Dans l'ombre
Mathilde En Soir
En entrant dans son appartement, la jeune femme rit de plus belle. Elle et son ami vont passer une soirée en tête-à-tête romantique. L'homme s'assoit dans un des fauteuils du salon, après s'être servi un verre de scotch. Elle se dirige vers lui et l'incite à retirer son pantalon, chose qu'il fit sans gêne. Il sent qu'il ne peut rien lui refuser. Dès qu'elle l'aborda dans ce pub où il allait si souvent, il fut charmé. Sous ses airs de fille banale se cachait une femme captivante. Elle est loin de ressembler au stéréotype que l'on se fait de la femme fatale, et pourtant la gente masculine se retourne sur elle. Sa petite robe couleur corail met son teint et ses jolies courbes en valeur. Son rire l'a rend excitante. Elle retire ses escarpins et masse ses pieds, regrettant de ne pas avoir mis de pansement avant de sortir.
« Alors, tu viens ? Tu sais, je n'aime pas attendre ! » dit-il.
Elle se dirige vers la table basse du salon, faisant mine de ne pas lui prêter attention. Elle cherche de la pommade.
« Et moi, j'aime prendre mon temps ! Figure toi que ton petit itinéraire m'a bousillé la plante des pieds ! » dit-elle, le sourire en coin.
L'homme l'attrape par la taille et la fait basculer sur lui, ce qui la fait rire. Il lui caresse lentement les bras et l'embrasse dans le cou.
« J'ai pas eu le temps de me servir un verre ! » lance-t-elle.
« Finis le mien ! »
« J'aime pas le scotch ! »
« On se met au travail alors, non ? ».
Sans attendre sa réponse, il la caresse de nouveau. On entend une voiture arrivée en bas de l'immeuble. La jeune femme se lève brusquement.
« Merde ! C'est lui ! ».
L'homme fait de même et reboutonne sa chemise.
« Ne panique pas ! Si ça se trouve c'est un voisin ! ».
La sonnerie de l'interphone retentit dans l'appartement. Elle coure vers la porte d'entrée, en prenant le soin d'ajuster sa robe.
« Oui ? Ah c'est toi ?! Oui je t'ouvre ! » dit-elle, la voix tremblante.
Elle se retourne vers lui.
« Cache-toi ! ».
« Tu veux que je me cache où ? Au pire, tu lui dis que je suis ton cousin ! ».
« Mais t'es con ou quoi ? Tu crois vraiment qu'il va croire ça ! » répond-t-elle, inquiète.
« Eh bah je remets mon jean et ça va marcher ! Pourquoi tu stresses comme ça ?! ».
« On voit que tu ne le connais pas, il ne supporte pas que je vois un autre homme en tête-à-tête ! ».
Il regarde tout autour du fauteuil.
« Purée, il est où mon jean ?! ».
« Là, derrière la table ! ».
Des pas résonnent dans le couloir, un cliquetis de clé indique que le mari est bel et bien de retour. Il est jeune, les cheveux châtains clairs, portant un costume hors de prix. Sa besace semble usée, décolorée. Ses chaussures brillent de mille feux. Il se dirige vers le salon, la mine basse.
« Tu es là, Lisbeth ? ».
Elle sort de la chambre d'ami, essoufflée et l'embrasse. Son amant semble désormais en sécurité.
« Coucou ! Tu rentres déjà ? » dit-elle en souriant.
Il pose le sac sur la table.
« Oui, et je te préviens, je suis crevé ! ».
Lisbeth lui fit les yeux doux.
« Tu veux un verre ? ».
« Non, on va directement passer aux choses sérieuses … » dit-il sèchement.
Il la fixa longuement, la dévisageant de la tête aux pieds.
« Il est où ? ».
« Qui ça ? Tu parles de qui chéri ? ».
« Arrête ton cirque ! J'ai vu sa vespa dans la rue, un vieux scooter bariolé italien, avec des autocollants pourris ! » répond-t-il très calmement.
« Merci, je sais ce que c'est ! » réplique-t-elle, de manière dédaigneuse.
Très agité, le mari fouille sa besace et la vide sur le canapé.
« J'ai ramené le matériel, je n'ai pas envie d'y passer la soirée ! ».
Lisbeth, qui affichait jusqu'alors un sourire crispé, change brutalement d'expression. Lentement, elle met sa main dans la poche droite de sa robe, et en sort une petite clé dorée.
