Début du chemin (3)

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Les rues s'auréolaient de calme, comme à leur habitude au petit matin. La nuit les marquait encore. Les agents d'entretien avaient délaissé depuis longtemps les tâches qui leur étaient allouées pour, eux aussi, se vautrer dans les immondices de la luxure. Le sceau des vices les plus vils marquait jusqu'aux plus jeunes, ignorants qu'au-delà des murs la puérilité est une vertu. Il était impossible de ne pas buter à chaque pas contre une seringue où sur un préservatif dont la semence, prisonnière de son contenant en latex, rappelait les holocaustes contre nature. Sigmond se dit qu'il serait impossible d'y trouver cinquante, quarante, trente, vingt ou même dix justes qui sauveraient leurs prochains de la perdition. Malgré son passif, Sigmond le savait désormais.

Au fur et à mesure de ses pas, il réalisa le calme qui l'enveloppait. À cette heure, les rats, les pigeons ainsi que toutes les innocentes espèces à qui il incombe de se nourrir des détritus envahissaient les artères. En prenant de la hauteur, on voyait un tapis de poils et de plumes grouiller. Tant de reliefs des festins nocturnes subsistaient que le bitume disparaissait. La chaussée donnait l'impression d'onduler dans la soie des moustaches et l'allégresse d'estomacs repus. En cette scène, les chats côtoyaient les rongeurs en paix. Ce matin, rien de tout cela ; au bruit habituel du frottement des corps, un silence assourdissant. Alors qu'il avait gravi les marches qui le menaient en haut des remparts, Joshua fut pétrifié du spectacle qui se déroulait dans la plaine. Une débandade animale fuyait les fortifications. Elle ne réalisait pas qu'au-delà des collines, le royaume de la sauvagerie, l'originelle, celle où la survie est un mal nécessaire pour se nourrir et se reproduire, reprenait ses droits.

Alors qu'il levait les yeux, le spectacle des cieux lui apparut, tout aussi stupéfiant. Des rouges d'un carmin dantesque s'amoncelaient en moutonnements aériens. Une noirceur, qui lui rappela son étrange rencontre, les éructait. Il s'échappait de son sein un borborygme. Il rassemblait tous les cris d'orgasme qui agitaient nuitamment ces habitants qui se prétendaient urbains. Il rejoignit l'auberge. La certitude que rien ne survivrait l'y conduisit à un train d'enfer. Anaïs l'accueillit, inquiète d'un vague instinct maternel. Les paroles hallucinées de son compagnon rejoignaient son pressentiment. Ils ne devaient plus s'attarder en cette cité fautive s'ils voulaient, et selon les volontés de l'émissaire de l'aube, ne pas succomber au courroux.

Ils venaient de franchir une barbacane quand une pluie de feu s'abattit, cuisant de sa chaleur les dos et grillant les nuques. Ils n'osaient pas se retourner dans leur hâte, trop apeurés de ne pouvoir échapper à la fournaise. C'est alors qu'ils aperçurent un corps figé, comme statufié. Les yeux, énucléés de leurs orbites, semblaient contempler d'un effroi inédit l'hécatombe.

De nouveau partir pour traverser alors des contrées arides, un désert de sel où les lèvres se craquelaient. Après deux semaines, ils atteignirent une zone montagneuse a priori inhabitée. Au flanc d'une cime, une grotte s'offrit, vierge de toute occupation. Elle se fit accueillante, se laissant pénétrer les entrailles pour qu'ils puissent s'en faire une couche. Loin de toute civilisation, ils eurent le sentiment de revenir à la source de temps inconnus. Pour ces générations, le quotidien se résumait à nier, à dénigrer et à refuser ce qui, en ces lieux, devenait une évidence. Surtout le soir, quand assis devant le foyer, la voûte céleste se déployait pour magnifier l'harmonie et le mystère d'un infini qui dépassait de loin l'entendement.

À suivre ...

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