Confidences d'un loser.

flolacanau

– Tu vois, je n'ose plus faire de choix. C'est ça qui me flingue.


Je ne me confie pas souvent, c'est vrai, mais je sais que ce que je lui dirai restera entre nous. Il a cette qualité ainsi qu'une aptitude à l'écoute étonnante. Là, par exemple, il ne brise pas le silence. Il attend avec cette discrétion toute particulière que je me déverse et je me laisse aller.


– Je me suis si souvent planté que désormais je m'organise pour fuir les embranchements. Je ne m'aventure plus, je piétine sur des chemins usuels, dont je connais les virages au point de les emprunter les yeux clos. Je suis né curieux pourtant, avide de connaissances, mais la vie s'est si souvent retournée contre moi. Quand je croyais m'élever c'était pour mieux être plaqué au sol. Plus les médailles étaient grosses, plus je prenais leur revers en pleine face. Sans oublier bien sûr les occasions gâchées, les opportunités délaissées. J'en ai conclu que j'étais peu doué pour la vie.

Je m'interromps pour le toiser. Il ne cille pas. Nous avons déjà eu ce type de conversation. J'ai peur de l'ennuyer, mais j'ai besoin d'entendre son ressenti, même s'il me l'a déjà donné naguère.


– Je ne suis pas sûr que ce soit ça qui te flingue, comme tu dis. C'est ta perception des choses qui t'empoisonne. Tu te vois comme un raté, un pas grand-chose.

– C'est ce que je suis, je le pense.

– Oui je sais que tu penses cela. Mais ce que tu penses n'est pas forcément ce que tu es. Quand tu fais ton bilan tu instruis à charge avec la hargne d'un jeune juge aux dents longues.


L'image fait son chemin. Je suis au tribunal, avec ce démon en robe qui vocifère en effets de manches et me dépeint en coupable idéal. J'en deviens pâle comme la mort. Oui, ce juge impitoyable œuvre sans repos. Je ne peux le nier. J'ai beau pratiquer l'autodérision, la distanciation, il colle à mon ombre, il est mon ombre, peut-être bien. Je reprends :

– Je ne donne pas le beau rôle, c'est vrai. J'ai pas le goût de la victoire. Quand j'étais gosse, je me foutais de gagner aux jeux de société, pourtant j'adorais participer.

– J'irais plus loin. Tu as le goût de la défaite. C'est sécurisant pour toi, j'ai l'impression. Tu t'es convaincu que tu n'arriveras à rien, que tout ce que tu touches sera cassé ou gâché. Finalement, si les choses se présentent bien, au lieu de te combler, ça te déstabilise. Te voilà dans un rôle dont tu ne connais pas le répertoire.


Je soupire. Il n'y a pas d'enjeu, mais je pue la défaite. Ce qu'il me renvoie est pertinent, ciblé et m'accule contre un mur. Il ne manque que le poteau d'exécution. J'attends qu'on me fusille. Et voilà, j'ai envie de me marrer de mes propres conneries. Toujours des pirouettes pour tromper la chute, c'est mon modus operandi. J'aimerais bien poursuivre la conversation, mais je sens que ça sera douloureux alors je veux déjà en sortir, ne plus penser, me disperser devant un écran. Je risque une dernière question :

– Y a du boulot hein ? Toi qui es toujours de bon conseil, dis-moi quoi faire pour sortir de l'ornière ?

– Je ne vais pas être très original, mais comme je te l'ai souvent dit, tu devrais cesser de parler à un mur. Essaie quelqu'un de vivant pour changer. Ça t'aérera l'esprit.


Il n'a pas tort. Je me tourne vers l'autre mur de ma chambre, celui qui n'a jamais envie de me répondre. Sortir, parler à de vraies personnes. Il peut se passer une semaine sans que je n'ouvre la bouche. Bonjour, merci au revoir, dans les magasins. Je m'étonne encore de savoir parler. Je m'entraîne si peu. Un jour je me lèverai sans mot dans la bouche et avec mon cerveau bancal, l'envie irrépressible de communiquer oralement viendra me cogner l'occiput. Derrière moi j'entends le mur « alors t'as fait ton choix pour ce soir ? »

Il m'énerve. J'enfile une veste et décide de sortir, juste histoire de faire le mur.


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