Nicole de la rue Béranger

Richard Magaldi

Vingt-cinq petites têtes s'agitaient devant moi en ce premier jour de classe, à l'école de la rue Béranger. Vingt-cinq petites têtes aux grands yeux ouverts, curieux et avides de connaître le nouveau maître. Et tout de suite, je remarquai une tête un peu plus haute que les autres, un peu plus frisée, mais beaucoup plus souriante aussi, le rire déjà à fleur de lèvres et toute la gentillesse du monde dans le regard. Je compris que c'était Nicole.

« Nicole, m'avait prévenu la collègue qui l'avait l'année précédente, on a été obligé de la garder en CE1, on ne pouvait pas faire autrement , mais tu vas voir, c'est une crème».

Nicole était arrivée du Mali deux ans auparavant, ne comprenait pas trop ce qu'il fallait faire en classe, mais voulait surtout faire plaisir à son maître ou sa maîtresse.

Toujours volontaire pour distribuer les cahiers,essuyer le tableau, ou donner la main dans le rang à celui ou celle qui se retrouvait tout seul, elle était à chaque fois la première à sortir sa trousse, et à regarder autour d'elle pour bien montrer aux autres qu'elle était prête et qu'ils devaient se dépêcher.

Mais sa bonne humeur s'évanouissait malheureusement quand il fallait prendre et ouvrir son livre.

La page de lecture demeurait pour elle un mystère tellement épuisant. Elle respirait un grand coup pour se donner du courage, un oeil rapidement levé vers moi pour vérifier que je la regardais, et au rythme de son index sous les mots de la page, elle ânonnait les syllabes en remuant sa tête toute fleurie de petites perles multicolores. Elle n'attendait qu'une chose, que je vienne m'asseoir à côté d'elle, pour lui expliquer, lui raconter, et elle me gratifiait de son sourire émerveillé.

Nicole voyait bien que les autres se débrouillaient seuls, et cela la décourageait quelquefois. Elle comprenait que son enthousiasme pour venir à l'école n'était pas suffisant. Quelque chose n'allait pas.

Une fois, je l'ai surprise à se recouvrir les bras de craie blanche, au bord des larmes.

« Je ne veux plus être noire » me dit elle en me regardant, « je ne veux plus être noire.... »

Et puis jour après jour, les mots commencèrent à prendre sens, des images se formaient dans sa tête à leur lecture, elle comprenait, elle était heureuse et fière.

Elle habitait avec sa maman dans un squat de la rue Béranger. Je leur donnais des échantillons de shampoings et savons d'hôtels ramenés par un ami qui travaillait chez Air France. Nicole les prenait comme de petits trésors, et me regardait avec une complicité joyeuse.

Un petit frère venait d'arriver, et elle se sentait aussi un peu maman, pleine de responsabilités.

Elle avait compris pourquoi elle venait à l'école.

Lorsqu'un jour de printemps, les arbres de la cour avaient soudain retrouvé leurs fleurs, Nicole fut absente.

Au bout de quelques jours, je demandai à la directrice si elle avait de ses nouvelles, si la maman était passée pour expliquer son absence. La réponse fut négative;

A quatre heures et demi, après avoir laissé sortir ses camarades, je décidai de me rendre au squat, pas très loin de Libération.

Je trouvai ce que je redoutais: la porte de l'immeuble était fraîchement murée de parpaings, les fenêtres aussi, il n'y avait plus personne, on avait expulsé les occupants.

Nicole était partie, sa place resta vide jusqu'à la fin de l'année scolaire, et je décidai de changer d'école.

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