DANS SON COU

seb365

J'ai embrassé Elle dans le cou. Passait la musique d'Harry Scott dans son appartement, bande originale planante de Shame. Je l'ai embrassée, et j'ai senti un immeuble s'effondrer autour, des étages basculés dans le vide, des vitres explosées sous l'effet d'un souffle, des blocs de béton armé propulsés dans l'air et toute la douceur de ses mots qui flottaient dans son salon. J'étais ascenseur.

Je montais expressément en température. Je devinais une force centrifuge, mécanique des sens, flot de l'apesanteur, flots tempérés dans le vertige de mes sueurs. J'étais bien et, implicitement, je commençais à déshabiller les derniers remparts de son corps. La forteresse connaissait des brèches de plus en plus béantes depuis que j'étais plus souvent chez Elle. Je passais des nuits étoilées qui filaient comme le vol gracieux des poissons d'argent.

Dans son cou, il y avait des lueurs, des lumières, des lucioles, des lanternes, autant d'éclairages qui n'avaient rien d'électriques et pourtant, je fouillais dans sa chevelure à la recherche d'un interrupteur. Je voulais éteindre cette ampoule halogène sans me déplacer et tirer des flèches sur son corps dans l'obscurité naissante de cette pièce, pourvue d'une baie vitrée où le prisme lumineux du croissant dardait de sa mélancolie lunaire.

Elle avait placé des bougies, ça et là – des anges, disait-elle – qui accompagnaient nos nuits, autant de flammes aux reflets séducteurs sur les vasistas ouverts, la chaleur venait de s'abattre sur la ville pour les trois mois d'été à venir.

Dans son cou, j'ai humé cette matière inconnue de tous : sa peau. Un tissu d'alvéoles, reliées les unes aux autres, cousues dans son épiderme. Je léchais du miel, la ruche était bonne et j'avais les lèvres collantes en embrassant sa nuque.

La musique était en boucle. Et Scott me plongeait dans l'écriture de sa peau ; Elle, m'absorbait de ses ténébreuses mains qui m'enlaçaient, cartographiaient mon corps dénudé, tombant des nues, je valsais au gré de ses caresses indigènes. Elle enregistrait le chemin routier de mon anatomie, traçait une nationale, des départementales et autant de chemins vicinaux aquifères, tant la sueur perlant dans mon dos devenait abondante.

Il y avait aussi cette fumée bleue violette dans les cimes du plafond avec ses dorures nous inondant de son essence. Nous partions en voyage sur le fleuve sensualité et je savais que ce moment était rare, volatile. Il y avait aussi une ligne de flottaison intime dans la banlieue de mon cœur enclavé depuis tant d'années qu'Elle n'hésita pas une seconde, dès lors, à m'envahir.

J'en profitais, pour une fois, j'étais moi. Je ne me souciais plus du tout de qui je devais être. J'étais absent pour les autres, libéré de contraintes, et avec Elle, je baisais à ciel ouvert.

Je lui ai fait l'amour. Elle m'a fait l'amour. On a fait l'amour et dans son cou, je ne cessais de radoter, des baisers mouillés, secs, langoureux, mordants, piquants pour les remplacer impulsivement par des métaphores convulsives, décharges du bas de mes reins remontant dans son ventre.

J'étais doux, ardent, animal, pressé, attentif, presque inquisiteur aussi, je ne voulais rien manquer de ses réponses dans ses yeux qui en retour interrogeaient les miens. Je voulais savoir si, de son cou, j'arriverai à sonder dans son artère fémorale le suc de sa sensualité et, dans ses berges à m'enfoncer dans son croissant de lune, astre aux vertiges insondables.

Dans son cou, je ressentais toute la chaleur thermique de son désir. La rougeur de ses cordes vocales était accordée au son de sa voix avec deux paroles asthmatiques – ah si, ah si. L'Amérique était Latine et son chant était universel. Il devait y avoir, quelque part,  à l'ombre d'un baobab, un vieil homme lisant des romans d'amour et je m'imaginais personnage dévoré par un ocelot fou de douleur.

  • Très beau ressenti d'un être passionné , tu nous embarques à chaque fois, merci Seb

    · Il y a presque 9 ans ·
    W

    marielesmots

  • étrange cette chute! cela voudrait dire que tout était imaginé. Aussi non c'est splendide, et plein de santé. Je suis désolée mais mon dernier texte en est dépourvu. Mais je ne peux le refuser car il est aussi un témoignage de vie et de partage littéraire. Je le mettrais demain. trop fatiguée et puis c'est tard. Je vais relire encore une fois ton texte sur les rues. Quelque chose m'interpelle? Où sont les rues invisibles?

    · Il y a presque 9 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

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