Croissant

Elsa dévorait au petit déjeuner. La nuit lui laissait un grand creux à

l'estomac. Qui la réveillait. Alors, l'odeur du café venait lui toucher ses

narines. Elle ne l'avait pas encore fait. Pas encore bu. Mais déjà le désir

lui laissait entrevoir le plaisir. Le plaisir et la nécessité de se nourrir. Le

matin, elle déjeunait sur un plateau aux fleurs bleues, avec sa grande tasse

jaune pour le café, moitié café, moitié lait. Elle avait ses deux croissants

qu'elle était descendue acheter à la boulangerie d'en face, et qu'elle s'était

obligée à ne pas goûter avant.

Maintenant, elle était assise à sa table, et elle dévorait – elle sentait son

ventre se détendre, sa poitrine se gonfler quand le liquide traversait sa

gorge après s'être nichée dans son palais. Le croissant émiettait tout

autour d'elle, elle l'avait mordu en plein coeur. Son festin était solitaire.

Elle se levait trop tôt pour que son mari le partage. Il dormait encore,

niché dans sa couette blanche, avec les pieds qui dépassaient.

Elle avait quitté le sommeil depuis une heure. Un sommeil filtré au

temestat, pour oublier ces rêves douloureux où la mémoire se rebelle.

Trop de souffrance restait cachée, inconsciente. Et elle avait choisi de lui

dire non. Non, tous les jours. Non, la nuit. Elle se sentait plus douée

pour le plaisir, pour les plaisirs simples, gustatifs, puérils et frivoles.