Comment j'ai ruiné la cérémonie des Oscars 2014

cyril365

C'était une après-midi comme beaucoup d'autres à Los Angeles. Je vivais dans la cité des anges depuis très peu de temps à vrai dire et je travaillais en tant que correspondant français pour un site internet d'information culturelle. Cela tombait bien car c'est la culture qui m'a fait venir ici. Des polars bien ficelés de Michael Connelly et James Ellroy en passant par Mulholland Drive de Lynch, j'admirais cette ville de l'extérieur mais c'était plus que frustrant, un peu comme regarder un cheeseburger en se tenant à la vitrine d'un fast-food.

Nous étions le 2 mars 2014 et Ciné Report – très marrant comme les Français pourtant inventeurs du cinéma se sentent obligés d'utiliser du franglais pour paraître à la mode – m'avait demandé de couvrir la cérémonie des Oscars. J'étais tout excité mais sans-le-sou.

Plus glamour, tu meurs. Voilà ce que je voulais : claquer des high five à Di Caprio, inspecter le décolleté de Robin Wright et prendre une bonne tranche de rigolade avec Martin Scorsese. A moi les petits fours en tête à tête avec Jennifer Lawrence et les duos avec Taylor Swift! C'est curieux, pourtant les deux mois passés en Californie auraient dû me vacciner du rêve américain mais il n'en était rien.

Je me rends donc au Dolby Theatre. Je demande au taxi de m'y conduire mais ce dernier refuse au motif que le quartier est barricadé et qu'il ne parviendra pas à rentrer chez lui. Va pour les transports en commun. Devant le Dolby, la tension est à son comble, je m'approche de Léa Seydoux et lui demande ce qu'il se passe :

-Christian Bale s'en est pris à une vitre, il a cru qu'il s'agissait d'un des membres du jury.

-D'accord mais toi Léa, peux-tu me faire rentrer ? Je m'appelle Martin Farein et je bosse pour Ciné Report, le site culturel qui fait dans le lolcats et n'a pas peur de s'attaquer à des sommités de la télévision française.

-Ah oui, je connais vous n'avez pas été tendre avec Anne Hathaway d'ailleurs, tu n'as qu'à venir avec moi, je vais te faire rentrer.

Hop, le tour est joué! L'actrice aux cheveux bleus me regarde furtivement, visiblement troublée d'avoir affaire au vrai Martin Farein.

A l'intérieur, je profite d'un seul moment d'inattention pour m'éclipser et laisser Léa en plan. Je n'ai pas traversé l'océan pour passer la soirée en compagnie de l'icône de Télérama, des Inrocks, de Canal plus, RTL, France Dimanche, VSD, GQ, Super Picsou Géant…

Il me faut de la vraie vedette américaine biberonnée au Coca, conçue dans un Walmart du Midwest. Au détour d'un couloir sombre, je croise Aaron Paul, je m'approche et lance d'un air jovial :

-Hey man, wassup bitch ?

-Encore un qui s'imagine que je prononce "bitch" à chaque fin de phrase, vous êtes bien tous les mêmes. De toutes façons, je m'en vais, marre de tous ces acteurs incultes, je vais aller regarder un documentaire à la télé.

Me voilà bien avancé, je continue, galope de couloir en couloir, mais je m'interromps quand Cate Blanchett se déplace vers moi. Vite, je demande à Google de me suggérer quelques sujets de conversation. « Cate Blanchett hot », c'est un peu moyen comme approche, quoi d'autre ? « Cate Blanchett feet », non plus. « Cate Blanchett Blue Jasmine », voilà qui est mieux.

-Bonjour Cate, j'ai beaucoup aimé votre rôle dans le dernier  Woody Allen.

-Tu es sûrement critique de cinéma ?

-Non je suis journaliste sur…

-C'est pareil, il n'y a que les scribouillards dans ton genre pour apprécier ce genre de film. Une femme qui fait une crise de la quarantaine et se cherche une nouvelle vie… à New-York. Mais c'est le cinquantième film avec le même scénario, Woody se moque de vous et vous l'acclamez, vous êtes vraiment désespérants…

-Non mais, je n'ai pas du tout aimé ce film en fait, je disais ça pour te faire plaisir, c'est du sous-Klapich, Woody Allen touche le fond.

-Tu penses vraiment ce que tu dis ?

-Bien sûr ! – Viens avec moi Catie Cat!

Nous rentrons sur le lieu de la cérémonie. Cate porte une très belle robe et je remarque que mon pull Armor Lux détonne un peu dans la pièce. Nous nous approchons d'un petit groupe d'acteurs gominés. Cate leur coupe la parole sans ménagement :

-Léo, Matthew, je vous présente Martin, il écrit pour un site français en ligne et il trouve que Blue Jasmine est vraiment très loupé.

-Vraiment, et tu es journaliste ? Franchement, je ne croyais pas ça possible, des gratte-papiers qui n'aiment pas Woody, c'est un peu comme si Georges Clooney appelait à voter Républicain. Montres-moi ta carte mec! C'est fantastique!

Les choses vont vraiment très vite pour de vrai sur la West coast. Dire qu'il y a deux jours, je me tortillais sur le canapé de ma petite colocation en regardant Arrête-moi si tu peux et maintenant Di Caprio me demande des comptes. Ni une, ni deux, je lui montre la page d'accueil de Ciné Report.

Pendant que je fais des private jokes avec mes nouveaux amis, Woody Allen choisit ce moment pour entrer en scène accompagné de fidèles critiques du New-York Times, LA Times, Positif, Télérama, Les Inrocks…ils forment une armée invincible :

-Il paraît qu'il y a ici un petit mec qui n'aime pas mon film ? Il peut se dénoncer et tout se passera bien.

Je baisse les yeux, mais ne suis pas le seul. Tout le monde en fait autant. Seul Jared Leto soutient le regard du réalisateur de Match Point.

-Woody, personne n'ose te le dire en face dans le milieu du cinéma alors, je me lance parce que je ne suis pas vraiment acteur. Tes films ne valent plus un clou depuis un bon bout de temps mec. Certes, on regarde afin d'apercevoir un bout de sein de Penélope Cruz ou la Sagrada Familia, mais on le fait comme on regarde les tableaux que Picasso a peint avec ses pieds : par simple curiosité.

Woody Allen est blême :

-Et mes bouquins, et mes blagues sur la mort, et mon humour absurde, c'est du poulet en batterie peut être?

-Je parle de tes derniers films, tes long-métrage carte-postale moins subtils qu'un touriste Japonais qui se prend en photo devant La Joconde.

Jennifer Lawrence déboule alors avec son arc et lance les hostilités. Une bataille féroce est engagée, les sièges volent dans tous les sens et Bradley Cooper ne sait plus où se mettre. Martin Scorsese débarque avec ses boys de New-York, bien décidés à clouer le bec de son concurrent. Je sens que tout cela m'échappe, il est temps de filer en douce (par la porte de secours, so Hollywood). Mais je n'ai pas fait trois mètres qu'une main ferme me serre le cou. Je me retourne terrifié : Anne Hathaway se tient en face de moi. Je n'ai pas le temps de réagir, la voici qui m'étrangle de plus en plus fort. Cate Blanchett vient à ma rescousse en décochant un coup de poing sur le nez félin de la britannique. Ça m'exciterait presque mais reprenant connaissance, je m'enfuis à toute allure.

Bien sûr les JT français, n'ont pas parlé de ces événements d'une extrême gravité. Au regard du palmarès final, il est difficile de dire qui l'a emporté, les belligérants semblant s'être entendus pour s'octroyer les meilleurs prix.

 

Signaler ce texte