Comment j'appris par le service de presse de l'Élysée que j'étais du menu fretin

Stéphane Monnet

Il est en notre fier pays de France une officine de la Présidence de la République qui s'appelle « service de presse de l'Élysée ». Les journalistes comme moi qui fleurent bon la province ont peu souvent affaire à elle. C'était un mardi ordinaire, je rangeais mes petites affaires quand le courriel arriva : « Note aux rédactions - Le Président de la République se rendra à Limoges, à l'occasion de la signature du contrat de plan État-Région Limousin, le jeudi 28 mai 2015 à 9h45». En pièce jointe, le formulaire pour se faire accréditer. 

Le jeudi venu, j'arrivai à l'heure dite sur le site, je déchargeai mon matériel, me présentai à l'accueil presse et récupérai mon badge. Il était 9h15. Je pensais avoir un peu de temps devant moi avant l'arrivée du Président quand on m'expliqua qu'une salle de presse avait été préparée, qu'on allait m'y conduire et que je pourrai y suivre tranquillement les discours. On m'aurait dit : "Monsieur, vous n'avez pas assez de cheveux pour être journaliste", je n'aurais pas été plus ébaubi. "Mais les visites, il n'est pas possible de suivre les visites ? D'être dans la salle où les discours seront prononcés ?
-Non.
J'étais transporté de joie. Désormais, il fallait être accrédité presse, fournir sa plaque d'immatriculation, sourire aux costauds de la sécurité pour regarder le Président à la télé ?
Ma béatitude devait se lire sur mon visage, car on ajouta :
-Attendez, je vais me renseigner.
Tandis qu'on téléphonait, je repassais dans ma tête le cours des événements : je suis un homme, salarié d'un hebdomadaire départemental, je ne me prends pas pour Albert Londres ni pour Jean-Marc Morandini, je me brosse les dents deux fois par jour, j'ai rempli scrupuleusement le formulaire, aurais-je oublié de cocher une case ? Voyons, à quel moment vais-je me réveiller ?
"Je suis désolée. Des pools image ont été constitués par le service de presse de l'Élysée, il n'y a plus rien à faire. Le Président est déjà arrivé et les visites d'entreprises ont commencé.
-Mais constitués comment ? Quand ? Pourquoi ? Que faut-il ou ne faut-il pas pour intégrer ce cénacle ?
-Je peux vous montrer la salle de presse.
Je passai sans embûche les portiques de sécurité. Ce rêve n'était donc pas totalement vérolé. Il y avait des croissants en salle de presse et des confrères aussi dépités que moi. Je fis savoir à la ronde que, dans ces conditions, je ne pensais pas rester et que je ne comprenais pas pourquoi les journalistes avaient été invités à cet événement s'il n'y avait rien à couvrir. Indubitablement, mon rédacteur en chef serait satisfait d'apprendre que l'un de ses salariés avait passé la matinée à jouer au morpion avec ses homologues.
On me dit alors : "Je pense que vous pourrez avoir accès à l'estrade...
L'estrade n'était pas trop mal située, un peu loin mais en face de la tribune, dominant une bonne quinzaine de rangées de chaises déjà majoritairement occupées alors que les discours ne commenceraient pas avant deux heures. Pour passer le temps, j'avais le choix entre suivre sur Twitter la progression du Président marqué à la culotte par les bienheureux des pools ou mettre ma camera à l'épaule et filmer le décor, la foule, les personnalités que je reconnaissais, le pupitre derrière lequel les édiles prendraient la parole, les sièges vides, le personnel qui s'affairait et celui qui faisait semblant... Alors que je réalisais une séquence de toute beauté avec un gros plan sur une étiquette blanche, rectangulaire et admirablement scotchée à un dossier de chaise, je fus vivement interrompu par une dame qui ne se présenta pas, me demanda mon nom, vérifia sur une liste, ne le trouva pas, "quel journal vous m'avez dit ?", s'agaça, jeta un oeil à mon badge, "si vous avez l'accréditation, cela doit être bon. De toute façon, quand le président sera là, vous ne pourrez pas vous déplacer dans la salle" et de me faire comprendre que l'accès à l'estrade était déjà un privilège qu'il serait discourtois de ne pas savourer à sa juste valeur.
Même sur une telle élévation, le temps me parut long. Il fallut attendre et attendre encore. Jusqu'à l'arrivée des députés, présidents de département, sénateurs, il ne se passa rien qu'un sempiternel brouhaha. J'avais enfin rallumé ma caméra et m'étais approché pour filmer les sommités en train de s'asseoir. J'avais conscience de ne pas tourner les images du siècle, mais au moins faisais-je ce pour quoi j'étais venu et payé.
C'était encore trop. Une seconde dame fondit sur moi. Je n'ai pas retenu son nom mais elle se présenta comme "service de presse de l'Élysée". Elle me dit que seuls les pools avaient le droit d'être là. Je lui expliquai que je ne voyais pas ce que je faisais de mal. "C'est l'organisation, c'est comme ça. Les pools ont été constitués, voilà." Je tentais une nouvelle fois de savoir à quel moment j'avais oublié de postuler pour les pools, mais est-ce qu'on naissait pool ou le devenait-on ? Fallait-il une taille minimale ? Parler le finnois ? Je compris rapidement que mon cas ne l'intéressait pas. Elle me ramena à l'estrade qu'elle appelait "le praticable" et je voyais bien ce qu'il avait de pratique pour elle. Naïvement, j'insistai. Je me sentais devenir de méchante humeur quand elle me répliqua sans l'once d'une trace d'humour : "c'est déjà beau qu'on vous ait laissé entrer."
Il est en notre fier pays de France une officine de la Présidence de la République qui s'appelle "service de presse de l'Élysée" et qui choisit sans rien demander à personne quels journalistes sont assez bien pour couvrir une visite officielle du chef de l'État et lesquels sont à placer dans le panier en rotin du menu fretin.

  • Moi à ta place, je serai resté au bistrot en face j'aurai attendu les journalistes du "Pool Élyséen" après un verre oud eux, j'aurai obtenu la teneur de leurs articles et j'aurai tout recopié...

    · Il y a presque 9 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • C'était une option. Malheureusement, il n'y avait aucun bar en face.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avtar

      Stéphane Monnet

  • Le pool ne se serait-il pas transformé en « pull » comme au ball-trap où les tireurs - ici en l’occurrence les hôtesses du service de presse - doivent dégommer des cibles - ici les journalistes jetés en pâture au milieu de la scène politique. Version moderne du tir aux pigeons sachant que la basse-cour élyséenne est truffée de gallinacés à l’ergot surdimensionné et dont la volatilité est la marque de fabrique (mais ça c’est un avis personnel).

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • Quelle belle facture pour ce commentaire, merci !

      · Il y a presque 9 ans ·
      Avtar

      Stéphane Monnet

  • Aviez-vous un beau dentier. Texte excellent. Du vécu ?

    · Il y a presque 9 ans ·
    Cp2

    petisaintleu

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