Un départ. Une rencontre.
Nicolas Paillusseau
Aéroport d'Orly. Paris. Un matin de février.
Sur le tarmac gelé d'un nouveau départ, un Boeing aux ailes glacées effectue son dernier virage.
Dehors ça siffle. Ca bipe. Ca ronronne et ça palpite jusque dans les replis du givre matinal tandis que le double réacteur se présente enfin devant le défi toujours haletant d'une piste de décollage.
Silence dans les travées blafardes.
A bord des hommes et des femmes naviguent encore péniblement dans les eaux troubles du sommeil.
Il faut dire qu'il est tôt. 7.35 du matin.
Y'a des biscottes au beurre qui se digèrent. Des cafés qui gloussent encore dans les tuyauteries fébriles du bas ventre…
Mais vu d'ici New-York n'est plus très loin.
A deux ou trois films seulement.
Quelques heures à se cogner les genoux et se tordre les fesses que l'on passera sans doute à se péter les reins en V.O.
Pour certains c'est une routine.
Pour d'autres… le grand saut.
Gabi assise à la place 68E au-dessus d'une aile considère elle – même si c'est la troisième fois, même si elle connait déjà par coeur les artères électriques de Manhattan, même si pour elle ce voyage sonne comme un retour aux sources - que c'est comme une naissance.
A chaque fois ça lui fait le même effet.
A chaque fois ça lui met plus de dents dans le sourire.
Comme si cette ville avait des pouvoirs sur elle.
Une emprise...
Parfois en regardant les étoiles elle se prend même pour Alicia Keys.
"PNC. Regagnez vos places. Et préparez-vous au décollage. "
Dans les haut-parleurs, la voix du commandant de bord est toujours la même. Autoritaire et distante comme celle d'un prof de maths, qui en début d'année présente sentencieusement le programme de Terminale…
« Attachez vos ceintures et cravachez dur bande de petits cons sinon c'est le crash assuré »...
Aucune envie d'entendre ça.
Gabi se plante les écouteurs dans les tympans. Se pluggue sur sa play list.
Et passe en mode avion.
Ensuite
Clic clac.
Même si elle n'entend plus rien, les dernières boucles de ceintures se la donnent autour d'elle dans des ultimes sourires de "Seigneur Dieu tout puissant, priez pour nous pauvres pêcheurs maintenant et à l'heure de notre mort…"
- Vous avez peur mademoiselle ?
Gabi ne répond pas.
- Mademoiselle… je peux m'asseoir à vos côtés ?
Elle n'entend rien.
...
Alicia Keys contre le reste du monde…
- Pardon mais je peux m'asseoir ici ?
Cette fois-ci elle lève les yeux. On vient de lui tapoter sur l'épaule. Une silhouette animale belle comme une statue grecque qui lui bloque la mâchoire.
- Je vous demande pardon?
- Je voulais juste savoir si vous m'autorisiez à m'asseoir à vos côtés ?
- Euh… oui… pourquoi, c'est votre place ?
Le type en face lui sourit.
- Bien sûr que c'est ma place. Dit-il d'un air énigmatique. Puisque celle-ci est la vôtre...