De l'amertume du chocolat

Stéphane Monnet

Faut-il encore manger du chocolat ?

Connaissez-vous cette délicieuse sensation lorsqu'un carré de chocolat noir approche vos lèvres ?

C'était une fin de repas, comme nous en connaîtrons encore des milliers. Repu je me dirigeais vers l'armoire contenant le tiroir secret où je range mes tablettes de chocolat. Je me servis, les papilles en émoi... Une idée m'arrêta. Régime ? Cholestérol ?

guerre
armes
mines antipersonnelles
France
victimes (chocolatérales)
Côte d'Ivoire
etc.
etc.

La Côte d'Ivoire avait une nouvelle fois fait l'actualité. Ancienne colonie française, elle exporte "y a bon" café et cacao vers nos riches contrées. En tire le revenu qu'elle peut. Suffisamment en tout cas pour s'armer et à intervalles réguliers vérifier que la camelote que nous leur avons vendue correspond bien au descriptif de la brochure.
Je n'ai jamais mis les pieds en Côte d'Ivoire. N'irai sans doute jamais.
Pourquoi ce carré de chocolat, semblable à tous ses frères, m'apparut-il ce jour, cette minute, cette seconde-là, comme : "peut-être coulé à partir de ce trafic malsain."
Mon petit plaisir d'après repas valait-il de participer à cet embrouillamini ?
 Deux options s'offraient à moi :

arrêter le chocolat.
trouver un chocolat ne provenant pas de Côte d'Ivoire.

Je tentais d'abord (gourmandise oblige, conformisme aidant) d'appliquer la seconde solution, quoique forte en tartufferie. Je découvris les tablettes "commerce équitable". La philosophie que cela recouvrait m'importait peu. J'avais la provenance du cacao, je pouvais boycotter la fève ivoirienne. J'étais content.
Je ne le suis plus.
J'ai ouvert le livre de Christian Jacquiau Les coulisses du commerce équitable (Mensonges et vérités sur un petit business qui monte). Le titre est trompeur, l'auteur y fait essentiellement le procès de Max Havelaar, de ses pratiques douteuses et de ses accointances avec l'horrifique grande distribution. En gros : vous pensiez vous acheter une conscience en buvant votre café équitable, vous avez tort, vous le payez plus cher, mais c'est à peu près tout.
N'étant pas dans cette démarche, j'aurais pu refermer le livre et continuer ma vie de né-dans-un-pays-riche, oublier les paysans qui triment pour mon confort dans ces pays lointains. Mon petit plaisir d'après repas valait-il de participer à cet embrouillamini ?
Deux options s'offraient à moi :

arrêter le chocolat.
trouver un chocolat équitable.

La première solution me coûterait. Les amateurs de chocolat comprennent ce que je veux dire. Bien plus que si je devais payer ma tablette deux fois plus cher. Les défenseurs du capitalisme me riraient au nez, arguant que si je ne mange plus de chocolat -> moins de demande = baisse des cours du cacao. J'affame encore plus le paysan, et sa femme, et ses enfants aux yeux globulisés.
La seconde solution m'apparaît, à l'heure actuelle, comme irréalisable. Je pourrais trouver un chocolat dit "équitable", non vendu dans une grande surface. Mais qui pourrait me jurer que toutes les personnes qui sont intervenues sur cette tablette ont reçu une juste rétribution de leurs efforts ? A quel moment une rétribution est-elle juste ? Que faut-il pouvoir se payer pour que cette rétribution soit juste ?
Je n'ai pas la réponse à ces questions, ou les réponses que j'ai ne satisferont que moi.Si j'étais philosophe... Je ne le suis pas et je reste avec mon dilemme chocolat : que vaut mon petit plaisir d'après repas ?
Je m'aperçois qu'en vieillissant, je rêve de moins en moins. Avant, je me serais imaginé louant un lopin de terre exotique, employant un paysan pour cultiver mon cacaoyer, surveillant personnellement la récolte et l'ouverture des cabosses, la fermentation et le séchage des futures fèves. Une petite chocolaterie produirait ma consommation personnelle et celle de quelques amis, j'en serais le meilleur des patrons. Et au pied de l'arbre au tronc en fleurs, je pourrais m'asseoir pour savourer...
Je m'aperçois qu'en vieillissant, je rêve de moins en moins de changer le monde.
Je suis né du côté des pays riches et pour y vivre bien je ferme les yeux sur la misère. Je ne reproche rien à nos sociétés, sinon d'avoir asphyxié nos envies de rêver, mis une étiquette sur chaque chose, avec son prix en francs et en euros.
Les vendeurs de bonheur sont partout, ils n'existent pourtant pas. Juste bons sont-ils à mettre trop d'amertume dans mon chocolat.

  • Bien d'accord! J'ai travaillé six ans en Côte d'Ivoire. J'ai appris l'existence de la clopinette: Monnaie inventée, qui sert à payer les paysans cacaotiers: Ils sont payés des clopinettes, et le taux de la clopinette est bas, mais bas... Idem pour le café. Un petit express serré????

    · Il y a environ 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Merci pour ce complément (quoique désespérant) d'informations.

      · Il y a environ 10 ans ·
      Avtar

      Stéphane Monnet

  • Très intéressant. Le débat est réel, pas seulement en ce qui concerne le chocolat d'ailleurs, de ce que nous consommons, où, comment, pourquoi, du contrôle plus ou moins fictif que nous avons sur les sources d'approvisionnement...il faut sans doute pour s'en sortir et conserver ses rêves, se souvenir de Voltaire et cultiver son jardin...à condition de savoir la provenance des graines!

    · Il y a environ 10 ans ·
    Img 1518

    divina-bonitas

    • Eh oui ! En l'espèce, je trouve le chocolat emblématique, car j'adore ce produit, mais il est totalement superflu.

      · Il y a environ 10 ans ·
      Avtar

      Stéphane Monnet

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