CURIEUSE
Laure Milovidoff
Jai passé ma vie à essayer de dépasser mon instinct profond et quasi maladif de la curiosité qui prenait sur moi l'aspect peu reluisant du soupçon, de l'investigation la plus salace, inspiré sans doute par l'envie de contrôler, l'ensemble camouflé sous un besoin de savoir qui me prenait aux tripes. Une bien peu savoureuse salade de saison. Peu importe ce qu'il fallait savoir. Je cherchais. Des choses probables, improbables, inventées, ou réelles.
J'ai commencé petite, à cause du Père Noel. J'ai toujours trouvé extrêmement curieuse l'existence de ce barbu énorme et assez moche, il faut bien le dire, qui transportait, soi-disant, jusqu'aux confins de ma maison africaine, toutes sortes de cadeaux adaptés, comme par hasard, à chaque enfant de la famille. Quel judicieux et visionnaire trublion que ce Santa Klaus ! Alors, dès que j'ai su marcher et grimper sur les meubles, j'ai démonté les armoires jusqu'à découvrir l'ignominie, même pas malheureuse d'avoir été grugée. Comme si d'emblée, je m'interdisais le petit monde magique des contes de fées, fermant la porte à quelques illusions, m'estimant à peine flouée d'avoir été trahie. Possédais-je déjà une bien haute ou bien mauvaise estime de moi-même pour soupçonner les adultes des pires maux et turpitudes à mon égard ?
Amoureuse, j'ai continué quelques années plus tard sur ma lancée. Perpétrant des actes peu glorieux pour débusquer et traquer l'ennemie, reniflant, fouillant, bout de tissu, sièges de voiture, morceaux de peau, afin d'y découvrir la senteur de la trahison, le cheveu de trop, la griffure qui arrache le cœur. J'ai bien été servie. Ma vie de curieuse battait son plein entrecoupée de sanglots, de crises et de larmes au cours desquelles il m'était impossible d'avouer les vilainies auxquelles je me prêtais pour trouver des « preuves ». A cette époque je pense avoir définitivement raté ma vocation de petit flic. Les années passant j'ai continué de mettre le nez , dans les sacs de mes enfants, les malles du grenier, les outils de mon père, la coiffeuse de ma sœur, la cuisine de ma tante. J'y trouvais des ersatz de trésors parfois et quelques infos peu intéressantes, mais rien ne me satisfaisait vraiment. Un peu comme si ma furieuse manie s'épuisait toute seule. J'étais presque découragée.
Pourtant un jour, il y eut une voix d'homme, inconnue, sur la messagerie de ma mère mourante. Il a pleuré lorsque je l'ai appelé pour lui dire que c'était la fin et que je me suis présentée. Il a répété mon nom, dans un sanglot, et puis ce mot, « fille », qui bourdonnait dans ma tête. Il a dit un truc comme « depuis le temps »…
Voilà comment à 50 ans j'ai cessé d'être curieuse.
Belle histoire émouvante de curieuse! J'ai eu aussi ce grand souci du père Noël, passant par la cheminée!!! Pas possible!!! kiss
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
merci!! je viendrais aussi vous lire dès que possible!
· Il y a plus de 10 ans ·Laure Milovidoff