Curieuse curiosité

jeanne-suzanne

La vie de Chloé atteinte de la maladie de la curiosité

« Les livres sont des cailloux semés sur les chemins de la curiosité. Un livre vous trace un chemin vers un autre livre. Certains livres offrent la difficulté d'être des livres – carrefours, plusieurs chemins s'offrent à nous. Comment choisir ? Quel panneau suivre ? Seul votre désir de connaître peut vous fournir la réponse. Assouvir sa curiosité, c'est aussi renoncer à assouvir toute sa curiosité. » explique Chloé à la conférence mondiale sur la curiosité.

Chloé est malade, elle souffre de curiosité aiguë. Cela commença dès trois ans. Elle s'interrogeait sur tout Une réponse amenait une nouvelle question. Ses parents crurent que cela allait se calmer mais cela empira avec son entrée à l'école. Elle fatigua tous ses professeurs. Elle ne cherchait pas à mettre les adultes en difficulté, elle voulait juste savoir. Un jour, on lui dit qu'elle était trop curieuse. Drôle de nom. « C'est parce que je ris beaucoup ? » demanda-t-elle tout en pensant que « cu » était un mot grossier. On lui expliqua. « Curieuse » en un seul mot : personne qui veut toujours tout savoir. Puis, on lui dit que c'était un vilain défaut. Alors, elle se tut et cessa de poser des questions aux adultes car elle ne voulait pas être vilaine.

Toutefois, les questions continuaient de pousser dans sa tête. Elle craignait que tous ces arbres de questions lui déforment le crâne. Pour s'alléger, elle nota ses questions sur des cahiers. Une question en appelait une autre et ainsi de suite jusqu'à créer des pages de questions avec des flèches entre elle. C'était ses chemins de la curiosité comme elle les appellera plus tard.

Puis, elle grandit. Elle découvrit dans un livre qu'il existait des cabinets de curiosités. « On peut toucher la curiosité ? C'est un objet concret ? » osa-t-elle demander à son professeur de lettres. Quelle ne fut sa déception lorsqu'elle comprit que ces curiosités étaient en fait des objets rares, voire uniques. La curiosité ne se saisit pas, elle se poursuit vainement.

Ses premières années d'étude, elle les passa à écumer les livres et à noter sur les murs de son appartement, ces chemins de cailloux curieux. Ainsi, le caillou Les Misérables appelait les cailloux « misère ouvrière », « prostitution », « police » ou encore « biographie d'Hugo », depuis ce dernier caillou, on pouvait aller vers « homme politique », « écrivain », « œuvres »... et même « lieux où a vécu Victor Hugo ». Les murs se noircissaient de cailloux et Chloé fut finalement internée pour une crise aiguë de curiosité. La désintoxication fut longue et difficile. Il fallut lui apprendre à ne pas s'interroger, à ne pas désirer pousser les limites de la connaissance.

Je ne sais pas si on peut dire qu'elle est complètement guérie aujourd'hui. Chloé est professeur de curiosités. Elle ne cherche plus de réponses, elle pose des questions à des artistes en mal d'inspiration, des chercheurs en panne, des étudiants sans sujets de thèse.

Elle est l'ultime Curiosité à voir.

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