« Tu le veux ? Tu vois bien qu'il n'est pas là ? Mais je peux t'aider à chercher, je t'ai toujours aidé à chercher ! ».
« C'est la clé de la chambre d'ami ? » dit-il.
« Oui, elle est jolie n'est-ce pas ? Toi par contre, ce que tu es moche ce soir Ralph ! ».
« Ne me cherche surtout pas et file ! ».
Le mari prend la clé des mains de sa femme et se dirige à pas de loup vers la chambre d'ami, un couteau à la main. Silence.
Lisbeth attends, toute guillerette, ne se préoccupant guère du sort de son amant.Nul ne peut savoir ce qu'il se trame dans sa tête. Le mari revient, hors de lui.
« Il est pas là ! Qu'est-ce que t'as foutu ?! La porte était ouverte ! ».
Lisbeth répond, interloquée.
« Quoi ?! Mais je l'ai caché là pourtant, je ne suis pas folle ! »
« Il a du se barrer par le balcon de la pièce d'à côté, je t'avais dit de ne pas le cacher là, en plus tu oublies de fermer la porte ! ».
« Je suis désolée, vraiment, mais de toute façon, il ne pourra pas te balancer, il ne t'a pas vu ! » le supplie-t-elle.
« Ce n'est pas possible d'être aussi cruche, tu sais très bien qu'on a besoin de cet argent ! Même pour l'attirer ici, tu n'y arrives pas ! ».
Lisbeth se relève, visiblement très choquéee et alarmée.
« J'ai fait ce que j'avais à faire, alors ne viens pas me faire des reproches si tes plans ne marchent pas ! ».
Il range la clé dorée dans la doublure de sa veste et hausse le ton.
« Mes plans de vente marchent ! Grâce à moi, tu peux entretenir tes fesses ! Et ne me dis pas que tu regrettes, ça t'excite cette petite montée d'adrénaline !».
Les yeux en larmes, elle le fusille du regard.
« T'es dégueulasse de me dire ça. Ce n'est pas toi qui fais le sale boulot ! Qui c'est qui se les coltine et qui couche avec eux en t'attendant patiemment ?! Tu fais le couplet du mari hystérique et hop, terminé ! Dommage, aujourd'hui tu es arrivé trop tôt ! ».
« T'insinues quoi là, Lisbeth ? ».
« Ca te plait cette mise en scène, hein ? Tu dois bien prendre ton pied en arrivant soi-disant à l'improviste ! C'est au-dessus de mes forces d'entrer dans cette chambre maintenant. Je sens les mains de ces types sur moi. … ».
« Il faut tenir bon ! On se fait un maximum d'argent avec eux ! Moi aussi, je trouve ça triste d'en arriver là, mais si la situation n'était pas aussi catastrophique, on ne le ferait pas ! Ce n'est pas toi qui fais le sale boulot, ok ? » lance-t-il.
Elle lui chuchote dans le creux de l'oreille.
« J'en ai marre Ralph, on était bien avant tout ce micmac. Tu me disais qu'il n'y avait que moi qui comptais. Dis-moi que tu veux simplement vivre avec moi.».
Lisbeth enlace son compagnon et commence à déboutonner sa chemise. Celui-ci hume le parfum de ses cheveux. Il lâche son couteau et tous deux se jettent sur le canapé. Ils s'embrassent fougueusement, oubliant ainsi leur situation. Un bruit retentit.
« C'était quoi ça ? » dit Ralph en se relevant.
« Rien, laisse, j'ai du oublier de fermer la fenêtre de la chambre » dit-elle.
Ralph se dresse devant elle, essayant de contrôler sa colère.
« Quelle fenêtre ? T'as pas fermé la porte et en plus, t'as laissé la fenêtre de la chambre ouverte ?! Tu le fais exprès ?! Je comprends mieux comment l'autre con a pu s'en aller ! Un joli petit chemin tout tracé vers la sortie ! » crie-t-il.
« Je … je ne sais plus ! Ralph, calme-toi ! Je t'assure que je n'ai pas fait exprès ! » dit-elle d'une voix tremblante.
A peine eut-elle fini sa phrase que brutalement celui-ci la gifle. Lisbeth tombe au sol et gémit. Sa tête avait heurté la table basse. Des gouttes de sang s'échappent. Une griffure se dessinait sur son front.
