Coquelicomane

Edgar Fabar

Coquelicomane notoire, Fabar est arrivé à la croisée des impasses. Et quand enfin, il se décide à tirer un trait sur son passé, le téléphone sonne.

            Longtemps, je fus coquelicomane. Ne vous méprenez pas, je n'étais pas amateur de fleurs, si c'est ce à quoi vous pensiez. Pas plus que je ne suis dyslexique et je sais donc parfaitement prononcer le mot toxicomane. Mon truc à moi c'était plutôt la poudre aux yeux, mais dans le nez. C'est bon, vous me suivez ? Mais pourquoi les coquelicots alors ? En vérité, c'est à cause de mon aversion pour le mot cocaïne, il ne sent rien ce mot. Il n'a ni odeur ni saveur,  je l'ai toujours trouvé de mauvais goût, tellement impersonnel. Rien à voir avec la femme fatale tapie sous le mot héroïne, ou le parfum sensuel dégagé par celui d'opium. Pardon de vous interpeller à tout bout de champ, mais vous ne dites pas non plus que vous allez picoler une bouteille d'éthanol chez un copain. Non, vous appelez les bonnes choses par leur nom, car comme nous tous, vous avez besoin de rêver, et lorsque vous évoquez ces mots magiques Latour, Pétrus ou Yquem, cela suffit déjà à éveiller votre désir. Et bien pour moi, ce n'était pas différent. Pour mettre mon plaisir sur de bons rails, j'avais besoin de lui trouver un sobriquet à la blanche, je l'ai donc surnommé Coquelicot. Ça sonnait pareil, tout étant plus joli et moins dur, plus bucolique et moins scientifique, avec ce petit côté champêtre qui me plaisait. De la coke « Reflets de France » si vous préférez. Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, comme nous l'apprend la sagesse populaire et parfois votre employeur quand il vous licencie ou votre femme quand elle vous quitte, lasse de se débattre avec vous au royaume de la débâcle. Jusqu'au jour où je me suis réveillé sans avoir dormi, sans travail ni argent, et sans femme donc. C'est à partir de là que j'ai décidé de tirer un trait sur mon passé, en d'autres termes, j'ai su qu'il fallait cesser.

                Mais arrivé à la croisée des impasses, je me suis trouvé bien désemparé. Depuis des années, je voyais la paille dans le nez du voisin sans jamais voir la poutre dans le mien. Le problème, le vrai, c'est que je ne savais pas comment réagir. Ce monstre né de mes obscurités avait grandi lentement, progressivement. Je l'avais nourri, logé et surtout blanchi. Si bien, que lorsque je me suis rendu compte de sa prise de pouvoir, je n'étais déjà plus en démocratie. Les coquelicots avaient installé un régime totalitaire, et chaque nuit, je défilais sous leurs drapeaux. Comment avais-je pu me faire rouler dans la farine à ce point ?

 

        C'est simple, je crois. Gamin, on m'avait appris à faire face aux menaces extérieures. Je savais à peu près toujours comment m'en sortir. Je possédais suffisamment d'expérience pour reconnaître la plupart des dangers et réagir en conséquence. Toute une enfance à faire des croûtes, à se brûler, à s'étouffer à moitié ou à se faire pincer, griffer, mordre ou piquer, puis, une adolescence à résister aux humiliations, aux rejets, aux trahisons ou aux abandons, m'avaient forgé une solide carapace, disons une apathie que je croyais capable de résister à toutes les collisions. Mais là, c'était autre chose. Face à la violence infligée à soi-même par soi-même, mon système de défense était tombé en panne. Une fois prise la mesure de mon impuissance et de la complexité d'une situation dont j'étais à la fois victime et bourreau, je fis ce que tout le monde aurait à ma place pour s'en sortir : je m'en remis à Google. Manque de pot, ce jour-là il ressassait terriblement. Sur huit pages, il répétait la même chose : « va voir un centre de soins et participe à des groupes de paroles ». Quelle angoisse. Croire que tu vas te sentir mieux parce que tu écoutes la tentative de suicide foireuse d'une crackée en cloque, et clean depuis même pas une semaine, c'était aussi con que décider d'arrêter de bouffer de la merde en allant chaque jour chez Mac Do. Je commençais à me dire que les coquelicots auraient ma peau quand la science et le Danemark vinrent à mon secours. Une société danoise venait en effet de mettre au point un antidote efficace. Pour contrecarrer l'armée du coquelicot, ils avaient inventé une méthode originale. En premier lieu, ils avaient conclu que le règne de la cocaïne sur le cerveau du consommateur était basé sur le plaisir et que c'est comme cela que son empire prospérait. L'envahisseur imposait le bonheur par un moyen très simple : il forçait le cerveau à produire toujours plus de dopamine, la fameuse hormone du bonheur. Pour y parvenir, la coke prenait le contrôle du système de production, en s'emparant des réserves naturelles de dopamine, ce qui poussait le cerveau à compenser en augmentant ses rendements de production, et la joie coulait à gros bouillon. Et qui n'a jamais rêvé de vivre au paradis fut-il artificiel ? Et bien une fois qu'on y avait goûté, pour certains cerveaux, les élus de l'addiction comme moi, il était très dur de quitter cette terre promise, de se détourner de la beauté du diable. Mais les danois avaient semble-t-il trouvé la parade. Ils avaient eu la géniale inspiration d'utiliser des micros particules de kevlar pour renforcer les molécules de dopamine. Ces barrières devenaient infranchissables, même pour une armée d'occupation aussi redoutable que celle du coquelicot. Fini la tyrannie de l'euphorie. En l'échange d'une rançon à vie de trente dollars par mois, j'allais enfin être libéré de moi. Cent quarante-sept questions plus tard, mon dossier était envoyé. Et depuis un mois, j'attends qu'ils me contactent et je cherche du taf tous les jours.

