Connielafolle
Dorian Leto
Est-ce que tu comprends quelque chose quand je crie ? Est-ce que tu le peux seulement ?
Dream is the onlything, disent-ils. I DISAGREE, GENTLEMEN.
Sais-tu qui je suis?
Mon nom est –quoi ? Mon nom est –quoi ? Mon nom est Connie.
Je suis autiste et schizophrène. J'ai dix-neuf ans. Je n'ai jamais parlé à qui que ce soit. Je ne peux pas.
Je ne peux pas non plus faire quelque chose si quelqu'un me le demande. Je peux seulement écrire.
Juste pour moi.
Et j'entends des voix, je parle à des gens qui n'existent pas. Souvent.
Je suis folle. Magnifique, m'a-t-on dit. Mais ma caractéristique principale reste gravée sur mon front :
Connie, la folle.
Je ne suis pas stupide. Il paraîtrait même que mon QI s'élève à plus de 180.
Mais qu'est-ce que cela ? Juste un chiffre. Une bizarrerie de plus rattachée à Connie la folle.
Parfois, j'arrête simplement tout et je pleure silencieusement.
Ou alors je crie très, très fort.
Mais personne ne m'entend, parce que c'est juste dans ma tête.
Quand ça arrive, je me couche sur le parquet de ma chambre et je frappe le sol avec ma tête.
Parfois, je me réveille dans un lit blanc, à l'hôpital, le crâne vrillé par la migraine, la tête bossée.
Ils disent alors que j'ai fait une crise.
J'aimerais leur expliquer que non, que j'ai juste entendu quelqu'un crier dans ma tête.
Et que je ne voulais plus entendre sa douleur,
Que j'essayais juste de couvrir sa voix…
Mais je ne peux pas leur dire. Parce que je ne peux pas parler.
Une sorcière a fermé ma bouche de nombreuses années en arrière : la maladie est vicieuse.
Alors maintenant, je suis liée sur un lit blanc avec des tas de perfusions dans les bras.
Que pourrais-je vouloir d'autre?
Je ne suis que Connie la folle.
Une fois, un photographe a essayé de faire de moi un modèle.
Il disait que j'étais tellement belle, que je dégageais quelque chose de puissant.
Seulement voilà, il est venu à la maison signer un contrat.
Il n'a vu qu'une seule crise. Qu'une seule fois.
Je me suis mise à murmurer, maman a essayé de m'emmener à l'écart.
Elle sait qu'il n'y a qu'aux voix que je m'adresse.
Mais je me suis jetée sur le sol. Et j'ai tapé ma tête si fort, si fort…
Je ne voulais pas faire ça. Je ne suis pas toujours comme ça. Je suis désolée.
Je n'ai jamais pu le lui dire ; il était déjà parti quand je me suis réveillée.
Je crois que, pour ça, ma langue aurait pu se délier.
Au lieu de quoi je suis toujours Connielafolle.
Je sens bien que je dérape, chaque fois que j'y repense. L'écrire est encore bien pire.
- Salut toi !
- Non va-t-en ! Je ne veux pas t'entendre !
- Voyons princesse, ne te fâche pas, je voulais seulement te distraire un peu !
- Pars ! Ne reviens jamais. Jamais…
Je commence à pleurer, m'allonge sur le sol, en position fœtale, la tête entre les mains.
- C'est malpoli de dire ça à ses amis, Connielafolle.
- CONNIE ! C'est juste Connie.
- Tu te donnes toi-même ce surnom, pourquoi m'en priverais-je ? Nous ne sommes qu'un, tu sais.
- TAIS-TOI ! Je ne suis pas toi ! Tu n'es que le reflet de ma folie, les abysses de mon esprit !
- Et pourtant je suis là, mon ange. ICI! Regarde-moi ! CONNIELAFOLLE !
- SILENCE ! Tu n'es qu'une illusion !
Il commence à hurler, si fort. Chaque fois que je prononce ce mot, il crie tellement fort…
Il me vrille le cerveau.
Je vois maman arriver en courant. Elle pleure.
Ma vue se brouille.
Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi. Tais-toi.
Chaque fois que je le lui demande, ma tête frappe le sol.
Le silence s'installe.
Je me sens revenir.
Bip-bip-bip-bip-bip-bip.
Quand j'ouvrirai les yeux. Tout sera blanc.
Maman sera assise sur la chaise, à ma droite, les yeux suppliants et l'air désolé.
Elle essaie toujours de se contenir. Ce n'est pas de ma faute, me répète-t-elle chaque fois.
Si, maman. J'ai bousillé ta vie. Tu n'as pas d'amis, pas de travail, tu es en dépression permanente.
C'est de ma faute.
Depuis toujours, c'est de ma faute.
Et je n'ai jamais réussi à t'écrire à quel point je suis désolée.
Une larme s'échappe de mes paupières fermées.
Son doigt volatil l'essuie en un éclair.
