Dans le mauvais trou
evonlise
Ce dîner, je n'avais pas eu envie d'y aller. A aucun moment. Pas même quand j'ai accepté. J'ai dit oui parce que je ne sais pas dire non, et que cette femme, celle de l'atelier de peinture, était tellement enthousiaste. Moi, devant l'enthousiasme, je me rends, je me donne, je me soude.
Quelques heures avant le début des festivités, j'ai voulu annuler. Mastiquer de manière collective n'a jamais été un moteur pour moi. J'ai plaisir à bavarder, échanger mais se bourrer le four devant d'autres, ne plus porter d'attention à ce qu'on mange ou tout simplement au fait de manger, parce qu'on parle, me dérange. Le manque d'éducation dans la mastication n'aide pas.
Bref, il se trouve que je n'ai pas annulé. Que je me suis débarrassée de mon jean et t-shirt moulant pour aller à la douche. Sous la douche, ce que je lave en premier, ce sont mes seins. Ce que je ne frotte quasi jamais, par paresse, ce sont les pieds. Je préfère leur consacrer un bain rien que pour eux. Parfois, ça me plaît, l'exclusivité.
Alors j'ai appliqué le gel douche sur ma poitrine et par gestes circulaires, j'ai fait mousser. Mais je m'égare.
[Viens, lecteur, lectrice, avec moi, t'égarer autour de la cabine de douche. On va faire vite. Je sors de la cabine, tu me sèches la peau, je réclame des tapotis juste sous la poitrine et hop, me voilà sèche]
J'ai enfilé ma robe fourreau noire et des Converse : le trop sexy ne m'a jamais réussi.
[Lecteur, lectrice, imagine-moi devant le 62 rue La Boétie. Un quartier pompeux où rien ne se passe, où personne ne circule. C'est à cela qu'allait ressembler ma soirée ?]
En réponse à mon coup de sonnette, une voix d'homme dans l'interphone. J'ai senti un courant me parcourir. J'ai toujours été sensible aux voix extra-testostéronées. Mes Converse. Des secousses. La voix m'a dit "C'est au 3e". Je l'ai cru, alors je suis montée au 3e.
Porte entrouverte, je me suis glissée. J'ignore combien de personnes il y avait, je n'ai vu que LUI en faisant, d'un regard, le tour de la pièce. Une fulgurance. Evidence. Présence.
Devant l'auditoire, mon corps est devenu celui d'une petite fille. Intimidée, gauche, troublée. Je suis sûre d'avoir eu mon regard espiègle et ma bouche mutine.
Ma tête, elle, a essayé d'équilibrer. Elle a joué la carte de l'assurance, à saluer tout le monde aimablement, et celle de l'indifférence, le concernant.
Ma bise à son endroit - j'étais tout à l'envers - a été la plus méprisante qui soit. Avec mon regard de femme froide qui ne se trouble pas. Sauf que mon corps, lui, vibrait. Il n'a pas pu ne pas le sentir. J'ai vite éloigné mon buste du sien et je me suis déplacée. Vers les chips.
Avant de mordre dans l'un d'eux, je me suis mordue la lèvre. Entre gênée par mon trouble et, visiblement, émoustillée. Quand je me mords la lèvre, c'est que j'essaie d'exciter, cest inconscient mais depuis le temps, je l'ai analysé.
Le pétale de chips, lui, je l'ai glissé doucement dans ma bouche, avec le petit doigt un peu en l'air : la reine d'Angleterre...
S'il me regardait - j'étais de trois-quart sans pouvoir le voir -, c'est sûr, il appréciait.
A ce geste, il allait comprendre l'appel de mon corps. Du doigt au vagin, en passant par les seins, c'est tout mon corps qui hurlait. Mon envie de lui parler. La délicatesse des gestes laissant toutefois entrevoir la possibilité de la vulgarité. Imparable.
J'ai senti sa présence derrière moi, et j'ai reconnu la voix de l'interphone. Le cinquième chips que j'avalais est parti dans le mauvais trou. J'ai senti ma robe-fourreau le comprimer et j'ai eu le sentiment d'étouffer.
Ses mains, il les a bien mis sur ma poitrine, mais dans un geste de secours, en appuyant très fort. J'ai craché.
Je garde en mon thorax et dans mon souvenir quelque chose de très intense. Il n'a pas cherché à me revoir. S'il m'avait recherchée, invitée, j'aurais dit oui : je vous l'ai dit, je ne sais pas dire non.
Ce soir-là, j'ai désiré unilatéralement ; le chips, lui, s'est chargé d'aller bilatéralement. C'est la vie. Soupir.
Est-on vraiment certain de ce qu'on veut ? Là est la question .
· Il y a plus de 7 ans ·Je vous inviterais bien à lire Sartre et plus précisément dans "L'être et le néant" le paragraphe sur la femme de mauvaise foi !
A vouloir trop intellectualiser, à chercher dans l'autre les sentiments qu'il peut éprouver, on s'oublie... et finalement on rate des occasions de vivre ses émotions !
Jean Marc Kerviche
J'apprécie ce commentaire à référence. Merci ! C'est noté et bien vu.
· Il y a plus de 7 ans ·evonlise
on reste un peu sur notre faim .... bien sûr, tout s'est arrêté à l'apéro ;)
· Il y a plus de 7 ans ·excellent !!
li-belle-lule
Ahahah ! Merci de ce retour, réjouissant.
· Il y a plus de 7 ans ·evonlise
l'art de la conclusion :-)
· Il y a plus de 7 ans ·campaspe
Sourire, étouffé ;)
· Il y a plus de 7 ans ·evonlise
bien ! jolie plume un brin fataliste ;-) merci
· Il y a plus de 7 ans ·Patrick Gonzalez
Merci à vous, toi !
· Il y a plus de 7 ans ·evonlise