Début de chemin (4)

petisaintleu

Par une matinée qui ressemblait à toute autre, un rocher reste un rocher, à peine perturbé par le jeu des lumières qui l'effleure ou par le gel qui l'éclate pour le rendre poussière, ils aperçurent au loin une cohorte formée de deux femmes et de trois enfants. Annette et Bertrande, accompagnées d'Yves, Simon et Jeanne leur apparurent tel le mirage d'une ère qui s'évaporait dans leur mémoire, désormais assoiffés de s'imprégner d'une source potable. Ils étaient la survivance d'une époque révolue, quand le stupre les irriguait. Ces limiers les traçaient. Les adultes avaient compris, au fil des indices récoltés, elles devaient abandonner la dépravation. Elles suivaient le filet rédempteur pour en remonter le cours jusqu'à Sigmond.

De toutes les femmes croisées, elles en étaient la lie. Annette, dont le charme résidait dans les lèvres charnues, la gorge profonde et les flancs généreux, représentait la face bonhomme de la perversion. À peine pubère, les adultes s'en étaient repue, malaxant de la moiteur de leurs mains ce corps offert sans retenue. Elle ne voyait pas le mal à faire partager ses jouissances.

Bertrande en était l'opposée. Osseuse, le teint cireux, elle ne dut son succès qu'à son regard de braise, synonyme des plus abjectes pratiques. D'année en année, son corps se tatoua des stigmates de son martyr volontaire, dédié à nourrir une inextinguible soif de voluptés.

Quant aux enfants, ils ne furent que le fruit du hasard, rescapés de coïts non protégés. Ils survécurent aux aiguilles abortives, aux pères adoptifs qui se succédaient en escouades et voyaient en eux l'occasion de délester leur haine avinée et à leur génitrice, égocentrée sur leur matrice.

Sigmond pressentait qu'il était à l'origine de Jeanne. Il conservait le souvenir d'une joute opiacée avec Annette et d'une hallucination jouissive, d'un succube le possédant. Ce fut l'unique raison pour ne pas les rejeter. Il n'aspirait plus qu'à la tranquillité. Il craignait que la fragile quiétude acquise par le jeûne et la méditation ne s'écroule. Il se rassura quand il croisa le regard de Bertrande et qu'elle entama la conversation. Son regard ne reflétait plus que la lassitude. Sa voix se fit douce et apaisante. Toute apparence mauvaise avait disparu quand elle lui dit : « Nous savons que désormais, nous désirons vivre à tes côtés. Accueille-nous et faisons table rase de nos méfaits ».

On s'organisa. Le gîte présentait suffisamment de surface pour préserver l'intimité. Le couvert s'avéra problématique. Comment nourrir cette tribu là où même le bouquetin de Nubie, pourtant habitué aux feuilles d'acacia et aux bourgeons, ne s'aventurait qu'avec parcimonie en cette région ? La débrouillardise et l'adaptation servirent d'exutoire à la famine. Anaïs confectionna pour la communauté des ragoûts de grillons que les bambins écrasaient avec une déconcertante dextérité sous les cailloux où ils avaient cherché à se réfugier. Il y avait bombance quand une caravane détournée par une tempête de sable acceptait de se délester d'un régime de dattes.

Ce simple bonheur ne suffit plus. Alors que Sigmond s'imaginait oublier, il revint ... Au détour d'une sente qui avait été aménagée, ils se croisèrent à nouveau. La destinée se rappelait aux souvenirs de notre héros. Il eut beau jeu de supplier, de se traîner, de pleurer. Ce qui devrait être serait. C'est le cœur lourd et hoquetant qu'il revint, tenant Jeanne par la main. Elle crut à un jeu quand il lui fit poser le cou sur une pierre plate. Le feu de la lame n'eut pas le temps de continuer son entame. Un bras d'acier retint le cimeterre. À quoi bon sacrifier ? Tant de sang avait déjà était pour d'imbéciles motifs qu'il n'était pas nécessaire de procéder au rituel mortifère. Sigmond savait que l'autre ne fléchirait pas.

À suivre …

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