Conte de la tordue

Natacha Karl

Comme un vilain petit canard qui danse

Que sais-tu d'elle

La tordue

Que sais-tu d'elle

L'as-tu dit

L'as-tu cru

L'as-tu su

La tordue. Et depuis quand on serait obligé d'être droit?

Et depuis quand on ne pourrait être gauche?

La tordue. La gauchère. L'hachée menu.

La tordue. Née dans une forêt de bossus.

Toi là, t'es juste tordue. Pas foutue.

La tordue. Qui résonne comme une casserole. De tous les coups de fourchette qu'elle a reçus, la tordue. À tous les coups.

Pas bossue. Pas goulue. Juste un bâton perdu. Tombé d'un puissant chêne. Dans la grande clairière. Au delà de la montagne violette.

Elle est partie la tordue. Dans un autre monde. Mieux foutu. À ce qui se dit.

Elle a marché, la tordue. Et encore marché jusqu'à trouver des gens droits.

Des gens droits, mais parfois étroits. Ne laissent pas passer le plus petit interstice d'espace, d'espace...

La tordue.Pas assez bossue pour les siens. Pas assez droite pour les gens droits.

La tordue s'est mise à danser. À s'en ficher de boiter. Elle a dansé. Elle a chanté, le visage levé vers le ciel, les paumes tournées vers les étoiles.

Elle a dansé. Elle a volé. Plus loin que les plus grandes galaxies.

Plus haut que les cœurs les mieux accrochés.

La tordue, jamais n'en aura voulu au plus petit d'entre les siens.

Jamais n'aura couru aussi loin que le jour où elle a quitté ses vieux sabots rouges. Le jour où elle a foulé, les pieds nus, l'herbe verte du nouveau monde à l'ouest de toute terre habitée.

Elle a posé sa main sur le sol ferme de sa nouvelle vie enchantée.

Elle a créé des racines dans cette terre meuble au pays de consolation. Elle a ouvert ses lèvres, respiré en un souffle, vivant et frais.

Elle a souri, et elle a entendu dans le feuillage son nouveau nom, son secret dévoilé : EDU-TROLA.

Edu-trola, tu étais devenue, là.

Tu étais Toi!

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