Croisons les doigts
Brigitte Delaperelle
Ce bus parisien dessert aussi une partie du neuf-trois. La population n’y est pas la même côté Louvre que côté Galliéni. Ce jour-là, côté banlieue, les gens étaient plutôt calmes. Accompagnée de mon caddie, j’allais à la médiathèque toute proche faire mes provisions de lecture. Je me faisais une joie de ces heures à chercher, piocher sur les étagères, parcourir des pages et des pages d’histoires passionnantes. Enfin, après bien des hésitations, faire le choix décisif et rentrer chez moi lourde de mon trésor.
Les gens refluent lentement vers la sortie. Une jeune femme derrière moi, certainement très pressée, essaie de se faufiler entre la barre verticale de maintien et moi. Joueuse, je la serre mais elle réussit à passer en me poussant légèrement. Taquine, je lui marche sur le pied. Elle recule donc, furieuse. A la porte, je suis dehors et elle sur le palier, me surplombant. Sa jolie peau chocolat a viré au noir sous le coup de l’exaspération. Madame n’est pas bonne perdante. Elle me lance des noms d’oiseau ; que c’est pas possible ces gens qui croient tout se permettre. Ses jambes sont à hauteur de mon visage et je me méfie, prête à parer un coup de genou mais le danger vient de la main qui amorce une gifle. Je l’agrippe , nos doigts s’entrecroisent et restent soudés par sa violence et ma peur, crochetés, verrouillés. Tenace, je résiste, elle aussi. Aucune des deux ne peut lâcher au risque de se faire casser une phalange. Le temps s’étire sur quelques secondes qui me paraissent une éternité.
Deux hommes nous séparent de mots apaisants. L’un part avec l’une, l’autre reste à mes côtés puis me quitte, rassuré que je ne reparte pas à l’assaut de la folle dans un élan d’hystérie.
Mon caddie et moi, sous le coup de l’émotion, avons finalement pris le métro. Il y a plein de boutiques à Saint Lazare, de quoi retrouver un moral en berne et se consoler d’un index qui enfle.
La première fois que j'ai fait mes courses à Paris, j'ai eu l'impression que les gens jouaient aux courses de "tamponnage"...
· Il y a environ 11 ans ·ahqepha
C'est drôle ce besoin d'aller plus vite que les autres, les dépasser, c'est encore pire en voiture, ce doit être le siècle qui veut ça, aller vite, de plus en plus vite, mais vers quoi???
· Il y a environ 11 ans ·yoda
yoda et ahq : Vos deux réflexions me semblent complémentaires. Aller vite en écrasant l'autre, en le tamponnant, comme s'il n'existait pas. Quant à la question, pourquoi? Je ne sais pas. Le Paris peuplé devient frénétique... Heureusement, Paris est plein de quartiers où il fait bon vivre, comme partout ailleurs.
· Il y a environ 11 ans ·Brigitte Delaperelle