DAKOTA
Isabelle Revenu
Il est venu juste un instant admirer les jets d'eau du Jardin des Arènes. Il est arrivé pendant une éclaircie.
J'étais assis depuis peu de temps. Je promenais Borderline mon chien, la minute d'avant.
Ne me demandez pas si mon chien est de race ni de laquelle. Mon regard en point d'interrogation devrait vous suffire. Il a autant d'origines nobles que moi. C'est-à-dire néant. Rien. Zéro.
Mais Borderline et moi on s'en tape. C'est un chouette clébard et le plus beau à mon coeur. Et pour lui, tout con et de guingois que je sois je sais que je suis le plus beau à ses yeux de bâtard. Etre beau dans les yeux de quelqu'un, c'est ne pas vivre au hasard. C'est toujours avoir un endroit où reposer son âme. Où ressourcer ses espoirs sans cesse malmenés.
L'anachorète s'est assis sur le banc en face de nous. Et s'est mis à nous observer mon chien et moi.
P'tête que dans son bled il n'y a pas de chien. P'tête qu'il n'en n'a jamais vu.
Borderline non plus n'a sans doute jamais vu un client pareil....
Maigre comme un cent de semence. Une barbe qu'on dirait des arêtes de poisson piquées comme les clous de girofle dans une orange. Le regard franc qui vous perce à jour, sorte de lumignon à la recherche de votre moi profond. La peau dorée et redorée par le soleil et le sel marin. Une lunure sombre au milieu de l'aubier.
Un vieux Fusalp orange et noir.
Des santiags qui ont dû être marron.
Et un béret de fausse fourrure que n'aurait pas renié Leonid en son temps.
Pour un peu vu de loin il pouvait ressembler à un joueur de pelote basque. Le béret plaqué sur la tête telle une tantimolle de Nouzonville.
Il a sorti un paquet de gris et s'est roulé une cibiche du diamètre de mon majeur. En toussant et pleurant comme un damné à l'allumage.
Je vous fiche mon billet que s'il ne réduit pas sa dose, il est bon pour le cercueil dans un bref délai.
Foutre le feu à un tel calibre pff faut vraiment être givré si t'es pas entrainé. Vingt bons grammes de tabac fort forcément ça encrasse les éponges. Et après ? Et bien après faut se les décalaminer en pleurant de mal. Les bronchioles c'est pas des canalisations de PVC. La toux caverneuse c'est le remède emblématique et ponctuel des accros à la nicotine.
Borderline est allé en bon diplomate faire ami-ami avec le zigue. Mais au moment de poser sa truffe sur le cuir fatigué de ses pompes, le gars lui a décoché un méchant coup de pied.
Borderline est encore plus corniaud que moi. A la limite du trois-quarts sot.
Il a couiné et est revenu à la charge.
Le type a vu que le clebs voulait juste un câlin. Sans câlin mon chien ne vit pas. ll peut se passer de viande, de sucre mais pas de tendresse.
Moi je peux ....Suis un dur. Un vrai. Pas un mou de la gâchette.
Mais autant je peux me passer d'en recevoir, autant j'ai un besoin d'en donner. J'en ai toute une palette. Certains dont j'ai le secret.
Mon chien, acteur finaud et cabotin, sait attendrir le coeur des plus distants. Il a le chic pour tirer une tête longue d'une aune, dessiner ses yeux de chien en accents circonflexes tristounets et pépier tel un poussin paumé. Et avancer vers le morose la queue entre les jambes. Décidé à glaner une caresse amicale.
- Tu vois, je viens sans arme. Tu peux me faire confiance. Je viens faire un peu connaissance avec tes mains de déménageur.
Vazy, promène-les sur mon poil. Il est un peu rêche, j'en conviens mais le plus doux de moi est au fond de moi et je sais que tu vois tout avec tes yeux d'aigle....
Quand tu m'auras caressé assez longtemps, mon poil sera aussi agréable à toucher que la peau d'un bébé...
Ce fut une révélation pour ce type empreint de la rudesse de la vie.
Il avança une main qu'il posa sur le cou de mon chien. Puis l'autre. Les doigts allèrent au plus soyeux. Le derrière des oreilles. D'abord hésitant puis en confiance, il lui câlina la tête, ses grandes mains l'enveloppant toute entière.
- Salut le chien. Navré pour le coup de pied mon vieux. J'ai été mordu tant de fois lors de mes voyages. Mon nom est Dakota. Je vois que toi sur ton collier c'est Borderline. Tu as échappé à la destitution mon gars.Tu aurais pu t'appeler Asmodée. C'est le démon qui est supposé avoir séduit Eve...Tu n'es pas beau mais tu es séduisant. Tu m'as eu.
Pas beau mon Borderline ? Qu'il approche seulement ce grand couillon, il va ramasser un coup de pied au cul qui lui interdira de s'asseoir pendant quelque temps.
Il neige encore sur les bancs du Jardin des Arènes et mon coeur a fait repli au fond de moi. Mon chien me manque. Il est parti sur les routes de Mars avec le drôle de citoyen. Celui qui se nommait Dakota.
Va t'en savoir où ils sont. Ils se sont plus tout de suite. Il n'en fallait pas davantage pour que mon bon coeur bascule. Entre deux colères célestes. Entre deux chagrins de neige.
J'ai reniflé très fort. Et je suis rentré au chaud chez moi. Seul. Un sourire béat aux lèvres...
Con Sailor....vraiment con....Mais heureux.
Si vous croisez Dakota par hasard au détour des traboules de Périgueux, dites-lui que je ne regrette pas de lui avoir confié mon seul compagnon. Je suis mort de froid tout en haut d'une chambre insalubre. A mille milles de toute région habitée.
Seul. Comme un chien.
Mais en moins noble.
<3
· Il y a presque 13 ans ·Isabelle Revenu
Wahou... (bon, je sais, ça manque d'éloquence, mais moi, après avoir lu ça, j'ai l’impression que mes mots seraient maladroits...)
· Il y a presque 13 ans ·junon
moi aussi et parait que c'est pas simplissime à enlever et on ne sait pas non plus comment ça vient..La vérole non plus d'ailleurs
· Il y a presque 13 ans ·Isabelle Revenu
Il n'y a que toi Freddie pour écrire des textes d'une telle intelligence et sensibilité...♥♥♥
· Il y a presque 13 ans ·PS: en dépit du script à l'affichage qui me saoule... ;-)
Elsa Saint Hilaire