Chuuuuuut subite

Ce matin là, je me réveillais vaseuse, désorientée, comme après une soirée trop arrosée, la gueule de bois.
Il me fallait emmener les enfants à l'école. Pas le temps pour le moment de m'écouter.
Je me préparais à la hâte - je ne suis pas du matin - puis je m'occupais de mes filles. Je les trouvais bien calmes pour une fois et comme je ne me sentais pas en grande forme ça m'arrangeait bien.
Je les déposais à l'école, échangeais quelques mots avec d'autres mamans que je connaissais bien et qui me trouvaient bonne mine. 
Elles sont sérieuses là ? Ah la la, la complaisance... Je n'avais pas bonne mine non. J'avais une sale gueule ouais. Cela faisait plus d'une semaine que je traînais un satané rhume. Un vrai pot de colle. Il me collait les yeux et les sinus.

Je me décidais à consulter mon médecin. Ces drôles de vertiges me semblaient assez bizarres pour un simple rhume.
Il m'accorda une consultation dans la matinée.

Je m'attendais à un peu de repos, beaucoup de mouchoirs, un peu de vitamines ... mais pas à ce qu'il me suggère de consulter un spécialiste.

Il appela un confrère ORL.
-"Vous entendez bien Madame ?"
-"Avec ce rhume qui m'englue les oreilles, pas vraiment, en ce moment à vrai dire"
-"Vos oreilles ne sont pas du tout engluées. Nous allons vous faire passer quelques examens."
-"C'est vous l'doc, doc !"
J'ai toujours aimé faire un peu d'humour en reprenant des répliques cultes quand je me sens stressée.

Je passais ces fichus examens. Avec grande frustration. Mon côté gauche refusait de m'obéir ce jour là. L'audiogramme fut vite interprété. L'IRM aussi. 
Et l'ORL m'annonçait ce qu'il en était.
-"Il arrive, pour des causes très souvent inconnues, du moins c'est votre cas, qu'on se réveille comme ça du jour au lendemain avec une surdité subite. Votre IRM confirme qu'aucune cause médicale n'est responsable. Vous êtes en pleine forme. Votre oreille gauche a simplement demandé le silence."
-"Vous pouvez répéter ?" J'essayais de jouer sur l'humour une fois de plus pour cacher mon incompréhension. "Je plaisante. Ce n'est pas très grave donc, j'ai toujours la droite qui entend. Et puis ça va revenir. Ça va revenir ? Demander le silence ... Quel toupet ! Elle n'est pas maîtresse d'école que je sache ... Ça va revenir ? "
-"Ce n'est pas très grave... mais ça ne reviendra pas non. Chez certains patients, un traitement corticoïde d'une quinzaine de jours suffit pour guérir cette pathologie. Sauf quand la cochlée est atteinte. Ce qui est votre cas."
-"Et ça vous dirait pas de me parler français ? Je ne comprends rien du tout..."
Il me montrait alors un schéma d'une oreille, de ses différentes parties internes, de son fonctionnement. Et je compris.

Mon oreille gauche avait demandé le silence. Pour toujours.
Le doc me rassura en me disant qu'avec des prothèses auditives, je pourrais entendre quasiment normalement et que je ne souffrirais plus de vertiges. Mais qu'il allait aussi me falloir prendre des cours de lecture labiale, apprendre à signer.
Pourquoi donc ? Je ne suis pas sourde. Du moins seulement d'une oreille. J'entends très bien de l'autre. 
Mais il n'en était rien. Mon autre oreille n'entendait pas bien justement, et cela n'irait pas en s'arrangeant. Pas de surdité subite pour elle, juste une lente dégradation qui me mènerait progressivement vers le silence total.

J'étais bouleversée. Je refusais le diagnostic. Au point de me pas me faire appareiller. Je me sentais bien trop jeune pour porter ces trucs aux oreilles. Puis j'entendais, j'étais formelle.

J'ai laissé traîner quelques années sans rien faire. Ça ne changeait pas grand chose à mon quotidien hormis les déséquilibres dont je m'accommodais  sans trop de mal.

Puis j'ai fini par en avoir marre. Marre de faire répéter, marre de ne pas faire répéter et faire semblant de rire à une blague que je n'avais même pas entendue. Marre que mal entendre me créer des problèmes bien plus graves - mais ça, je vous en parlerai une autre fois. Je me rendais à l'évidence que j'entendais de moins en moins bien et que mon refus obstiné me conduisait juste plus rapidement vers ce que je redoutais. Le silence.

Je me fis donc appareiller. Tout semble merveilleux au début. J'étais émerveillée d'entendre plein de petits sons, de petits bruits que je ne me souvenais même pas avoir entendu un jour. Et je demandais à mon entourage s'ils avaient l'habitude de les entendre ces bruits.  C'était le cas. 
"Qu'est ce qu'ils gueulent fort les goélands aujourd'hui !!!!"
Fou rire général. Pas plus qu'avant.

L'émerveillement a été de courte durée cependant. Au fil des jours, je souffrais de migraines atroces. Le prix à payer pour ces années de déni. Il me fallait m'accoutumer à entendre de nouveau. Surtout à réussir à dissocier les bruits parasites des conversations. Exercice difficile et fatigant.
Mais fermez la les goélands !!!! 

Aujourd'hui, j'ai quasiment accepté d'être mal entendante. Quasiment car je préfère nommer mes prothèses comme étant des écouteurs, ce qui amuse beaucoup mon entourage. 

Mais quel bonheur de pouvoir enfin dire CHUUUUT !! à nouveau.

Aurélie Roumy