De grands draps noirs

Louisa Slama

  Il faut ancrer le décor dans l'ambiance la plus dramatiquement romantique que nous pouvons esquisser. Laissez votre esprit s'ouvrir sur une scène frénétiquement calme, où chaque bruissement de feuille est une guerre en devenir. Tout pourrait baigner dans un clair de lune mais non, c'est une lumière bien trop sincère pour ce que nous voulons décrire. Il nous faut quelque chose de prenant, comme des reflets sombres et orange, peut-être l'éclipse de quelque exoplanète s'étant rapprochée dangereusement de la Terre. L'odeur de la peur doit s'accompagner de celle du métal en fusion ou des jacinthes mourantes dans les sous-bois. L'auteur cherche-t-il à ce que vous frissonniez d'effroi ou que vous vous languissiez de parcourir cet endroit? N'oubliez pas qu'ici vous trouverez des carcasses de machines inconnues, des dômes de mousses d'où pulsent une étrange lueur et des champignons expulsant leurs miasmes et spores toxiques dans la brise humide. Ici la mort ne rode pas, elle ne vous attend pas comme une traîtresse au virage du petit chemin boueux que vous apercevez au loin, elle s'étale dans l'atmosphère et dessine de magnifiques arabesques. Elle aura la bonté d'âme de vous tendre le bras si vous trébuchez et vous avertira même de ne pas boire l'eau de ce petit marais que vous avez trouver en cherchant à fuir. Il serait bien trop fâcheux pour vous de perdre la vie de façon si ennuyante. Soyez un bon lecteur et restez prudent, pour notre divertissement. 
Que serait ce bel endroit sans un air de piano macabre résonnant doucement entre les arbres morts. 
Que serait ce bel endroit sans quelques ombres familières qui se rapprochent avec la grâce de danseuses contemporaines.
Nous savons maintenant tout deux que vous les avez reconnues, je l'ai humé à l'odeur acre de votre nuque, l'odeur d'une terreur bien spécifique. Vous saviez bien, que dans un tel endroit, elles seraient là, venues vous voir, juste vous. Car comme vous avez été un lecteur de choix, il nous faut vous retournez la pareille et se montrer courtois. Nous avons conviés vos plus belles angoisses. Quelles amies remarquables vous avez, elles n'ont pas hésité un battement de cil à venir vous rejoindre en ces lieux!
N'y voyez pas une once de condescendance de ma part, mais je n'aurais pas imaginé qu'elles soient si grandes et si belles. 
Quel lecteur , quel ravissement! 
Non, ne tremblez pas, vous ne feriez que nous décevoir. Il reste ici encore plein de choses à découvrir et, il me semble, vous voir accompagné d'hôtes de qualité. 
Apaisez votre souffle, cher lecteur, relevez le regard pour contempler les spasmes de vos angoisses. Regardez comme elles se mouvent dans l'espace créé par nos imaginations. J'ai posé mes longs doigts froids sur votre épaule pour vous guider. A droite l'ombre se fait si dense que n'importe quel homme voudrait s'y plonger à jamais. A gauche un décharné fait des nœuds d'étoiles, mais la corde en résultant a surement des fins bien sordides. Comme il y a beaucoup de monde par ici, reculons sur le chemin boueux de tout à l'heure. J'imagine qu'il doit être compliqué de ne pas glisser quand votre vue est obstruée par de si grosses larmes. Mais comme je vous l'ai dit, ne nous décevez pas. Haut les cœurs puisque nous ne marchons pas vers la Mort! Regardez la jouer avec vos angoisses, comme de grands draps noirs claquant au vent! Cela ne vous émeut donc pas? Peut-être que dans les remous d'une vie bien banale, votre âme a perdu l'attrait pour le grandiloquent, pour le drame et pour la saveur de la terreur. C'est étrange, car vos amies ici me démontre le contraire. Ou peut-être est-ce pire, je me serais trompée de diagnostic? Au lieu de vous plonger dans vos angoisses avec délectation vous les avez laissé grignoter chaque parcelle de votre épiderme? Vous avez oublié la beauté de cette noirceur? Vous ne riez plus à la face de l'abime? Elles vous y plongent et vous pleurez? Oh cher lecteur, comme nous sommes déçus... 
Quiconque s'aventure en ces lieux sans un attrait pour les abysses se voit dissout rapidement.  Il est temps pour nous de vous laisser dans ces sous-bois boueux avec vos amies. Vous trouverez à quelques mètres le petit marais pour étancher votre soif. Ne nous importuner plus. 

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