Couleurs éphémères

tetedelitote

Elle travaille dans une banque. Il est serveur dans un café. Elle rentre du travail à dix-sept heures. Il est adossé nonchalamment à un lampadaire. Leurs regards se croisent. Il la suit jusqu'à son appartement et attend sous la fenêtre de sa chambre. Elle le remarque, L'invite à monter prendre un café. Ici commence leur histoire.

Ils sont inséparables. Partout où on la voit, il n'est pas loin derrière. Cela devient même dérangeant, les gens les dévisagent dans la rue. Il met ses pas dans les siens, jusqu’à la banque le matin et l’y attend encore à la fin de la journée. Elle aime terriblement ça; elle qui n'a jamais été très appréciée des autres. Elle est ravie d'avoir enfin trouvé un ami, un amant. Elle vibre au rythme de l'amour, elle trouve que ça apporte un peu de couleur au milieu de son environnement gris. Il faut dire qu'à Paris à cette époque de l'année, le soleil est timide.

Il est heureux d'avoir croisé son chemin. Lui non plus n'a pas beaucoup connu l'amour. A vrai dire, c'est la première fois. Et ce n'est pas chose facile. La mère de sa fiancée n'a pas l'air de l'apprécier beaucoup, elle le met à la porte chaque fois qu'elle le voit. Alors il se détache. Il continue à la suivre mais il ne se laisse pas attraper. Il tient beaucoup à sa liberté.

Aujourd'hui, ils se promènent devant l'ancienne école. Ils aperçoivent un groupe de jeunes filles. Elle n'aime pas beaucoup les regards que ces demoiselles portent à son ami. Ce sont des regards pleins d'envie. Il remarque les jeunes filles mais n'y prête pas attention. C'est elle qu'il aime, et toutes les jeunes filles du monde ne pourront la remplacer.

Cependant, il continue à se détacher d'elle. il rencontre de nouvelles personnes, il commence à rester avec les jeunes filles de l'école. Elle ne se pose pas de questions car elle sait qu'il va revenir et qu'il tient à elle, elle lui fait confiance. De toute façon, il n'arrête pas de la rassurer, il lui dit que ces filles n'ont pas d'importance pour lui, et qu'il ne cherche qu'à se faire de nouveaux amis, rien de plus.

Ils commencent à se disputer. Elle lui reproche de passer moins de temps avec elle, il ne comprend pas sa réaction. Il finit par claquer la porte et s'en aller. Elle pleure, elle ne sais pas quand il reviendra, Elle passe la soirée entière à l'attendre, en vain. Lorsqu'il rentre, elle est déjà endormie. Son maquillage a coulé, il s'en rend compte et s'en veut de lui avoir fait de la peine. Il se dit qu'il ferait mieux d'aller dormir chez lui ce soir, ça ira mieux demain.

Elle se réveille, espérant le trouver à ses cotés, mais il n'est toujours pas là. Elle décide d'aller faire un tour dans le quartier, peut-être le croisera-t-elle... Elle enfile son joli ciré rouge et ferme la porte à double tour. Elle passe devant le café où il travaille, dans la rue de Ménilmontant, mais il n'est pas là. Elle va voir chez lui, mais personne ne répond. Elle continue même jusqu'à la vieille école, en se disant qu'il serait peut-être avec ses nouvelles amies. Mais il n'y est pas. Elle décide de rentrer chez elle et de lui téléphoner. C'est au coin d'une rue sombre qu'elle l'aperçoit. Lui, l'homme de sa vie, celui qu'elle aime de tout son cœur, est là. Il est de dos, un peu courbé, il a l'air de chercher quelque chose. Elle s'approche discrètement. Il l'entend et se retourne. Sur son visage elle peut lire un mélange de surprise, de peur et de culpabilité. En regardant derrière lui, elle comprend. Une femme, avec une jolie robe bleu roi, de longs cheveux blonds, des lèvres roses et de grands yeux verts.

Elle se met à courir, elle n'a jamais couru si vite. Sa seule envie est d'effacer cette image de sa tête et de tout oublier. Non, c'est impossible, elle rêve, cela n'est jamais arrivé, il n'aurait jamais fait ça, il l'aime... Elle court tellement vite qu'elle ne voit pas le camion qui arrive droit sur elle. Elle sent une douleur fulgurante traverser son corps. Les passants ne voient qu'une boule rouge monter dans les airs. Puis, plus rien.

Son père lui a toujours dit : « L'amour, c'est comme un ballon, c'est joli, plein de couleurs, et au fil du temps ça finit par exploser. » Elle sait aujourd'hui qu'elle aurait du l'écouter.

Signaler ce texte