Conte-moi un ravage

Il était une fois, un dragon sanguinaire, qui rodait sur les hauteurs du royaume de Barbarie. Il veillait, croyait-il, sur une princesse mortifère, dont la passion la plus dévorante était la dynamite. Par-dessus tout, elle aimait détruire ce qui était beau, à commencer par sa propre personne. Elle cramait ses cheveux d'ébène avec des bâtons d'encens, se brûlait les cils au clipper incendiaire. Elle riait souvent des regards condescendants et dépités, qui se portaient sur elle, lorsqu'elle se trouvait en pleine entreprise d'autodestruction. Ces idiots ne la comprenaient pas, ils ne comprenaient pas la jouissance qui résulte du fait d'avoir le contrôle sur son propre démantèlement. 

Ce qu'ils ne savaient pas non plus, c'est à quel point le dragon avait eu autrefois ce pouvoir là sur elle. La seule manière de se libérer de son emprise avait été de devenir elle-même son propre bourreau, de s'approprier la douleur, de se l'auto-administrer. Pour conjurer la menace perpétuelle d'une agression aléatoire, elle avait pris les devants. Elle était devenue maîtresse de sa propre annihilation, une tortionnaire impitoyable dont elle était la première victime.

Le dragon, lui, enrageait, car il voyait bien que ses attaques n'avaient plus aucun effet sur elle. Il décida de partir à la recherche d'une nouvelle princesse à torturer, et quitta le royaume. 

Quant à notre princesse, elle ne se rendit même pas compte que le dragon s'était envolé. Elle continua à se cramer les cheveux, à inhaler des vapeurs d'ammoniaque qui embrasaient ses poumons. Elle finit par en mourir, sans savoir qu'un jour, elle avait pu être libre.