« Tu voulais le sauver, comme ça j'atterrirais un jour derrière les barreaux, c'est ça ?! T'as essayé de me doubler, et tu as perdu. Je t'avais dit de faire gaffe, mais tu es incapable de faire attention. Il fallait réfléchir avant d'agir contre moi. Résultat, tu as foiré bien comme il faut… je n'ai pas le choix ».
Tout en la menaçant, Ralph cherche le poignard qui était tombé sur le tapis du salon.
« Non, pas encore, … comme je te l'ai dit, je t'aiderai toujours à chercher, mon amour ».
Son sang ne fait qu'un tour. Elle saisit le poignard qu'elle avait ramassé après sa chute, et le plonge dans la poitrine de son compagnon, qui laisse échapper un cri. Ralph s'effondre sur le sol. Le bruit retentit à nouveau alors que le sang gicle sur les habits de Lisbeth. Il grimace de douleur, se comprimant le torse. Il la regarde, désespéré.
« Lise… Je … Je ne voulais pas … S'il te plaît… ne me laisse pas... » gémit-il.
Celle-ci sort un mouchoir de sa poche et le jette au visage de son mari, dans un élan de pitié.Un sentiment de déjà-vu où c'était elle qui gisait sur le sol suite à une de ces inombrables disputes. Mais les choses paraissent différentes à présent. Elle peut contrôler, sentir la puissance parcourir ses mains frêles et délicates.
« Tu vois, moi aussi je réfléchis avant d'agir. J'ai mis un temps avant de savoir ce que j'allais faire de toi, et puis c'est devenu évident. Avait-on le choix de faire ça ? Continuer ou non ? J'ai la réponse maintenant. Tu as vécu dans le déni, mon pauvre Ralph. Tous ces meurtres… ce carnage… au nom de ta cupidité … » dit-elle.
Ralph est de plus en plus pâle. Son corps tressaille encore quelques instants, puis ses yeux se ferment. Lisbeth récupère le portefeuille du malheureux, qui se trouve dans sa poche, ainsi que la clé dorée. Son sang forme une ligne qui s'écoule sur le tapis. Elle range le verre de scotch posé sur la table basse et se dirige vers le buffet. Le bruit est de plus en plus proche. Elle ouvre le placard et laisse sortir l'amant qui voit le cadavre de Ralph, horrifié. Un hurlement résonne dans tout l'immeuble.
« Aaaah … Qu'est-ce que … Pourquoi ?! Qu'est-ce que t'as fait ?!! … Non ce n'est possible, c'est … NON ! … ».
« «Je n'ai pas le choix », c'est ce qu'il m'a dit avant que je ne lui plante le couteau dans la chair. Il savait que t'étais là, il a vu rouge et … reste ici. » affirme-t-elle, très calmement.
« Non, je ne veux pas être mêlé à ça … j'ai rien fait ! … Il faut le cacher, il ne faut pas qu'on le retrouve … je ne suis jamais venu ici ! » dit-il, en enfilant très nerveusement son pantalon. Il prend son sac et cherche ses clés de scooter. Il essaie d'ouvrir la porte d'entrée, en vain.
Lisbeth l'interpelle et lui montre la clé dorée subtilisée à Ralph.
« Ben … c'est ça ce que tu cherches ? Tu n'iras pas bien loin sans ça, je crois … ».
« Mais à quoi tu joues ?! Tu ne te rends pas compte ?! Je ne peux pas rester, je n'ai pas tué ton mec ! » dit-il, essayant de maîtriser ses nerfs. « Démerde-toi ! ».
Lisbeth contemple le visage éteint de son compagnon.
« Lui aussi disait que je ne me rendais compte de rien, au fond il avait peut-être raison… Mais j'ai décidé de me débarasser de lui,parce que j'estime ne pas avoir reçu tout ce dont j'avais besoin. Pas un seul remerciement ni une seule contrepartie financière, je n'ai eu que les miettes de ce travail acharné. Ce fut terriblement facile de ne pas lui mettre la puce à l'oreille. Il fallait continuer notre plan et te ramener ici, continuer notre « business » fleurissant».
Ben la regarde avec crainte et dégoût. Il ne reconnait pas cette femme, elle qui avait dansé et rit avec lui, toute la soirée. Puis, il comprend. Tout est clair. Il tremble de tout son être. Il espère tant se tromper. Cette manière nonchalante de venir le draguer, alors qu'elle craignait par-dessus tout son époux, ce calme en apparence imperturbable, ces états d'âmes qui oscillent entre l'extase et la détresse aussi facilement, ce regard intense maintenant si froid.Il n'est pas le premier « amant » à entrer dans cet appartement.
