Dans persévère, il y a pervers

Thierry Kagan

Le mort, on va lui ouvrir les yeux et lui mettre un Coca Light à côté. Et les ordures, on… on tapissera un camaïeu, ça fera papier peint, vous verrez, ça sera très joli.

Alors, vous me l'achetez la photo, pour la rentrée des classes ?

Ca le fait, non ?

Vous ne voyez pas le message !?!

Mais il y en a tout le temps, des messages ! Ca déborde, il en dégouline, ça suinte, ça transpire de partout. Des messages mais… pour quoi faire ?

Là, c'est reposant. Y a rien à comprendre, c'est bucolique !

Y a… pas de messages !

Monsieur le client, dites-moi exactement ce que vous voulez comme photo et je vous la fais.

Des enfants… ok… avec des cartables… ok… qui traversent un passage piéton avec une gardienne de la paix black mais pas trop… ok… et… qui sourit et sans marque de transpiration.

Ok, c'est comme si c'était fait.

Et… et 12 purs sangs carmillons immatriculés dans le 9 – 3 qui arrivent à toute allure par derrière ?

Non, bon, ok.

 

Photographe, ce métier, il me tue.

Y a des moments, j'voudrais pouvoir retourner dans le ventre de ma mère et leur crier à tous ces cons « vous n'en voulez pas des mes photos, j'm'en fous, j'me les garde pour moi, j'suis bien au chaud et j'suis pas près de ressortir ».

 

 

Bon, bah, cher client, voilà : j'ai rempli le cahier des charges.

A ras bord, même.

C'est quoi ça ? C'est… une petite touche personnelle, discrète, pour retrouver ma photo.

Des fois qu'elle se perde dans… dans les médias.

C'est… des têtes.

De morts, oui.

Enfin, c'est accessoire. Ce sont surtout des têtes.

Y a quand même plus de têtes de gosses que de têtes de morts, non ?

Puis les gosses, un jour ou l'autre, ils vont y passer aussi, hein ! faut pas se voiler la face.

C'est pas le sujet ?

Ok, ok, ok.

J'enlève les têtes de morts.

Donc, c'est bon, c'est vendu ?

Enfin !

C'est pas cher, mais c'est vendu !

 

 

Photographe, c'est… un métier formidable.

Comment j'en suis arrivé là ?

J'ai eu la chance, d'abord, d'être né dedans - mon père était chef réparateur de photomatons.

Mais bon, moi maintenant,  je vis dans les palaces, je m'tape… enfin, je photographie les plus belles femmes du monde, dans les plus beaux habits.

C'est vrai qu'il y a des confrères qui peinent plus que d'autres. Se faire connaître, c'est comme photographe, c'est un métier en soi.

Je pense notamment à un copain, qui a commencé en même temps que moi. Un artiste aussi, mais qui a… disons… plus de mal.

Il s'obstine à vouloir shooter des trucs sordides, avec des morts, des insectes, des ordures.

Il en bave comme un chien, pour placer ses idées !

Tiens, j'y pense. J'vous parle, là, mais... un truc sordide avec un top model à côté, ça peut être magnifique, non ?

Le contraste de formes, de concepts, les matières, enfin, toutes ces conneries, quoi ! C'est disruptif, hein !

J'suis sûr qu'il y a des millions à se faire, avec une idée pareille.

 

Ah, Joseph, mon ami Joseph !

T'aurais pas dû y retourner, dans le ventre de ta mère.

Fallait persévérer !

 

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