COQUILLAGE

la-belette

C’est un mardi, j’enfile mes chaussures de marche. Ça y est, j'y suis.

« Les enfants. Maman s’en va. Je dois faire un break. Je me suis arrangée avec mamie. Vous donnerai de mes nouvelles. N’oubliez pas le poulet dans le four ». Epinglé sur le frigo, entre la photo de Tatou le chat et le menu du 12 au 22 avril de la cantine Sainte Maxime.

C’est fait, à moi les Chemins de Saint Jacques, à moi les coquillages. Pas ceux de la plage de Pattaya, mais des coquilles Saint Jacques qui ornent le sac à dos des pèlerins. Trois ans que ma voisine d’atelier me rabâche les oreilles avec ses longs kilomètres dans l’Aubrac à observer les vaches et les tournesols qui ont un « air si humain ». Ce sont les seules photos qu’elle a prises, des plantes et des animaux, bonjour la soirée diapos. « La psychologie des tournesols » me dit-elle, c’est plutôt un petit pois, qu’elle a dans la tête. Mais c’est vrai, j’avais beau rire au début, l’envie de cheminer sans voiture et par mes propres moyens a fait son chemin dans ma tête. Tout doucement.

La voiture, cela fait 30 ans que je la prends, Méricourt Wattrelos, co-voiturage, 30 ans que je me trimbale avec mes collègues pour aller au boulot. Alors, vous savez… Ce boulot : une usine de confection. Ambiance familiale au début quand j’étais jeune, ça rigolait de la grand-mère à la tata et puis maintenant rachetée par un fonds de pension américain comme on dit.

Donc forcément avec cette vie, je me suis laissée bercer par les récits de Marie et ses vaches. Elle avait l’air tellement exalté à chaque retour de marche, elle était intarissable, les paysages, les étapes, les rencontres, les anecdotes. Un jour elle m’a dit : « la marche, c’est comme un film au ralenti alors forcément tu as le temps de regarder le décor. S’extasier sur le jaune des tournesols, le vert cru des feuilles, le noir des mures et le rouge des coquelicots ». Les couleurs, c’est mon dada. C’est comme ça que je suis rentrée dans cette entreprise, je voulais être coloriste. Depuis ce n’est pas exactement cela mais j’aime toujours toucher les étoffes et admirer leurs couleurs. De toute façon, c’est fini, nouveau départ à 47 ans, l’usine vient de fermer. Et oui, délocalisée en Chine.

Comme j’avais peur de partir seule, j’ai pris un tour opérateur avec un guide. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas marché toute seule. Est-ce que je sais encore ? C’est la première fois que je fais cela. Normalement je suis plutôt camping. Avec les enfants, c’est plus facile. Mais je me suis lancée, je viens d’acheter mon billet sur internet. Sur ce site, il y avait tous les treks possibles en promo : faire la Muraille de Chine, le Mexique, le toit du monde. Mais moi, je veux rester en France, découvrir mon pays avant que je ne sois trop vieille. Les Chinois, cela sera pour la prochaine fois, ce n’est pas que je leur en veuille mais forcément avec la délocalisation, je vais attendre un peu.

Rendez-vous : Gare de Lyon sous l’horloge pour le Puy en Velay, départ en bus à 12h30. Transport en car, hébergement et repas tout compris, huit heures de marche par jours, 565 euros. Je suis en retard, le train en a pris. La faute à un engin sur la voie, vite, il faut me dépêcher, j’ai revu le trajet de métro dans le train. De gare du Nord à celle de Lyon, un changement, huit arrêts. J’espère que je vais faire des rencontres. Arrivée à Paris, je prends le métro et arrive à la gare. Sous mes yeux un car Savac rempli de Chinois attend en double file. Pas possible que cela soit pour moi. Le guide est là, il appelle les derniers convives :

-       Compostelle ?  répète-t-il. Je m’approche.

-       Madame Garreau ? dit il timidement.

-       Oui, c’est moi. 

-       On vous attendait.  Par contre, je vous préviens, vous êtes la seule française. Cette année, les Chinois ont découvert les Chemins de Compostelle et en raffolent. Le bouche à oreille est considérable. Il va falloir que je traduise tout en mandarin.

Je prends ma mandarine coincée au fond de mon sac, m’installe au fond du car.

Départ.

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