« Tu as besoin de cette clé, non ? Quel abruti, lui ! Quand je pense qu'il a fermé la porte d'entrée avec une clé identique à celle-ci. Il n'a pas vu une seconde que c'était mon double, et non celle qui ouvre la chambre d'ami. C'est terrible, il s'est enfermé lui-même dans sa bêtise … Il a scellé son destin. Et dire que je t'ai caché ici, dans ce grand et beau buffet, complètement insonorisé. Dommage,tu n'as rien suivi de notre tragique conversation, tu te serais un peu plus méfié de moi … Tous les deux, vous auriez du me craindre dès le début … ».
Ben s'acharne sur la poignée de la porte et essaie de fracturer la serrure avec ses clés. Lisbeth retire le couteau ensanglanté du torse de Ralph.
« On compare toujours ce qui est différent à ce qui est conventionnel. A la normalité. Je suis la moins normale de tous, je crois. ‘Nous vécûmes heureux et eûmes beaucoup d'enfants', c'est ça la formule du bonheur, non ? Le bonheur pour Ralph, c'était d'avoir beaucoup d'argent. Moi, je ne savais pas ce qui me rendait heureuse, probablement lui. Alors je l'ai écouté. On a commencé ainsi. Je devais le tromper, il devait tuer l'amant. Je l'aidais dans sa démarche. On aurait peut-être du prendre d'autres morceaux…C'était ça, le « business » ! »
Elle se tait. Ben sent que son cœur va lâcher. Il ne pense plus à rien. Il ne voit plus rien, dégoulinant de sueur, les mains moites. Cette vision n'est pas réelle. Il va forcément se réveiller incessamment sous peu, priant de toutes ses forces pour que ce ne soit qu'un cauchemar atroce.
« On a probablement vendu un de tes frères, qui sait ! Tous ces pauvres, ces ouvriers,ces employés de bureaux, ces immigrés,ou même ces riches, ils nous ont tous remerciés de les avoir ‘sauvés de la mort' parce qu'on les nourissaient, parce qu'ils ne savaient plus à qui s'adresser. Sauver des hommes, des femmes, des enfants de la famine. Sauver des vies. Et pourtant certains ont été sacrifiés pour la bonne cause. Ils ont tous mangé quelques uns de leurs semblables … Nous grandissons dans un monde anormal, où nous perdons ce qui nous reste de clairvoyance. Qui peut dire ce qui est bien ou mal ? Nous ne sommes que des fous … Anormale …» dit-elle en s'avançant lentement vers Ben, qui la regardait avec horreur. «Je dois achever le travail de Ralph. Au fond, je peux continuer, ne serait-ce qu'une seule fois encore, ce qu'il a commencé. Ton crâne sera mon trophée».
Il sort un couteau suisse de son sac.
« Tu sais, le scotch, on s'en servait pour cacher l'odeur du pourrissement… » dit-elle à voix basse.
Ben réussit enfin à éventrer la serrure, mais avant même d'avoir pu ouvrir la porte, Lisbeth se tient derrière lui.
Du sang coule sous la porte de l'appartement. Beaucoup de bruits. Un hurlement. Des larmes. Un silence qui pourrait durer une éternité. La nuit assiste impuissante à l'horreur qui s'était préparée.
« Résidence Lacary, Immeuble 205B. Mardi 4 mai 2013, 23H53.
Tout se bouscule dans ma tête. Ai-je bien fait ? Assister à ces drames, y participer, ne rien pouvoir rien faire tout du long. Je peux conclure. Enfin. Je ne survivrai pas, ou peut-être … Je mets un terme à ces actes. J'attendrai qu'on vienne me délivrer de cette folie, si je survis avant l'heure.
Enregistré.»
Voici une nouvelle digne de Stephen King himself. C'est bien d'aborder différents types de fiction.
· Il y a plus de 9 ans ·valjean
J'aime aborder différents types d'atmosphères, j'avoue aimer les thrillers et la science-fiction en autres. On peut y apporter une touche personnelle et une couleur différente.
· Il y a presque 9 ans ·Mathilde En Soir
Pour une première nouvelle, elle est top, j'ai aimé. Bravo et merci pour le partage.
· Il y a plus de 9 ans ·mamzelle-plume
Merci beaucoup =)
· Il y a plus de 9 ans ·Mathilde En Soir