Deconnection.

walkman

"C'est quoi être rock'n'roll, pour vous ?"

Blizzard par delà la fenêtre du onzième de l'Affinia Manhattan, et pourtant c'est dans le coeur d'un artichaud qu'il fait le plus froid, allez savoir.

J'aime pas les journalistes plus que ça, surtout les intellos qu'on nous sort de grandes écoles d'arts avec leurs petits yeux perfides qui voient une explication là où il y en a pas. En un quart d'heure le type te torche un tableau de Maître en déclinant le pédigrée de la bête, le lieu de fabrique, les armes du crime. Avec un vocabulaire de chirurgien dentiste. Putain de Légisty King. Si j'avais pas déjà un milliard de problèmes, j'ui enfoncerais bien cette clope dans l'orifice du Mâle, mais pas sûr qu'il coupe ça dans son article. Mister Clean serait capable d'en extraire une certaine poésie. 

"C'est du blues... l'ami. Et toujours cette même histoire entre un homme et une femme."

Il remonte dans ses notes pour revenir, a priori, sur un truc que j'ai déjà dit. Le garçon aime ça, retrouver un peu d'incohérence pour mettre le doigt là où tu ne vas pas. 

"Vous n'avez jamais parlé d'une femme..."

Voilà, c'est exactement le problème de tous ces ploucs. L'École leur a enseigné les thématiques et le métier leur a appris à ne jamais la fermer. Entre temps, y avait personne pour leur parler d'une femme aux cheveux longs et de ce qu'il faudrait en faire. On ne leur a pas parlé de la musique non plus et de l'incidence que ces deux choses peuvent avoir sur ta vie. S'agit jamais d'être né avec le braquemard et une guitare mais plutôt d'avoir imaginé tout ça quand tu traverses des phases d'ennuis. Ils se sont peut-être rendus aveugles en essayant toujours de décoder une technique. Mais qui sont-ils, bordel, pour m'apprendre ce que je dois voir ? 

Je me lève du fauteuil et je l'invite lui aussi à quitter son siège éjectable, on se contente de traverser la pièce pour rejoindre le minibar. J'ouvre un panneau et devine ce qu'il voit : 

"Vous saviez qu'il était filtré par une couche de charbon de bois d'érable ?

- ...tu savais que ce truc-là est le prisme qui sert à changer ce que je ressens en ce que tu fais là ?"

Il opine poliment sans savoir de quoi j'cause pendant que je nous sers un verre. Y a un sceau de glace pillée sur la grande table et il n'hésite pas à en faire dégueuler son flacon. Il n'est pas très à l'aise. Pas étonnant d'après les gens que je fréquente, j'suis plutôt quelqu'un de glacial. Et j'suis dans une période de la vie où les gens sympas tuent l'ambiance. 

Il demande à aller au toilettes et je lui indique le chemin en levant juste le bras. Ce serait un effort d'ouvrir la bouche. Lever le verre et une femme sont les seuls sports que je tolère. C'est qui Keith Richards, déjà ? 

C'est bientôt l'an 2000, et c'est tout ce que ça coûtera. L'apogée est terminée et j'ai commencé à croire que les meilleurs sont déjà tous morts, ou morts-vivants. On mixera leurs vieux os pour renouveler l'atmosphère musicale des boîtes de nuit branchées de l'île. C'est compliqué d'être peintre dans un brouillard pareil à jamais savoir sur quelle muse on va déverser la gouache et sur laquelle répandre la foi. Peut-être que le pigiste le sait mieux que moi. 

"Euh.. monsieur Parker !?"

On y est. Trois décennies de passages clairs-obscurs à lire du Hemingway et à porter des chromosomes en toque pour en arriver-là. Triple malt. La grande salle de bain du palace est le territoire d'un remake acoustique du Studio 54. Une baignoire remplie de whisky et deux femmes sublimes nues et défoncées en train de s'enlacer. Je pose mon épaule sur l'encadrement de la porte en buvant sagement mon verre. 

Derrière nous, j'entends la porte de la chambre qui s'ouvre et les bruits de pas de mon seul ami qui semble trimballer un sac en plastique. McLaren, lui-même, journaliste au Stone Magazine, se plante derrière moi pour admirer le spectacle. Il passe son bras devant moi pour me tendre ce qu'il trimballe. Avant de me murmurer à l'oreille :

"A peine coupée, une petite récompense pour avoir essayé de te sociabiliser."

J'attrape le magot en souriant. 

"C'est surtout une récompense pour avoir gardé ton plan cul sans l'abîmer.

- Prends-le comme tu veux. 

- J'allais dire la même chose."

McLaren passe devant moi et entre dans la salle de bain. Il hausse les sourcils en croisant le regard du garçon chargé de mon interview pour appuyer le fait que cette scène n'est pas complètement normale. Mais avant que Mister Clean ne crie au scandale, il lui désigne du menton un coin de la pièce auquel il n'avait pas encore prêté attention. Un chevalet et une toile vierge, de la peinture à l'huile, un couteau de peintre, un tourne-disque et des coupons de tickets de cinéma. 

"On ferait mieux de le laisser travailler."

Mister Clean proteste à peine et il se laisse embrasser avant de passer devant moi, tête baissée pour poursuivre l'adultère de Christopher dans une autre pièce. 

J'entre et referme la porte derrière moi. Je pose la coke sur le rebord du lavabo. Un aller pour moi, un aller simple pour osciller assez fort et expulser le blizzard de sa cage. Un peu de musique pour ça. Du Rock'n'roll pour envoyer la gouache.

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