Cruel quotidien de l'écrivain génial mais ignoré

Cathy Galliègue

Tout d'abord, quand on se lève un matin avec cette révélation qui nous transporte illico en état de lévitation, quand on accepte finalement de se rendre à l'évidence, de capituler devant ce talent incroyable qui cogne à la porte de notre cerveau bouillonnant, quand du jour au lendemain l'avenir s'illumine « bon sang, mais bien sûr! je suis écrivain, je ne peux pas priver plus longtemps les millions de lecteurs qui attendent, regards gourmands et bave aux lèvres, que je leur livre enfin le jus de mon crâne génial! allez hop, on rigole plus, j'arrive, ça va causer! », une fois donc, disais-je que le processus s'est mis en branle, préparez votre armoire à pharmacie et remplissez votre bar. Vous allez devenir, si vous ne l'êtes déjà, dépressif. Faut le savoir, c'est pas si grave, en plus on le sait, on écrit bien que torturé. Et de la torture, vous allez vous en infliger, c'est moi qui vous le dis.

L'inspiration: imaginons pour faire simple que vous avez votre sujet, l'histoire, les personnages, tout. Reste plus qu'à écrire tout ça. Bizarre mais ça sonne pas d'emblée comme les belles phrases qui se télescopent dans votre tête quand vous essayez en vain de trouver le sommeil. Dans ces moments là, vous vous surprenez vous-même. Mais dans le noir, sans carnet ni ordi à portée de main, avec votre moitié qui ronronne à côté et que vous ne voulez pas déranger (même si tout le monde sait que vivre avec un artiste demande une bonne dose de compassion, on le vaut bien!), vous finissez par vous endormir, persuadé que demain dès l'aube, à l'heure où blanchi la campagne… mon cul! Demain, tout aura disparu et vous vous retrouverez en tête à tête avec le curseur qui clignote sur votre page word toute blanche.

L'écriture: c'est parti. Cette fois, vous le sentez bien. Ca coule, ça vient tout seul, c'est magnifique. Vous enfilez les chapitres, vous souriez de bien être devant votre dextérité littéraire, vous vous relevez la nuit pour ne plus perdre aucune tournure, aucune idée, vous notez tout, tout le temps, vous oubliez de bouffer, de vous habiller, vous faites chier la terre entière, ou en tout cas tous vos proches et leur imposez la lecture de vos meilleurs passages. Bien sûr et avec tout leur discernement devant vos cernes violets et votre teint cireux, ils trouvent tout cela superbe. Gonflé à bloc par tant d'encouragements, vous continuez, des nuits, des jours, des semaines, des mois. Plus rien ne compte plus que votre oeuvre. Le jour béni du dernier mot arrive enfin. Relu, corrigé, re-relu et re-recorrigé. Parfait. On envoie!

Les réponses des Dieux de St Germain: longue attente, on le sait, on s'y est préparé. On a bien lu sur les sites des éditeurs: entre un et quatre mois d'attente. Pour tuer le temps et bien trouer le cul à tous ceux qui vont vous vouloir, vous vous jetez dans l'écriture de votre deuxième chef-d'oeuvre. Vous allez leur en donner de la matière, tiens! Et les premières réponses arrivent. Lentement. Et c'est là que vous devez impérativement avoir du Prozac en stock et surtout un bon psy à qui vous allez lâcher des sommes considérables pour qu'il vous conforte dans votre obstination.

Parce que vous allez recevoir à peu près de tout et vous allez surtout essayer de décrypter le message subliminal qui se cache derrière chaque refus. Manuscrit retourné par une prestigieuse maison (alors que vous n'aviez pas joint d'enveloppe timbrée mmmhhh ç'est classe ça), accompagné d'une carte écrite à la main de l'éditrice avec ses coordonnées à elle (encore un signe).

« Madame, Votre manuscrit a été lu avec attention. Hélas, il n'a pas convaincu le Comité de lecture. JE LE REGRETTE. Cordialement. »

Et c'est sur ce « je le regrette » que vous allez tourner en boucle pendant des semaines. « Je le regrette »…on est bien d'accord que ça veut dire qu'elle, cette femme incroyablement délicate, elle le voulait mon bouquin, mais que d'autres abrutis du Comité n'ont rien compris. On est d'accord, non? Ben oui, c'est sûr…Epuisés, vos proches vous confortent et vous réconfortent, mais avec eux, ça coûte rien, ça les vide…simplement.

Autre grande maison:

« Madame, Nous avons bien reçu votre manuscrit et vous remercions d'avoir pensé aux Editions Tartenpion. Malheureusement, votre texte, en dépit de sa qualité, ne correspond pas à la ligne éditoriale actuelle de notre maison; nous sommes donc au regret de ne pouvoir en envisager la publication. En espérant qu'un autre éditeur pourra accueillir votre travail….bla bla bla… » Très très bon, tout ça! C'est non, certes, mais quand même « en dépit de sa qualité ».

Donc, à ce stade ça sent bon. Et il reste encore 18 réponses à recevoir.

Et il y aura LA réponse assassine. Celle qui va tout faire basculer. Celle qui vous fera pouffer de rire avec vos potes tant vous la trouverez infondée, haineuse, incompréhensible. Celle-là aussi sera écrite à la main, pour bien vous montrer à quel point son auteur a pris son temps pour que vous compreniez enfin que vous êtes une sous merde.

« Madame, Votre roman cumule plusieurs défauts assez criants. Le style est maladroit, alternant entre emphase, banalités et familiarités, il manque complètement d'unité. L'héroïne n'est pas très attachante et ce dès le début. Elle se lamente sur ses tracas la plupart du temps, se ravisant parfois le temps d'un « j'étais arrivée (…) à me hisser en tête des blogueuses influentes. » Ce récit de ses aventures avec Tom et d'autres hommes est donc difficile à lire, tant ces personnages manquent de caractère et de vraisemblance. »

Et là, vous n'aurez plus du tout envie de rire. Vous allez la relire, encore et encore, chercher la tronche de cette connasse au service des manuscrits sur Facebook (sûr que c'est une mal baisée!) lui répondre et puis non, l'ignorer, et puis si mais alors au second degré, et vous prendre une bonne cuite pour oublier que vous n'êtes pas et ne serez certainement jamais écrivain.

Toujours envie? Toujours en vie?

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