La douleur en haut à droite de ma tête naît et devient rapidement oppressante.
Je suis flasque. On m'a dopée. Actuellement, je porte une, deux, trois perfusions.
J'inspire.
- Oh, mon ange, je suis tellement désolée ! Ce n'est pas de ta faute.
Je sais maman. Je t'en supplie, tais-toi. Je n'arrive même pas à te regarder.
Je hoche la tête.
Quand vais-je pourvoir rentrer ?
- J'ai de plus en plus de mal à les laisser te faire repartir avec moi ma puce. C'est pour dans huit jours.
C'est une manière de me dire que je vais finir en institut… hein ?
- Je ne les laisserai pas te prendre, ma chérie. Je ne les laisserai pas…
Tu as les larmes au bord des yeux. C'était un ultimatum.
- Il est revenu.
Qui ça ?
- Le photographe…
Je tressaille.
- … après huit mois de silence, il est revenu. Il dit qu'il a réfléchit, qu'il veut t'immortaliser.
Je hoche la tête.
Il n'a pas essayé de signer de contrat chez nous. Il a attendu que ma tête perde ses excroissances.
Maman est allée à son bureau et a remplis quelques papiers.
Je me suis rendue à son atelier. Deux jours de suite. Il a pris plein de photos.
Maman m'a dit qu'il avait préparé un article sur moi, pour un grand magazine.
En collaboration avec une femme que j'ai rencontrée et qui m'a posé des questions.
Maman lui a répondu.
Il paraît aujourd'hui, cet article. Elle est allée l'acheter. Je suis toute seule à la maison.
Elle ne me laisse presque jamais.
Elle n'en avait que pour quelques minutes.
Mais j'avais peur.
Tellement peur.
Qu'il est revenu.
- Comment vas-tu aujourd'hui ?
J'ai décidé que je ne lui répondrais plus. Plus jamais.
J'entends les pas de maman derrière la porte. Elle tourne la clé dans la serrure.
- Tu crois peut-être que je vais m'en aller ?
Je cours vers elle. Elle ouvre le magazine. J'ai trois pages rien que pour moi.
Je ne me reconnais presque pas.
Je suis tellement belle. Je ressemble à toutes les femmes qu'on voit dans les magazines.
- Et ça te dispense de me répondre ?
Le téléphone sonne. Maman décroche. Je ne peux détacher mes yeux du papier laqué.
- Allo ?... Comment ça d'autres ?... Tant que ça ?... Je ne sais pas. Je dois lui en parler. Je rappellerai.
Je suis la belle Connie.
Elle marche vers moi.
- Ma puce, tu as plu à beaucoup. Ton histoire a plu. Je…
Il parle en même temps qu'elle, leurs voix se confondent.
- Arrête de te considérer de la sorte, sale orgueilleuse ! Connielafolle, ah oui, ça, ça te correspond !
- TAIS-TOI !
- Non mon ange, ne repars pas. Pas encore…
Maman pleure. C'est de pire en pire. Mes crises se rapprochent toujours plus.
Elle ne sait plus quoi faire.
Il crie.
Elle ne peut plus rien faire.
Il crie.
Ils vont m'emmener loin d'elle.
Il crie.
Je ne suis que Connielafolle.
Il crie.
La magnifique Connielafolle à l'histoire fascinante. Mais dont seule la folie captive, au final.
Il hurle.
Je tape ma tête. Plus fort encore que d'habitude.
Et puis il y a le coin du mur tout près.
Et maman qui pleure ne l'a pas vu.
Son hurlement prend tout l'espace.
Je cogne. Je cogne. Je convulse, sans cesser de cogner.
Et bam.
C'était le coin du mur, la plinthe du carrelage.
Et la douleur est atroce, et cette fois, c'est maman qui hurle, et je sens un liquide chaud se déverser.
Et je glisse, dans le silence.
Pas de bip au réveil.
C'est juste le noir.
Interessant et assez bien mené…
· Il y a presque 8 ans ·nyckie-alause
Merci!
· Il y a presque 8 ans ·Dorian Leto
Bien écrit, on est bien dans la tête du personnage. Un petit effort de mise en forme du texte? (Pourquoi tous ces retours à la ligne?)
· Il y a presque 8 ans ·Giorgio Buitoni
Ils ont pour objectif de montrer la fragmentation de l'esprit du personnage, son impossibilité à réellement suivre le court d'une idée. Il est vrai que ça peut paraître assez maladroit, mais en soi, l'esprit de Connie l'est aussi. En réalité, les phrases sont amenées dans cet ordre, mais il s'agit uniquement de sa perception perturbée et il pourrait se passer de nombreux événements que son esprit ne retient pas entre chacune d'elle. J'espère t'avoir éclairé :)
· Il y a presque 8 ans ·Dorian Leto
J'y avais pensé après coup... ;)
· Il y a presque 8 ans ·Giorgio Buitoni