Loin du village

Vincent Vigneron

Fort heureusement c'était il y a fort longtemps. Dans le ciel de Sibérie une comète laboura les derniers nuages du couchant et sur les toits les charpentiers, occupés à abriter le savoir de demain et d'aujourd'hui, à calfeutrer écoles, bibliothèques et dispensaires, tombaient les uns après les autres en voulant suivre des yeux sa course tonitruante.

Un homme, dont l'histoire a oublié le nom, rangeait ses outils sous l'auvent car il avait fini sa journée. Il la vit aller mourir comme un récif au-delà de toute chose, s'écraser bien plus loin que la portée du regard et illuminer la forêt. Dans la nuit il voulut partir car il voulut savoir. Sa famille l'en dissuada (bouches à nourrir, danger, samovar qui brûle, mauvais augure). Il roula pendant deux jours deux nuits, harassant les chevaux de sa charrette et atteignit le site, bordé d'arbres en accordéons, de terres recuites infiniment. Le choc avait plié toutes choses comme un origami sur le sol gelé. Il chercha partout et trouva la seule pierre différente des autres, une sorte de grenat qui pesait le poids d'un agneau. De retour chez lui il vit s'épanouir sous la couverture qui recouvrait la pierre de jeunes pousses vigoureuses. Il fit un trou dans la terre et immergea la roche étincelante sous sa pelle. Quelques semaines plus tard il ramassa la plus belle récolte de sa vie. Ses voisins, jaloux de ses pommes de terre, disqualifiant les leurs de trois jauges, allèrent pleurer devant le juge (il avorte des mères, il parle dans des langues bizarres, il vole des bœufs). On le jeta dans un cachot noir, mais alors d'un noir total. Un ventre de baleine. Un sans espoir total dans un psaume. Comme il ne voyait pas sa main devant son visage il se mit chaque jour à faire courir sa main sur le braille humide des murs, à deviner chaque cloque sur la terre battue de sa geôle. Il lançait le ruban de cotonnade qui liait ses longs cheveux et passait les heures à tâtons. Il voulait s'occuper l'esprit. La fête de la saint Vassili n'était pas achevée (il entendait les marchands ambulants faire l'article à ses pieds) qu'il trouva une pièce, lourde comme un blini de seigle. Il la mordit et sut qu'elle était en or. Il acheta sa liberté. Les années qui lui restaient à vivre, loin de sa ferme, dans un exil inévitable, il les passa à comprendre, à chercher. Il devint un expert du ciel et de la terre, des cycles de la lune, des méthodes de fertilisation innovantes. Sa dernière née il l'appela Lyubopytsva ce qui pourrait se traduire à la louche par Curiosité. Un beau prénom pour une fille.

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