De Superhéro à Antihéros

valerie-lemelin

Petit texte inspiré du Writing Prompt suivant: You come from a family of heros. But you rarely see your brothers so you realise that the only way to see them is to become a villain.

Dans ma famille, nous étions quatre garçons: Joey, Derek, Maxim et moi, Ricky, le tout dernier de la bande. Enfant, je jouais beaucoup avec mes frères. Remarque qu'il n'y avait que nous dans notre petit quartier éloigné. Nous étions intenables et inséparables, inventions des jeux d'aventuriers sadiques ou voleurs sans scrupule. Étrangement, nous avions tous eu des vélos en même temps. Je n'avais que 4 ans à l'époque et Joey 10. Nous avions galéré pendant des heures avant de réussir enfin à tenir en équilibre et pédaler. C'était Derek qui avait réussi en premier et nous avait tous montré la voie à suivre. Notre père n'était pas là pour voir notre réussite. En fait, nos parents n'étaient jamais là avant 18h. C'était Joey qui s'occupait le plus de nous et nous mangions chez la voisine.


Étant le dernier des fils, je vis mes frères prendre leur distance chacun leur tour. Cette transformation intérieure avait toujours lieu à leur 16 ième anniversaire pour être précis. Joey devint hautain et prit un air supérieur devant nous, Derek seulement gêné en présence de ses 2 jeunes frères car, nous expliquait-il en forme d'excuses, “il ne pouvait rien nous dire”. Puis, il y a eu Maxim qui me parla un peu moins mais qui tenu tout de même sa promesse de tout me dire. Voici pourquoi, le jour de mes 16 ans, lorsque mes parents me prirent à part pour me dévoiler la vérité, avec des paroles franchement préparées et une fierté exagérée, que nous étions tous des super-héros et que j'allais bientôt découvrir mon pouvoir, je feignis maladroitement ma surprise qui était, selon moi, aussi surjouée que leur discours à la noix.


Étant le dernier de la famille, c'était à moi qui nous refilions les tâches les plus simples: circulations dangereuses, vols de sacoches, bagarres de rue. Maxim, lui, était euphorique à l'idée de monter enfin de grade. Bref, je terminais mon travail assez vite et patientais la plupart du temps alors que mes frères et parents s'occupaient des plus grosses crises: poursuites en voitures, braquages de banques, et alertes à la bombe. Pour tout vous dire, les soupers familiaux sont vite devenus une agonie. Je m'ennuyais autant à ces repas que durant la journée. J'avais beau enjoliver mes histoires à fond, elles n'arrivaient jamais à la hauteur des autres.


Mes parents ne devaient pas être impressionnés du pouvoir de leur tout dernier: le pouvoir de l'invisibilité. Ils essayaient tout de même de m'encourager, me disant que quelqu'un devait s'en charger et que chaque petit geste fait la différence, tu parles, que des conneries! Je me refusais à passer mon existence à m'ennuyer de la sorte. À voir Joey se vanter de ses techniques de vols, Derek de figer le temps, Maxim de se téléporter, mon père de devenir toujours plus fort et ma mère toujours plus rapide.


Quelqu'un quelque part avait dû manquer d'inspiration pour le dernier de la famille. Quelqu'un quelque part avait changé le cours de mon existence. Quelqu'un quelque part avait fait de moi un “antihéros” car c'est vite cela que je suis devenu. Mes frères me manquaient. Notre complicité d'enfant creusait un gros vide en moi. Je commençai d'abord par les épier l'un après l'autre. Grâce à mon pouvoir d'invisibilité, que je contrôlais maintenant à ma guise, aucun d'eux ne soupçonna jamais  ma présence. De cette manière, je remarquai que Joey avait tendance à donner de l'ampleur à ses exploits, bombant trop souvent le torse à mon goût, Derek à les minimiser et Maxim, bref, lui, était honnête. Puis je volai à leur secours, leur créant des embûches ici et là, augmentant d'intensité avec le temps : un lampadaire qui s'effondre, un avion en chute libre, une explosion inattendue sous un pont...bref j'usais de beaucoup d'imagination.



Étant le dernier à compter mes petites aventures lors des soupers familiaux, (qui étaient devenue pour moi un moment de pure joie extrême) je n'essayais même plus de me rendre intéressant. Mes histoires étaient ternes à côté des autres et c'était ce qui créait le charme. Un fou rire menaçait toujours de sortir de ma bouche mais je réussissais toujours à le contenir. Ils faisaient tous semblant de me trouver captivant par politesse. Je devais leur paraître si quelqueconque et ennuyant alors que, selon moi, j'étais le plus intéressant. Je connaissais leur moindre histoire avant qu'il ne la raconte. Je savais distinguer le vrai du faux et je réfléchissais sans cesse à mes prochaines actions perverses du lendemain. Ces repas avaient pris pour moi une tout autre tournure. La vie avait un tout autre goût: car je n'avais plus l'impression d'être réellement le dernier.


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