Cour d'Assises

Apolline Mariotte

Quand j’étais petite, je voulais être juge d’instruction. À la maison, nous n’avions pas de télévision, alors je passais le plus clair de mon temps à plat ventre en travers de mon lit bateau, mon nounours Réglisse-Menthe – un panda – installé à côté de moi entre les bois et l’oreiller, à dévorer tout Agatha Christie et le Club des Cinq.

Comme Poirot, je voulais mener des enquêtes, examiner une poussière à la loupe, un ongle au microscope, toucher la peau froide et cireuse d’un noyé, sentir l’odeur de fer qui émane du sang d’une plaie par balle béante, éplucher l’agenda d’un suspect, passer au crible la rubrique nécrologique, exhumer à la nuit tombée un cercueil d’un caveau envahi par la mousse le long du boulevard Ménilmontant.

J’avais même appris dans mes lectures que l’on peut déterminer l’heure de la mort d’une victime en étudiant les larves des mouches-charognards trouvées sur un macchabée en putréfaction. Et puis il y a l’autopsie. Cette charcutaille qui fait exploser la vérité comme on lit dans le marc de café. Dissection des viscères, scalp de la boîte crânienne à la scie circulaire, incision du thorax, prélèvement des organes pour les contraindre à livrer leurs secrets.

Je me lançais alors à la poursuite de crapules aux patronymes ubuesques connus comme ceux des meneuses de revues des cabarets feutrés de Montmartre. Hector Sapajou le détrousseur d’aveugles, opiomane sous Subutex, et Hippolyte Aigrefin le dévoreur d’enfants, schizophrène protéiforme, faisaient les choux gras de la chronique judiciaire.

Alors un jour, maman m’a emmenée au Palais.

En sortant du métro, nous nous attardâmes quai de la Mégisserie, entre le Pont Neuf et le Pont au Change, observant les éventaires des fleuristes et des grainetiers. Puis nous bifurquâmes et traversâmes la Seine pour monter les marches du 4 boulevard du Palais.

Quelques minutes et longs couloirs plus tard, assises entre un élève avocat venu observer la rhétorique de la plaidoirie et un passionné d’enquêtes criminelles, nous assistâmes à une audience publique. Ce que nous allions voir au palmarès des mis en examen allait être terriblement décevant.

Point d’empoisonnement à la strychnine ou de meurtre brillant façon Dix petits nègres. Point d’intoxication barbiturique ni de strangulation façon Le train bleu.

Juste un triple meurtre par dix-neuf coups de couteau.

apollinemariotte.wordpress.com

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