            On est vendredi. Le problème, c'est que ma journée est déjà finie et qu'il est que huit heures du matin. La faute au chomdu, ce gros glandu. Car ça y est, j'ai répondu à toutes mes annonces. C'est pas que je sois si efficace que ça, c'est juste qu'il n'y a rien qui me corresponde tout à fait ni même à peu près d'ailleurs. Si vous voulez comprendre ce que je dis, vous devez saisir que je suis un coureur cycliste à qui on demande de faire des courses de motos, parce qu'après tout, tout ça, ça se joue sur deux roues. Mais vous savez, je me formalise plus trop, car je sais bien qu'ils font tout ça pour que la société se pète pas la gueule, alors depuis que j'ai en vue la ligne d'arrivée, et la fin de mes droits marquée dessus, je tente à peu près tout ce qu'on me propose pour rester debout. Car avouez quand même, que huit heures du mat, c'est tôt pour retourner se coucher

                Me voilà qui tourne et retourne dans mon appart, j'habite près du métro Argentine à Paris. En désespoir de cause, et surtout de conséquences, je me roule un joint d'herbe. En mon for intérieur, je souffle, je me dis comme ça « il est bien trop tôt mon grand, garde le cap». Je le porte plusieurs fois à ma bouche, sans parvenir à me décider. Finalement je cède à la pulsion. Je tire quelques bouffées et très vite, je me sens sur un petit nuage vert. Merde, le téléphone sonne. Connais pas ce numéro, pourtant je décroche in extremis, car sait-on jamais, c'est peut-être un recruteur pour une embauche :

-          Allo ?
-          Monsieur Fabar ?
-          Oui, lui-même
-          Bonjour c'est Monsieur Léonard, de Vinci
-          Ahahaha très drôle petit con
-          Euh... pardon

Zut, je frémis à l'idée d'avoir insulté un recruteur potentiel.

-          Euh Didier ?
-         Non comme je vous le disais je suis Monsieur Léonard, de Vinci Chimie, la branche Médicament & Molécules du Groupe Vinci
-       Ah merde.. je suis confus, je vous ai pris pour mon cousin Didier. On sait jamais à quoi s'attendre avec lui, c'est le roi du canular téléphonique. Pas plus tard qu'hier, il m'a fait croire qu'il travaillait pour Canard WC, soit disant que j'avais été tiré au sort et qu'ils allaient refaire la déco de mon appartement, parce que j'avais vraiment, mais vraiment, des goûts de chiotte
-    Merci Monsieur Fabar pour ces précisions admirables, mais à vrai dire je vous appelle pour savoir si vous seriez disponible ce matin pour un entretien ? Je suis conscient que l'on vous appelle un peu à la dernière minute, mais nous avons eu un désistement, et votre profil nous intéresse particulièrement. Si vous pouviez être là à 10h ce serait vraiment parfait. Entendu M. Fabar ?

