empruntent fréquemment. Je commence à craindre un accrochage (bravo la prévention routière !) et reçois les premières insultes des automobilistes qui n'ont pas repéré l'équipe de tournage. Je rabats le rétro droit pour limiter la casse.

 

Enfin, on passe aux choses sérieuses et là, je me permets de partager avec vous les règles, apprises sur le tas, du presque parfait figurant :

 

1/ Etre patient et se munir d'une chaise pliante : les plans préparés avec soin par la réalisatrice demandent un des  filages préalables. Le temps que l'on règle la caméra, s'inquiète de la luminosité, décide de l'endroit exact du début d'action, de sa fin, que l'on donne les consignes aux assistants munis de gilets réfléchissants pour bloquer la circulation de manière temporaire, vous regrettez d'avoir quitté si tôt votre lit douillet. Une heure et une dizaine de filages plus tard (où la réa tient le rôle principal) on appelle « l'actrice » pour recommencer le tout à zéro. Vous commencez à avoir des fourmis dans les pieds et cherchez compulsivement un endroit où vous asseoir sans ruiner vos vêtements, les deux fauteuils pliants de la production étant déjà occupés.

 

2/ Ne pas rire suite à un incident : un filage, c'est fait justement pour éviter ce genre de problème. Alors quand l'actrice se tord le pied sur des pavés disjoints et que dans les cinq secondes suivantes, un machiniste, l'appareil réfléchissant la lumière à bout de bras, dérape sur la chaussée et s’écroule dans un vacarme assourdissant, gardez une attitude digne et compatissante, sous peine de perdre le peu de crédit que votre statut de figurant vous confère.

 

3/ Savoir à qui vous adressez la parole : un tournage, cela attire des curieux, des amis mais aussi une flopée de personnes dont la tenue vestimentaire peut suggérer qu'elles appartiennent au milieu du cinéma, certes... mais pas toujours...

Règle n°1 : sur un tournage à petit budget, on fait bosser la famille et les amis... Donc évitez de porter des jugements de valeur et gardez à l'esprit que la vedette est sans doute (?) la petite amie du producteur ou sa sœur.

Règle n°2 : repérer autant que faire se peut, la présence du client. En l'occurrence, là, ils étaient venus à trois et une observation attentive des chaussures vous permet de les distinguer des autres « Converse » élimées de l'équipe.

Règle n°3 : dépister celui ou celle qui prend les décisions. Beaucoup moins simple qu'il n'y paraît et que le bon sens suggère. Un bon contact avec le décisionnaire peut avoir des répercutions non négligeables sur la longueur et la qualité de votre présence à l'image.

 

4/ Ne jamais s'étonner : quand on interrompt une prise de vue  parce que la caméra vient de rendre l'âme et qu'un assistant enfourche sa moto pour aller en chercher une autre à perpette, garder une mine concentrée et évitez de bailler. Quand on amène un enfant de cinq ans jouer une scène qui va durer des plombes, ne pas lever les yeux au ciel en se demandant qui va craquer le premier de la réalisatrice ou de l'acteur en herbe.

 

5/ Ne pas poser de question idiote : lorsque le temps est capricieux, qu'un soleil de plomb alterne avec des nuages, quand on a pris tant de soin à mesurer la lumière et lorsque vous signalez entre deux prises de vue un problème de raccord (rétro du cabriolet tour à tour relevé et rabattu par mes soins amoureux) évitez de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. On vous répondra qu'étant donné le montage final cela n'a aucune importance et que l'on n'y verra que du feu.

 

6/ Baisser d'un cran son ego : lorsque la maquilleuse, promue subitement second rôle, vient vous narguer en insistant sur le faite « qu'elle au moins ne fait pas de la figuration », lui sourire gentiment et réclamer son aide pour éliminer les traces brillantes sur votre front et votre nez. Il vous sera toujours temps de ricaner bêtement en constatant qu'elle apparaît de dos sur la version définitive.

 

7/ Ne pas croire ce que l'on vous a promis et garder son portable à portée de main: en tant que figurant, vous n'avez pas accès au découpage des scènes. Donc, si on vous a promis de tourner en matinée, ne soyez pas étonné vers midi de ne pas avoir encore parcouru une trentaine de fois les vingt mètres d'asphalte que l'on vous a attribués pour votre apparition inoubliable dans le scénario. Il est encore temps de téléphoner aux deux clients que vous deviez rencontrer dans l'après-midi pour les décommander en inventant une excuse. Evitez à ce moment là de raisonner en calculette et de vous appesantir sur le manque à gagner. Vous n'avez qu'une parole pour votre adorable nièce, n'est-ce pas ?

 

8/ Prendre soin du confort de ses pieds : c'est clair, la station debout cinq heures d'affilée, à piétiner sur place met à l'épreuve vos petons. Il faut prévoir une paire de charentaises ou de Scholl Fitness massage, de préférence aux escarpins.

 

J'ai sans doute omis une bonne dizaine de conseils supplémentaires, mais n'oubliez surtout pas une chose, la seule qui soit, in fine, importante :

Faire de la figuration pour votre nièce assistante-réalisatrice, ne peut et ne doit être qu’un moment d'intense bonheur !

  • Je vous ai répondu par mail Vladimir... :-)

    · Il y a environ 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • Chère Elza, primo merci pour votre commentaire, secundo en lisant votre petit merveille un sourire béat m'a pas quitté de début à la fin. Ca me rappelle quelques souvenirs. On les trouve même ici sur notre cite chéri. Etant un profiteur sans gène, puis-je vous demander (puisque l'administration ne me réponds pas) comment vous faites pour corriger ou enlever le texte déjà publié. Encore une fois bravo.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Img 4859 195

    Vladimir Tchernine

  • @ Gilda: si ça marche et c'est en accord avec le texte. Un grand merci à toi! Jubilatoire en effet. A toi l'italienne, as-tu lu de dictionnaire amoureux de l' Italie écrit par Dominique Fernandez? Un vrai bijou! A lire aussi Porfirio et Constance, l'école du Sud... enfin, tout Fernandez en réalité ;-)

    @ Le Fox: Pas eu encore ce genre d'expérience... j'attends que ma nièce fasse ses preuves dans le métier et là... dur, dur... si tu connais bien le milieu, cela ne te surprendra pas.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • Parfait "guide à l'usage du frimant débutant"...
    Sur le film à moyen/gros budget, il y a en plus les heures passées à essayer les costumes (pompes inévitablement trop petites, il faudra passer la journée dedans sans boiter au moment idoine), les heures de maquillage, la bouffe avec une collerette genre fraise autour du cou (pour ne pas flinguer le maquillage en question)...
    Drôle et bien vu !

    · Il y a environ 13 ans ·
    Photo du 57301621 05    15.55 orig

    le-fox

  • Merci Gilda! ♥♥♥

    · Il y a environ 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • D'après toi? mais oui, c'est du vécu... Hervé :-)

    · Il y a environ 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • et si vous ne me croyez pas ;) voilà le résultat:
    http://www.dailymotion.com/video/x6rj5t_priorite-vos-enfants-votre-enfant-n_lifestyle

    le embed de la vidéo ne fonctionne pas sous WLW

    · Il y a environ 13 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

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