Conjonction
petisaintleu
Ma masse est de soixante-treize kilos. Enfin, je dis ça par coquetterie. Il y a longtemps que je n'ai pas posé les pieds sur une balance. Sans doute aussi parce que je me sens en équilibre instable, la tête à un fil de rasoir du couperet. Alors, admettons. À bon escient, j'ai parlé de masse. Celle-ci est la quantité de matière contenue dans un objet. Que je me trouve sur la comète de Haley, Vénus ou Alpha du Centaure, elle ne varie pas. Le poids, lui, change selon la planète ou l'astre et il s'exprime en Newton. Il est fonction de la force d'attraction. Ici, je pèse 716 N. Mais, depuis des semaines, je me sens Neptunien. Remarquez, ça me change. De moi, on dit souvent que je suis lunatique. Désormais, je pèse cent Newton de plus.
Pour le moment, j'ai toujours les pieds sur terre. Un jour, peut-être, sans doute, je déciderais de défier la gravité. Il suffirait de hisser la corde et, au moment fatidique, de pousser le tabouret. J'imagine que les lois de la physique ne pèseraient plus grand-chose face à celle édictée depuis l'origine. Il me faudrait alors justifier de ma légèreté à m'être sacrifié, au détriment des règles établies. Il est certain que je découvrirais les matières en fusion et que j'aurais bien plus de temps qu'il ne m'en faut pour réfléchir et m'appesantir de ma faute. Satellisé aux enfers, j'observerais de loin le jardin des délices.
Nous n'en sommes pas encore là. Mais, je deviens lourd. Et je me liquéfie de jour en jour. Je suis dans l'entre-deux du mercure. J'ai la propriété du métal et pourtant, je chancelle de ne plus être solide. Tout comme lui, je suis enclin à l'amalgame. Je suis gentil, on me croit cynique, distant ou dépourvu de tout sentiment. Je suis tout autant exigeant que coulant, tel le nœud qui pourrait mettre un terme à l'imbroglio. Je ne suis que moi, sans tricher, un humain avec ses contradictions. Un jour tellurique, le lendemain éthéré, selon que le destin me pousse vers l'espoir ou l'accablement.
En somme, je ne sais pas mentir. Je n'ai jamais choisi la facilité de la poudre de perlimpinpin. J'ai opté pour la voix plus obscure de l'alchimie, même si ce n'est pas la panacée. Dans l'alambic qu'est la vie, j'ai cherché à trouver l'élixir qui me permettrait d'être moins hermétique. J'ai échoué. Il y a peu, je pensais, sérieusement, être à deux doigts de transmuter mon quotidien en or. Rassurez-vous ; je ne fantasmais pas de grosses bagnoles, de paradis fiscaux ou de châteaux en Espagne. Je me serais contenté d'une once de plaqué. Une existence de pas-grand-chose. Juste de quoi ne plus m'angoisser et arrêter de faire compliqué quand on peut faire simple.
Mes espoirs se sont réduits comme peau de chagrin. D'ici peu, je prierai les Dieux pour m'assurer la fin de mois. Je ne voudrais pas que la faim me pousse à mon propre terme. Je le reconnais. J'élargis le cercle de mes espoirs, puisque l‘on me refuse les étouffe-chrétiens. La nuit, je me réveille et je hurle mes peurs à l'astre de la nuit, au diapason avec les meutes de laisser pour solde de tout compte. Je me ronge les ongles jusqu'au sang. Étalés sur la table, j'y vois des runes qui me guideront vers le paradis terrestre, un CDI.
J'ai encore de la marge, bien qu'elle s'étiole et devienne marginale, car, jamais, je ne tendrai vers l'infini. Je ne suis pas Bucéphale, je suis réaliste. Je n'ai pas peur de l'ombre qui souvent vient noircir mes pensées. Ce n'est pas que je me laisse glisser vers les entrailles, c'est que l'on m'y pousse. Des cerbères cravatés me refusent les portes qui me redonneraient ma dignité.
Chez les Latins, Vénus était la déesse de l'amour. Je tiens à le préciser. D'ici peu, ceci sera oublié. Dans notre monde civilisé, on nivelle vers le bas, et les latinistes seront bientôt plus rares que la Chimère. Plutôt que de m'alourdir sur un futur de mauvais augure, je m'évade à ses côtés. J'oublie Neptune, pour ne pas me noyer dans l'arcane d'un jeu de cartes qui m'échappe. Je rêve de fontaines de Jouvence, de seins appesantis, de souffles courts de désir, de boutons de rose qui me donnent la main verte.
Il faut toujours garder l'espoir, oublier Charybde et Scylla. Au fond de tout, il y a un plancher. Conserver un œil aguerri vers la lumière.
Ars longa, vita brevis.
· Il y a plus de 9 ans ·yl5
Un très beau texte, émaillé de références qui me sont chères ; mais qui, hélas, aux yeux de certains, ne vaudront bientôt plus rien... 5/5 et coup de cœur !
· Il y a plus de 9 ans ·veroniquethery
De toutes manières, on est toujours subordonné à une proposition en attente.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Mais la coordination permet augmenter le nombre de propositions possibles. et d'éviter la subordination
· Il y a plus de 9 ans ·Isabelle Polle
C’est exact. Encore faut- il conserver son indépendance vis-à-vis de toutes ces propositions relatives aux attributs dont elles se vantent.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Bon, je vous laisse discuter. ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·petisaintleu
Et si on chantait ?
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Nina Simone ?
· Il y a plus de 9 ans ·Isabelle Polle
Je laisse petisaintleu donner le ton.
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Maestro ? ....
· Il y a plus de 9 ans ·Isabelle Polle
Je me contente d'écrire quelquefois quelques chansons; Modestement si devais primer un chanteur, contrairement à toute attente, je primerais Nina SIMONE. Elle a chanté le rêve et l'essentiel : La liberté dans l'égalité. Et elle l'a chantés comme une diva en révolutionnant la musique de manière intemporelle. Son chant et non elle a tant irradié son époque qu'il éclaire encore.
· Il y a plus de 9 ans ·Isabelle Polle
Heu, moi ma culture musicale commence en 1976 !
· Il y a plus de 9 ans ·petisaintleu
Avec Monty ?
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Non, les Buzzcocks.
· Il y a plus de 9 ans ·petisaintleu
La conjonction de coordination le permet, contrairement à celle de subordination. C'est un peu la différence entre la masse et le poids.
· Il y a plus de 9 ans ·Isabelle Polle
Bien vu !
· Il y a plus de 9 ans ·petisaintleu