          Arrivé à La Défense, j'ai l'impression de débarquer dans un autre pays, d'autres gens autour de moi, agités d'une façon un peu bizarre, des mâchoires serrées, des regards secs et monotones. Avec tout ce monde qui court dans tous les sens, je me sens déjà à bout de souffle. Pour me regonfler, je pense au cousin Didier, qui cure les canalisations dans le sud de la France. Le pauvre doit faire face à des montagnes de merde chaque jour, littéralement je veux dire. Tout ça à cause des vieux qui viennent s'installer dans ces patelins où le soleil est roi et où la constipation est reine. Et oui, ça non plus on ne vous le dit pas, mais la fin de vie, certes ça sent la mort qui approche, mais ça sent aussi et surtout la merde. Il m'a expliqué un jour qu'il existait même une échelle de Bristol pour catégoriser les troubles fécaux de 1 à 7, du plus dur des étrons au plus liquide. Le problème de la Côte d'Azur, c'est que majoritairement on rencontre des merdes de type 1 en forme de noix ou de type 2 en forme de saucisse grumeleuse voire fissurée, alors forcément, ça finit par bloquer les tuyaux d'évacuation. Car c'est pas parce que les gens ont les boyaux périmés qu'il y a moins de merde, au contraire, y en a tout autant, mais d'une qualité plus chiante. Ah non vraiment, ce n'est pas si mal la Défense, je vous le dis.

      Devant une tour vertigineuse, nommée avec humilité la tour Vinci, j'hésite, car je pressens qu'au-delà de la limite de ces portes, je vais au-devant de l'avenir et que tout ceci pue les conséquences à plein nez. Et à chaque fois que je m'éloigne du présent, je me ramasse lamentablement : espoirs déçus, prévisions foireuses, anticipations inquiétantes, amours surestimés, jouissances précoces, fêtes machinales.. J'ai la phobie du futur ou la passion du présent si vous préférez. Tiens, mon épaule trésaille, je me retourne et me retrouve nez à nez avec Arthur, un copain de promo que je n'ai pas revu depuis l'école

 -             Ça alors, Arthur incroyable, ça va toi ?
-         Ça va ouais je travaille tu sais. Et toi mec, tu bosses j'espère ?

Interloqué par cette empathie crispante, je le regarde avec attention. Ai-je l'air, moi aussi, cerné par les mêmes poches bleues qui amochent ses yeux ? Les mains sales de la vie ont-elles laissées les mêmes traces sur ma gueule ?

-          Bein justement je vais un entretien pour du boulot
-        Super mec, j'espère que ça va marcher pour toi, faut pas rester dans le noir trop longtemps tu sais, faut t'accrocher pour te sortir d'affaire

Enfin, mon problème à moi, c'est plutôt que je veux décrocher pour me sortir d'affaire, mais je me dis que ce n'est pas utile de lui confier ça.

-     Ouais j'imagine. Bon et alors qu'est-ce tu fais de beau en ce moment ?
-     Bein je te dis, je bosse.
-     Euh ouais... mais dans quoi ?
-    Dans la restauration, bon je peux pas trop en parler, c'est un nouveau concept. Bon allez, mais tu le gardes pour toi mec, Flunch va lancer une chaîne de restaurant spécialiste de la cervelle, ça devrait s'appeler Hippothalamus. Ça va être big !

            Je me gratte la tête intérieurement, encore sous le choc de la « big nouvelle », et je me dis que je dois quitter le musée des anciens combattants au plus vite, avant que le passé ne vienne me contaminer. Mais c'est déjà trop tard, Arthur est entré dans la salle des vieux copains perdus de vue dont on se rappelle à peine le nom. Puis, il se rue dans la salle consacrée aux vieilles gloires de nos vies amoureuses, celle des chefs d'œuvre en péril, celles qu'on a revu et pour lesquelles le temps n'a pas été tendre, le temps, ce salaud misogyne qui s'attaque aux femmes en premier, en leur écorchant la jeunesse à même la peau. Nous les hommes, me dit-il en plein paradoxe visuel, on a de la chance on vieillit bien. Je prends congé d'Arthur en le rassurant sur le fait qu'il n'a pas beaucoup changé. C'est juste qu'il est devenu un vieux con à présent.

