Conte

aile68

Aujourd'hui je suis allée acheter une guirlande à maman pour décorer le laurier rose à côté du portail. Je l'ai prise en perles nacrées rouges irisées, elle sera du plus bel effet sur les branches encore fleuries. Maman a un secret pour garder les fleurs même en novembre, elle le tient de sa mère en Italie, qui le tient elle-même de sa propre mère. C'est une lignée de femmes un peu sorcières, un peu druides, elles ont choyé  la nature comme on choie ses enfants avec tendresse et dévouement. Maman profite du beau temps pour parler aux arbres. De ses doigts tordus par la vieillesse, il faut voir comme elle pianote sur les troncs d'arbres de drôles de codes qu'elle m'enseigne à moi  qui suis la fille aînée. Mes autres soeurs elles, font de drôles de potions dans une marmite vieille de cent ans. Chacune a sa spécialité, nous sommes complémentaires les unes aux autres. Il n'y a pas de garçons chez nous. Nous sommes un clan de femmes enfants, un clan fermé prêt cependant à secourir les autres. La nuit nous jouons de la harpe et de la flûte, maman fait des expériences, invente des recettes magiques. Elle a promis qu'elle nous apprendrait à garder le teint rose et la bouche pulpeuse d'une cerise. C'est avec parcimonie qu'elle nous découvre son grimoire, elle nous trouve encore immatures pour qu'on s'en serve seule. Elle nous prend encore pour des enfants, les petits d'une lionne sont plus autonomes que nous quatre ses filles! On la regarde faire comme dans un rêve, ses gestes sont précis et lents, elle goûte du bout de la langue l'extrait d'une fleur rare, d'une huile essentielle qu'elle a confectionnée elle-même. Notre grande famille et les deux seuls amis que nous ayons en profitent le soir de Noël. C'est bientôt que nous les recevrons dans notre petit château, nous n'occupons que l'aile droite de la bâtisse, l'autre aile est soumise aux vents et à la pluie battante de janvier. Le toit de cette partie de la maison s'est effondré, maman s'isole parfois là quand elle a le cafard, elle prie son défunt mari disparu en septembre dans les mers du Sud. Elle dit qu'elle l'entend dans son coeur et qu'il reviendra dans un an ou deux. En attendant elle consulte des oracles et des devins pour l'entendre le soir dans ses rêves et ses demi-sommeils. Elle n'a jamais bien dormi ma maman, comme les hiboux elle veille la nuit sur son vieux fauteuil et s'envole au petit matin dans son monde à elle où elle nous invite parfois. Elle est secrète ma mère, mais elle nous a raconté une fois comment elle a rencontré notre père. C'était dans la forêt calme et brumeuse. Les peuplade animale se réveillait doucement, elle, parlait aux arbres, comme elle a l'habitude de faire encore maintenant. Intrigué, mon père, homme simple et bon, l'a contemplée en silence  jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive de sa présence. ça n'a pas été le coup de foudre pour elle, mais plutôt un lent apprentissage de mon père, qui a entrepris de la séduire avec tout le soin du parfait gentleman. C'est un gentilhomme mon père, un jour il reviendra, j'ai confiance en ma mère et en ses prières. Notre dieu n'est pas celui des hommes mais celui de la forêt puisque c'est là qu'ils se sont rencontrés et connus.

Ne m'en veuillez pas si mon histoire s'achève ici. Moi et mes soeurs nous allons couper du houx et des branches de sapin pour décorer la maison. Ma petite soeur et la cadette feront des décorations, moi et mon autre soeur confectionnerons des bonhommes en pain d'épice, ceux qu'on accroche au sapin et qu'on regarde avec des lumières dans les yeux. C'est ainsi que notre mère nous regarde parfois quand elle croit que nous dormons. Il y a toujours dans son regard l'ombre d'une main, celle de notre père qui lui caresse la joue comme elle dit.

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