Déambulation Nantaise

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Déambulation

Mes pieds me portent en ballade sans but centre de Nantes. Il fait nuit et à peine froid, bien que nous soyons en hiver. Mon esprit, ouvert, contemple les passants, perçoit des voitures et des bribes de conversations. Nonchalance et contemplation, voilà le programme de la soirée.

Une ligne de musique se tend vers moi, et s’introduit dans mon oreille. Les musiciens sont loin, et semblent en dehors du temps, il me semble qu’ils sont deux. Un violon et une guitare perturbent l’ordre établi. Brise la direction rectiligne de mon programme.

La guitare joue comme un piano, c’est étrange et beau.

La musique, classique, forme une longue vibration remplissant l’espace. La vibration fait la largeur de la rue, à certains endroits elle déborde sur les toits. Invisible, elle s’infiltre partout. Et se pose sur tout le monde. Un bien-être indéfinissable se développe au contact de cette musique. Le sentiment enfle en moi comme un hameçon sonore qui me ferre. Elle me happe et fixe un point de chute.

Cette musique déforme le monde, je ressens la modification très légère de l’espace. La gravité peu à peu glisse vers la musique. L’attraction est douce, mais forte, comme celle de la terre que nous ne ressentons pas mais qui nous rattrape dès que l’on tombe. Mes pas à leur rythme lent, suivent la pente douce de cette sensation agréable. Direction l’origine des notes.

J’arrive dans une rue ancienne, assez large et commerçante.

Une bulle de musique y est posée, on est rue de la Paix. L’air est saturé il semble plus chaud et plus dense que dans les autres rues, la musique classique se dépose partout. Les notes peignent sur les murs et les pavés une lumière discrète. Un jaune sodium furtif et tendre, porteur d’une chaleur douce.

Je m’adosse à une vitrine et contemple le ballet des passants devant l’orchestre.

 La bulle décolle la réalité par petites touches. Les vibrations du violon et les percussions de la guitare soulèvent à petites touches le papier peint qui recouvre le monde. Dessous les apparences se promène un monde magique. Et cette musique si régulière nous le découvre.

Un écho de mémoire me chuchote que je connais la musique. « Un chant qu’on entend à Noël…» ; « c’est… » Peine perdue, l’écho ne parle pas assez fort. Je n’arrive pas à l’entendre. Plutôt que de perdre la magie à en chercher le titre, j’en profite et la laisse pénétrer mon esprit ; imbiber mon cerveau comme une éponge. Mon regard déambule et j’apprécie l’ambiance distillée. Elle altère le monde, les passants deviennent les acteurs d’un film muet où seul la musique a le droit de parler.

Le passage des badauds trace des lignes courbes autour des musiciens. Il n’y a pas grand monde. Ceux qui passent suivent des instructions secrètes qui leurs interdisent de s’arrêter.

Une gigantesque mécanique a pris possession de la ville. Chaque être est un rouage qui connaît sa place et qui joue. Tout est bien réglé, tout est huilé et se déroule sans heurt. Happé par le monde des deux instruments les gens marchent sur un tapis de musique, dans un air saturé. Les bruits floué par le calme irréel d’une bulle posée par deux artistes. Les passants ne savent pas ce qu’ils contemplent, et ceux qui osent s’arrêter cherchent comme moi la porte d’entrée du monde magique.

Un public clairsemé s’élabore en placements aléatoires.

Deux vélos passent, l’un vient de la droite, l’autre de la gauche.

A chaque passage de vélo une personne part, une nouvelle arrive.

Régulation du bal mécanique.

J’accompagne d’un regard discret, le passage des gens. Le temps de découvrir ce qu’ils veulent bien montrer.

Une dame d’âge moyen, vêtements propre et soigné, probablement coûteux, passe sans s’arrêter.

Je croise le regard d’un homme, un habitant des rues probablement, nous nous sourions de concert.

Changement de morceau, la lumière s’intensifie. Ma mémoire chuchote le nom de ce morceau… Sans plus de résultat que tout à l’heure.

Une voiture passe au ralenti puis un vélo s’arrête, annonçant du changement.

Et je la vois Elle.

Jeune fille blonde, démarche insouciante qui traverse la rue, elle ralenti devant les musiciens mais ne s’arrête pas. Un sourire apparaît sur ses lèvres.

Je ne sais pas ce qui est remarquable chez elle, sa jeunesse, sa beauté, sa réaction ?

La beauté d’un automate de parade, irréel. Peut être bien que j’ai suivi sans le savoir les instructions secrètes données par un chef d’orchestre invisible.

Son passage est magnifique, je prie qu’elle ralentisse encore. Mon regard la suit. Puis, lorsqu’elle disparaît, je la prends en filature imaginaire. Derrière elle, marche maintenant un être porté par la musique, un fantôme de mon imaginaire. Il la suivra, et tant que la musique sera dans ses oreilles, me racontera ce qu’elle fait.

Elle marche, elle va boire un verre avec des amis, une bière ou un coca, elle va parler de futilité, des petits problèmes comme on peut en avoir lorsque l’on est jeune, sans soucis d’argent… Des trucs aériens et sans importance.

 Tout à l’écoute du fantôme, je m’aperçois soudain qu’elle est revenue sans prévenir.

Perturbé, j’hésite à aller lui expliquer que ça ne se fait pas de revenir comme ça. Non, lorsque l’on est une apparition on n’a pas le droit de revenir. Que… merde ! Ça ne se fait pas du tout. L’ordre de la bulle risque d’être perturbé. La musique change encore. Je reste figé.

 Le clochard que je n’ai pas vu revenir lui parle maintenant.

« Tu aimes le classique ? »

Ils échangent et rient. Un échange vivant, sorti de l’indifférence polie.

Son sourire avait durant un temps, incarné la musique de la rue de la Paix. Son passage avait ouvert une brèche entre le monde magique et la réalité, l’homme des rues l’avait compris. Je contemple leur conversation et je souris intérieurement. Il existe des lieux, et des passages vers ce nouveau monde.

 Je quitte la scène, laissant derrière moi ce couple nouveau et insolite.

Je quitte la bulle, emportant l’impression agréable d’un monde caché où tout est possible.

J’arrive chez moi.

Allongé en contemplant le plafond, j’accroche une image à ce souvenir et je m’y glisse. Alors à l’intérieur, je revis, je contemple, je soupèse, je décris puis je vous livre cette rencontre. Pourvu qu’elle vous plaise autant qu’à moi.

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