         Nous y voilà, je dis nous parce que ça me donne l'impression qu'on est nombreux. Et pour le courage, c'est important de ne pas se sentir seul. Le hall est aussi sobre que je ne le serai jamais. Bon, je me dirige vers l'hôtesse qui indique à Monsieur Léonard que son RDV est arrivé. Le RDV prend l'ascenseur. La transpiration aussi. Je ferme les deux boutons de ma veste de costume de peur que ma chemise, qui coule à flot, ne constitue la première image que Monsieur Léonard verra de moi. Et comme chacun sait, ce qui inclut à peu près tout le monde sauf les ignorants, c'est-à-dire à peu près tout le monde en vérité, on a qu'une fois l'occasion de faire une bonne première impression. C'est pour dire à quel point je suis sur le qui-vive, prêt à mettre une baffe à n'importe quelle partie de moi qui voudrait se faire remarquer. Je planque donc cette chemise éponge, et j'attends fébrilement dans le vestibule de monsieur Léonard. La porte s'ouvre, et je sais pas pourquoi je pense à ma mère, qui me disait toujours qu'il fallait que je passe un bac scientifique et que ça m'ouvrirait ensuite toutes les portes. Comme de juste, personne n'a cru bon de m'informer de ce que j'allais trouver derrière ces portes, et quoi faire ensuite. Ce n'est pas très grave, je t'aime quand même maman, même si quitte à devoir ouvrir des portes, tu aurais mieux fait de m'encourager à devenir serrurier, ou même cambrioleur. Je n'ai pas le temps de développer ma pensée qui s'égare sur le côté, car Monsieur Léonard s'introduit, avant de me demander à mon tour de m'introduire dans son bureau. Il ne me laisse pas vraiment le loisir de m'attarder sur la déco. Il me dit franco :

-          Bon monsieur Fabar je vais être direct avec vous parce que notre temps est précieux

Bien que l'envie me taraude de lui exposer mes considérations personnelles sur le temps, que je trouve surtout précieux pour ceux qui cherchent à l'exploiter, et c'est loin d'être mon cas, je me retiens néanmoins, car j'ai peur que tout parte à vau-l'eau. Au passage, et après j'arrête de vous interrompre, moi aussi j'aimerais bien y aller plus tard à vau-l'eau, car si tout le monde y va, c'est que ça doit pas être si mal. Et de vous à moi, n'importe où vaut mieux qu'ici, et penser à plus tard me permet d'affronter ce maintenant qui sent le tabac électronique rhum vanille. Toujours est-il que je finis par lui répondre

-       Oui comme on dit trivialement le temps c'est de l'argent
-      Je vois que je vous connaissez vos dictons, Monsieur Fabar, c'est appréciable, mais assez bavardé dites-moi, est-ce que vous aimez la musique ?

Je reste interdit pendant une seconde qui dure des heures. Il faut dire que je ne m'attendais pas à cette entame.

-    Ça dépend laquelle ?
-    Celle qui se joue dans les festivals de musique électro, rock, métal, reggae... la musique qui fait bouger les têtes en fait

« Bzz bzz » vous avez reçu un nouveau SMS de votre paranoïa. C'est avec l'impression d'être sur le point de me faire arracher la cheville par un piège à loup que je lui réponds, qu'en effet, j'apprécie ces moments fédérateurs, où le collectif prime sur l'individualité.

-   Dites-moi monsieur Fabar, vous aimez les films de gangster à l'italienne ?

Sur la défensive quant aux réponses à donner aux questions de Monsieur Léonard, je m'apprête à botter en touche lorsque je m'aperçois que c'était juste une question rhétorique, et je garde donc le silence puisque j'ai le choix :

-   Et bien, si je n'avais pas grandi dans la banlieue de Mulhouse mais que j'avais vu le jour à Corleone, j'aurais froncé le menton comme ça, et je vous aurais dit avec ton gominé : « je vais vous faire une proposition que vous ne pourrez pas refuser »

La panique revient s'inviter à la table des négociations.

-     Mais venons en au fait. Burning Man, Coachella, Hellfest, Fusion, Glastonbury et j'en passe et des meilleurs, je parie que vous les connaissez bien ces festivals mythiques, hein Monsieur Fabar ? Et bien figurez-vous que ces carnavals à ciel ouvert vous tendent les bras, car voilà, nous aimerions que vous les écumiez pour nous cet été. Et pourquoi me direz-vous, et vous auriez raison d'attendre fiévreusement ma réponse, et bien, tout simplement parce que nous pensons que vous êtes le candidat idéal pour tester notre dernière invention, celle qui va révolutionner l'univers la drogue, j'ai nommé le Narcotracker. Ce détecteur à double technologies est doté d'un capteur qui permet de localiser la drogue, et d'un autre qui permet d'en connaitre la composition. Vous voyez le tableau ? Côté répression, les polices du monde entier vont se battre pour acheter le Narcotracker, et côté prévention, nous allons aider les consommateurs à mieux consommer. Fini l'overdose à cause d'une substance dangereuse, fini les produits calamiteux achetés à prix d'or. Avec le Narcotracker, vous saurez exactement ce que vous achetez !

Je me mords très fort l'intérieur des joues pour m'assurer que la réalité est bien la réalité. Ça fait mal. Je suis donc bien en plein cauchemar tandis que Monsieur Léonard continue de plus belle sur le Narcotracker. Moi, j'ai toutes les peines du monde à formuler les deux questions qui m'ont assailli, en même temps que le doute sur la réalité de cette discussion : pourquoi tester cet appareil dans les festivals et pourquoi moi ?

-  Ah Monsieur Fabar, je vois que vous êtes aussi perspicace que les chiens policiers que nous allons bientôt mettre à la retraite, eux et leurs vieilles truffes ringardes. Pour faire simple, nous voulons tester le Narcotracker dans des conditions réelles et extrêmes. Et nous pensons, qu'il n'y a pas de meilleur endroit sur Terre qu'un bon vieux festival de musique jeune pour concentrer un maximum de produits stupéfiants différents au même endroit. Et nous voulons que le flair du Narcotracker devienne infaillible, et bim dans la foulée, nous lancerons l'application mobile capable de reconnaitre et de tester tous les produits du marché, y compris les dernières drogues de synthèse achetées sur le deep web : NRJ2, NRJ3, 4-MEC, MDPV, Legal speed, DMC, MDAT, etc. Bref, aucune substance stimulante ou hallucinogène n'échappera à l'efficacité du Narcotracker. Et il va s'en dire que l'application sera gratuite, il suffira de s'inscrire et de fournir quelques renseignements. Et c'est là que ça devient intéressant, car outre la masse de données colossale qui sera récoltée par les consommateurs eux-mêmes, et transmis directement à notre data center au Danemark, imaginez le fichier client astronomique à qui nous pourrons proposer nos antidotes. Du pain béni, je vous dis.
-     Au Dan.. Dan… Danemark ?
-   Ah oui c'est vrai j'ai presque oublié de répondre à votre deuxième question, c'est comme ça que nous vous avons sélectionné, grâce à la demande de traitement que vous avez déposée auprès de notre laboratoire danois. Toxicomane, mélomane, chômeur en fin de droit, vous aviez toutes les qualités requises pour le poste.

J'ai le vertige tout à coup, j'ai l'impression que Monsieur Léonard vient de m'aspirer à l'intérieur de la cigarette électronique qu'il secoue devant moi avec frénésie, et je m'accroche à l'espoir qu'il va bientôt me recracher :

-          Il va s'en dire que nous allons vous demander la plus grande discrétion, car c'est un avantage concurrentielle considérable que nous avons là, nous ne souhaitons en aucune manière que cela s'ébruite. En contrepartie de votre engagement total, vous serez très généreusement rétribué. Et je ne vous parle pas des avantages en nature, ces festivals dont vous avez toujours rêvé, Vinci vous y emmène, et en classe affaire, vous serez nourri, logé et surtout blanchi. Alors Monsieur Fabar, qu'en dites-vous, stupéfiant n'est-ce pas ? S'envoyer en l'air avant de se retrouver six pieds sous terre, n'est-ce pas là tout ce qui compte ?

Le sol, le plafond, les fenêtres, les murs, les portes, ma lucidité, tout se dérobe sous mes pieds. Mon vertige est devenu tournis et mon tournis se transforme en convulsions.

-          Ça ne va pas monsieur Fabar ? Attendez, respirez ça va aller, je vais vous faire apporter de l'eau et votre contrat. Je comprends votre émotion, vous trouvez que c'est trop beau pour être vrai, hein ? Attendez, attendez, non je vais faire mieux, laissez-moi vous offrir notre dernière création, une petite gélule de lumière blanche. Dans cinq minutes, vous serez sorti complètement sorti du brouillard, et vous la verrez, la lumière blanche, celle qui est au bout du tunnel. Une nouvelle vie commence pour vous mon cher Fabar.

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